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Origine de l’instrument
Instrument à vent à anche simple, le saxophone relève de la famille des bois et non des cuivres en dépit de sa facture le plus souvent métallique. La famille brevetée par Adolphe Sax en 1846 et stabilisée vers 1850 comprend, de l’aigu au grave, le sopranino en mi bémol, le soprano en si bémol, l’alto en mi bémol, le ténor en si bémol, le baryton en mi bémol, le basse en si bémol et le contrebasse en mi bémol (rarement usité). Tous répertoires confondus, le ténor et l’alto sont les deux saxophones les plus utilisés depuis cette période.
Alors que l’alto domine largement le répertoire « classique », le ténor s’affirme plus nettement dans le domaine savant contemporain, le jazz et les musiques populaires du XXe siècle. Plutôt rare dans le premier jazz de La Nouvelle-Orléans, le saxophone, alors présent dans les orchestres de danse et les brass bands, se généralise à partir de 1917 quand le jazz se développe vers les grandes villes du Nord et de l’Est. Bénéficiant de l’engouement du public, il détrône peu à peu la clarinette dans les ensembles avant d’égaler, puis de supplanter la trompette dans le jeu soliste. Devenu l’instrument roi du jazz des années 1950, le saxophone ténor en demeure, jusqu’à nos jours, l’un des principaux emblèmes.
Organologie et fonctionnement de base
Rondeur et homogénéité de la sonorité, souplesse de l’émission et du phrasé, grande liberté dans la modulation du timbre : telles sont les qualités essentielles du saxophone qui s’expliquent en premier lieu par ses caractéristiques organologiques.
L’originalité de l’invention de Sax, qui pour avoir subi quelques améliorations n’a jamais été fondamentalement modifiée, tient à l’association d’une anche simple et d’un tuyau dont le diamètre intérieur (la perce) est de forme conique. Sous l’effet de la poussée d’air provoquée par le souffle de l’instrumentiste, moyennant une « pince » appropriée du bec et de l’anche, une onde acoustique se propage en imprimant à la colonne d’air une série d’oscillations périodiques. Cependant qu’une partie de l’air expulsé est rejetée hors de l’instrument, une autre se réfléchit en sens contraire pour revenir faire pression sur l’anche. La conicité du tuyau facilite l’entretien de ce phénomène oscillatoire tout en conduisant à l’existence de deux régimes de fréquence (grave et aigu) correspondant, en terme de résonance harmonique, aux deux premiers partiels du son fondamental. Le saxophone est donc un instrument octaviantLe passage au registre supérieur se fait au moyen d’une clé d’octave.. À cette souplesse naturelle de l’émission, liée à la forme du tuyau sonore, viennent s’ajouter les caractères propres de l’excitateur (l’anche). Sa surface vibrante importante, comparée à celle de la clarinette, assure un contrôle plus aisé et une plus grande capacité de modulation du son.
Le saxophone ténor se compose (comme tous les instruments de la famille) d’un bec, d’un bocal reliant le bec au corps de l’instrument, d’une culasse et d’un pavillon. Si la forme des différents saxophones les distinguent au premier coup d’œilLe sopranino et le soprano sont le plus souvent rectilignes, les baryton et basse pourvus d’un bocal à plusieurs virages,..., elle ne conditionne pas leur sonorité respective mais uniquement leur maniabilité. La qualité du spectre sonore et la fréquence (donc la hauteur) des sons entendus dépendent de la longueur totale du tuyau. Pour la modifier, de nombreux trous de registre (appelés cheminées) sont percés le long du corps de l’instrument, obturés par des tampons étanches eux-mêmes actionnés par des clés, leviers ou spatules. Des tiges de correspondance commandant l’ouverture ou la fermeture simultanée de plusieurs trous complètent ce mécanisme d’une exceptionnelle ingéniosité, permettant non seulement l’obtention de toutes les notes de la gamme tempérée mais également leur succession selon des doigtés physiquement satisfaisants. L’action exercée par le souffle, la mâchoire, la bouche et les lèvres autorisent par ailleurs d’infinitésimales ou importantesjusqu’au demi-ton modulations de la hauteur du son. Les améliorations apportées par les facteurs du monde entierFrance, États-Unis, Japon notamment concernent l’ergonomie, la qualité du bouchage ou encore l’étendue du registre.
Les qualités de l’instrument, du becen ébonite ou en métal, de l’ancheforte ou faible ou de la ligature qui la fixe au bec sont déterminantes, ainsi que les réglages apportés au mécanisme. Toutefois, les saxophonistes se distinguent tout autant, sinon davantage, par leur embouchure ou pince, c’est-à-dire la nature et la puissance de la pression exercée au niveau de l’anche par la mâchoire inférieure. Le volume donné à la cavité buccale, le soutien apporté à la respiration ou la sollicitation des muscles faciaux contribuent également à façonner le son produit.
Le ténor, comme tous les saxophones, est un instrument dit transpositeurLa note écrite (sur une partition) ne correspond pas à la hauteur perçue. Le ténor est en si bémol, ce qui signifie qu’un do lu sera entendu si bémol, à une distance de neuvième majeure inférieure.. Son registre s’étend du lab1 au mi4 environ, des doigtés spéciaux permettant l’extension dans le suraigu. Parmi les instruments à vent électroniques fonctionnant sur le système MIDIMusical Instrument Digital Interface, l’EWIElectronic Wind Instrument commercialisé par Akaï au milieu des années 1980 s’apparente au saxophone. Il a été notamment utilisé par Michael Brecker sans toutefois connaître de réel succès.
Techniques et effets spécifiques au jazz
L’évolution du jazz, de la période swing au be-bop, privilégie l’improvisation soliste sur l’expression collective ou le travail orchestral. Le nouveau langage mélodique, rythmique et harmonique s’appuie sur une hausse considérable du niveau technique permettant au saxophone d’affirmer ses qualités de fluidité, de vélocité ainsi que la simplicité relative de ses doigtésÀ la clarinette, le passage du registre inférieur au registre supérieur est commandé non par une clé d’octave mais par une clé de douzième.. La précision du mécanisme et la capacité du saxophone à jouer legatolié l’imposent également face à la trompette et au trombone.
En second lieu, l’approche instrumentale qui distingue le jazz de la tradition savante classique (où prévaut une recherche normative de perfection du timbre) est entièrement vouée à la recherche d’une expression et d’un son individuels, où l’originalité est un gage d’authenticité. C’est pourquoi le saxophone, par son exceptionnelle malléabilité de timbre, semble avoir trouvé avec le jazz sa véritable destination et son exploitation optimale. Les jazzmen à la recherche d’un son puissant optent traditionnellement pour un bec plus ouvert associé à une anche faible, alors que les saxophonistes classiques font le choix d’un bec fermé et d’une anche plus forte. Cette ligne de partage a toutefois évolué, les saxophonistes venant à privilégier la vélocité et la richesse de la sonorité sur le volume sonore. La gamme des techniques et des effets spéciaux développés par les saxophonistes du jazz tout au long de son histoire, dans le but d’atteindre cette individualisation de l’expression, témoigne de l’ancrage fondamental du son instrumental dans la voix, le chant, le blues : vibrato, growleffet de grognement, inflexions (ou bent notes) variées, glissando, ornementations, mise en valeur de la respiration ou du souffle. Le ténor se prête particulièrement à l’effet de honktraduction du cri de l’oie ou du klaxon, caractérisé par de vigoureuses accentuations rythmiques dans l’extrême grave de l’instrument. D’autres techniques spécifiques s’appliquent au phrasénotes fantômes ou ghost notes, double ou triple détaché ou à de subtiles altérations du timbrefaux doigtés, sub-tone. Jean-Louis Chautemps a recensé« Techniques spécifiques au jazz », dans Le saxophone, J.-L. Chautemps/D. Kientzy/J.-M. Londeix, Paris, Jean-Claude Lattès /Salabert, 1987, pp. 73-74. et illustré ces nombreux procédésnommés, outre ceux déjà évoqués, shake, smear ou flip dont la liste est constamment enrichie. Certains effets proviennent de la musique contemporaine ou sont largement partagés par elle, telles que le chant dans l’instrument, le slapéquivalent du jeu pizzicato des cordes, le recours aux sons multiples (ou multiphoniques), la technique de respiration continue.
Le registre et le timbre du ténor amplifient sa proximité avec la voix humaine. Il s’avère le plus apteainsi que, dans une moindre mesure, le baryton à en suggérer les intonations et déchirements, du souffle au hurlement. C’est, pour cette raison même, le saxophone majoritairement adopté par les musiciens privilégiant l’influence du blues et, au-delà, des racines profondes du jazz.
Auteur : Vincent Cotro