Auteur : Vincent Bessières
François Jeanneau (1935-)
Compositeur, arrangeur, saxophoniste, François Jeanneau est non seulement l’un des pionniers de l’acclimatation du free jazz en France mais également une figure centrale du jazz dans l’Hexagone, par ses participations à des groupes importants et par ses activités de pédagogue.
Expérimentateur du free
Né le 15 juin 1935 à Paris, François Jeanneau découvre le jazz à la faveur des concerts donnés par Charlie Parker dans la capitale en 1949. Il se décide à apprendre, largement par lui-même, le saxophone soprano (puis le ténor) après avoir étudié la flûte au conservatoire. S’exprimant d’abord dans un registre inspiré de Sidney Bechet dans des groupes de New Orleans (avec Raymond Fonsèque), il intègre en 1960 le quartet du batteur Mac-Kac qui joue tous les jours au Club St Germain, en alternance avec le trio de Martial Solal. Pendant deux ans, il a ainsi non seulement l’occasion de jouer avec le pianiste mais aussi de se confronter à certains solistes américains expatriés ou de passage dans la capitale française : ce sera sa véritable école, une expérience formatrice qui le distingue rapidement comme l’un des musiciens les plus prometteurs de sa génération.
En 1962, il participe au disque Soul Jazz de Georges Arvanitas et se rend en compagnie d’Aldo Romano et Jean-François Jenny-Clarke en Finlande où, à l’écoute du groupe d’Archie Shepp et Bill Dixon, il a la révélation des nouveaux horizons dégagés par le free jazz. Il sera ainsi l’un des premiers à expérimenter dans cette voie en France, participant à quelques-uns des moments forts de cette période de création collective et d’affranchissement des règles. On le retrouve ainsi acteur de Enfin ! de Jef Gilson (1962-63) et de Free Jazz de François Tusques (1965), deux albums manifestes historiques de l’émergence d’une scène d’avant-garde en France qui fait écho aux préoccupations de Cecil Taylor, Ornette Coleman, Charles Mingus ou Sun Ra, à laquelle participent également Bernard Vitet, Jean-Louis Chautemps, Michel Portal, Beb Guérin, entre autres. Cette implication esthétique n’est pas sans résonner avec les événements de Mai 68. Le saxophoniste s’y révèle marqué par l’influence de Coltrane. Parallèlement, cependant, il demeure aussi actif comme musicien de studio et de variété.
Des activités multiples
De 1970 à 1974, François Jeanneau fait partie du groupe de pop music Triangle dans lequel il joue surtout des synthétiseurs et de la flûte. À la dissolution du groupe, il fonde un quartet avec Michel Graillier, Jenny-Clarke et Aldo Romano et enregistre le premier album sous son nom. Son intérêt pour la composition l’amène en 1978 à créer le Pandémonium, orchestre essentiellement composé d’instruments à cordes (trois violons, un alto, un violoncelle, une guitare et section rythmique) qui fait ses débuts au festival de Donaueschingen. L’année suivante, il écrit un opéra jazz et constitue le Quatuor de saxophones avec Chautemps, Philippe Maté et Jacques Di Donato. La formation avec laquelle il est, néanmoins, le plus actif est le trio HJT qu’il forme avec Daniel Humair et Henri Texier. En dehors du jazz, il collabore avec Katia Labèque, écrit pour le cinéma, travaille avec la chorégraphe Carolyn Carlson.
Dans les années 1980, deux nouvelles aventures mobilisent son énergie. En 1986, François Jeanneau est nommé directeur du premier Orchestre national de jazz. Il constitue une formation qui regroupe certains des nouveaux visages du jazz hexagonal et affirme sa légitimité dès ses premières apparitions. Par la suite, de 1987 à 1991, il est missionné pour créer le département de jazz du conservatoire de la Réunion. Il y découvre les traditions musicales de l’île, telles que le maloya. À son retour, c’est au Conservatoire supérieur national de musique de Paris qu’il inaugure et anime le département « Jazz et Musiques improvisées » jusqu’en 2000, qui se révèlera une remarquable pépinière de talents. En parallèle, il participe au POM avec Andy Emler et Philippe Macé, puis assiste Paolo Damiani dans sa direction de l’ONJ (2000-2002) et participe à la fondation d’un éphémère Orchestre afro-européen. Il dirige un quartet avec Linley Marthe, Joe Quitzke et Emil Spanyi, trois de ses anciens élèves. Depuis sa retraite d’enseignant, il multiplie les voyages à l’étranger tant aux Antilles qu’en Europe centrale (Yougoslavie, Ukraine, Ouzbékistan, Kazakhstan) où son talent semble reconnu à une plus juste mesure que dans son pays natal. En 2005, il célèbre cinquante ans d’une carrière bien remplie à la tête d’un Pandémonium reconstitué qui compte dans ses rangs de nombreux musiciens issus de sa classe du CNSM pour lesquels il fait office, comme ses vieux complices Daniel Humair et Henri Texier, de parrain. Il y pratique le sound painting, technique de « composition en temps réel » à base de conventions gestuelles imaginée par Walter Thompson dont il est l’un des plus ardents défenseurs.