Archie Shepp (1937-)
Pour l’avant-garde des années 1960, Archie Shepp fut l’apôtre d’une révolution sonore au cœur des luttes politique et sociales, exemplaire de l’équation « free jazz = black power ». Complet veston et chapeau, la voix chaleureuse un brin traînante – à l’instar d’un son de saxophone emblématique – il incarne aujourd’hui, telle une légende, la mémoire du peuple afro-américain.
Apprentissage et influences
Archie Shepp est né le 24 mai 1937 à Fort Lauderdale (Floride, États-Unis). Enfant, il écoute son père banjoïste jouer du blues, expérience phare, comme la découverte de Count Basie ou Duke Ellington. Il apprend le piano à dix ans puis étudie la clarinette et, adolescent, le saxophone. À seize ans, alors installé à Philadelphie, il rencontre celui qu’il considère comme son « mentor », Lee Morgan. Le trompettiste joue un rôle déterminant dans son évolution musicale : l’embauchant comme pianiste pour ses répétitions, il le convertit aux modulations et l’amène à écrire ses premières compositions. À partir de 1960, Archie Shepp participe à l’éclosion et l’organisation du mouvement free à New York. Si John Coltrane est pour lui un initiateur (il passe de l’alto au ténor à son écoute), le pianiste Cecil Taylor et le trompettiste Bill Dixon sont les deux figures clés de son ascension, par leur enracinement dans la tradition, la recherche de nouvelles bases structurelles pour l’improvisation et une conscience musicale plus intellectuelle et politique que mystique. Cecil Taylor est le premier à l’engager (Air, 1960) ; avec Bill Dixon il fonde un quartet en 1962 qui préfigure ce que sera un an plus tard le New York Contemporary Five, sa première formation phare (avec notamment Don Cherry et John Tchicai).
Un style personnel
En 1964, Archie Shepp signe avec le label Impulse (grâce à l’entremise de John Coltrane) pour une série d’albums qui sont aujourd’hui ses classiques. Ils sont à la fois sauvages et sophistiqués, profondément lyriques et furieusement novateurs. À l’aune du chef-d’œuvre Fire Music (1965), Archie Shepp a tout de l’incendiaire réfléchi. Dramaturge dans l’âme (et par essence ellingtonienne), il structure ses formations autour de l’axe rythmique – phalange inquisitrice qui nourrit le soliste – et de sections de cuivres qui décochent des salves hypnotiques ou orchestrent un maelstrom polyphonique. Le tout avec une urgence de jeu portée par les fulgurances du leader. Archie Shepp développe un phrasé noueux aux éclats moirés, vocalisé jusque dans les extrêmes de l’instrument, traçant une ligne incantatoire ou empruntant une voie suave éprise de la mélodie.
Un artiste engagé
En 1969, l’auteur de « Malcom, Malcom, Semper Malcom » est au Festival panafricain d’Alger organisé par le FLN, et signe un sulfureux « Blasé » avec Jeanne Lee. L’album Attica Blues marque un tournant en 1972 avec un big band empreint de soul et de funk, où le militant cherche la plus juste correspondance musicale à ses idéaux. Par la suite, alors qu’il est essentiellement actif en Europe, le pianiste Siegfried Kessler devient son interlocuteur privilégié en quartet pendant dix ans, mais ses ambitions ne sont plus sous le signe de la même avant-garde. Ses tête-à-tête avec Horace Parlan ou Dollar Brand s’inscrivent dans la célébration d’un héritage qui embrasse tant les profondeurs du blues ou du spiritual que les icônes majeures du jazz. Comme sa formation actuelle avec Tom McClung (piano), Wayne Dockery (contrebasse) et Steve McCraven (batterie), quartet d’expatriés, où il s’adonne volontiers au chant.
Reste une palette de coloriste (et ce vibrato qui s’épanche au bout du souffle), une émotion parfois empreinte de nostalgie, mais loin de la vigueur et de l’exigence des années 1960. À l’aube de son soixante-dixième anniversaire, il fonde son propre label Archie Ball. Récemment invité sur scène par les rappeurs de Public Enemy, Archie Shepp est désormais révéré comme l’un des derniers messies d’un jazz engagé, qui a pourtant essentiellement vocation patrimoniale.
Auteur : Thierry Lepin
(mise à jour : janvier 2008)
Archie Shepp a reçu le grade de « docteur honoris causa » de l’université de Liège (2009) et de l’université de Paris VIII (2014).
(dernière mise à jour : avril 2019)