Henri Texier (1945-)
Le parcours de Henri Texier compte parmi les plus emblématiques et les plus riches des musiciens qui ont acclimaté le jazz en Europe. Figure emblématique d’une génération décomplexée et avide d’expérimentation, le contrebassiste a été le catalyseur inépuisable d’aventures musicales, occupant un rôle déterminant tant par sa capacité à fédérer les énergies créatives qu’à encourager les musiciens en devenir. À l’instar d’un Charles Mingus ou d’un Charlie Haden auxquels il n’est pas rare de le voir comparé, sa démarche est autant celle d’un meneur que d’un contrebassiste, cheville ouvrière tant en qualité d’instrumentiste qu’animateur d’une musique vive, fondée sur des alliages sonores surprenants, nourrie de voyages et de rêveries mais aussi de révolte et d’engagement.
Début de carrière free jazz
Né le 27 janvier 1945 à Paris, Henri Texier a baigné dans le bouillonnement des clubs parisiens des années 1960, période de croisements et de brassages de styles, de générations et de nationalités. Remarqué par Jef Gilson en 1962, il côtoie une génération d’improvisateurs qui se découvre en subissant de plein fouet l’apparition du free jazz : Jean-Louis Chautemps, Michel Portal, François Jeanneau… Dans le même temps, grâce à l’entremise de Daniel Humair, Texier a la possibilité d’accompagner plusieurs solistes américains d’envergure, au Chat qui pêche et au Blue Note, tels que Chet Baker, Kenny Drew, Donald Byrd, Johnny Griffin… Dès cette époque, sa carrière se partage entre cet apprentissage de la tradition sur scène et la constitution de groupes avec lesquels il engage une démarche plus libertaire. Sa formation composée de Georges Locatelli, Alain Tabarnouval, Jean-Max Albert et Klaus Hagel avec laquelle il joue la musique d’Ornette Coleman et de Don Cherry demeure comme l’un des groupes historiques du free jazz en France malgré l’absence de trace phonographique (1965). Toute la fin de la décennie est marquée par une importante et déterminante activité de sideman auprès de Barney Wilen, Lee Konitz, Booker Ervin, Art Farmer mais aussi Dexter Gordon et Art Taylor, deux musiciens qui lui font une impression durable. En 1968, Phil Woods l’engage avec Gordon Beck et Daniel Humair pour former sa European Rhythm Machine, un groupe qui enregistre et tourne abondamment sur le Vieux Continent avec lequel il joue au festival de Newport.
À la fois leader et fédérateur
Le retour de Woods aux États-Unis marque la fin de l’aventure en 1970. Débute pour Texier une période d’éclectisme et d’expérimentation qui voit le contrebassiste, riche de son bagage de musicien de jazz, s’essayer à de nouveaux contextes : Total Issue, groupe de chansons folk-rock (avec Aldo Romano et Georges Locatelli) de 1970 à 1972 ; trio de Jean-Luc Ponty (1972) ; Piano conclave de George Gruntz avec Joachim Kühn et Martial Solal… Il s’engage un temps dans la variété, traverse une période de doutes, qui débouche en 1975 sur un travail en solo pour lequel il utilise, outre la contrebasse, oud, percussions, flûte, basse électrique, etc. (deux albums, Amir et Varech). Ouvrant un nouveau champ d’investigation, le trio avec le violoncelliste Jean-Charles Capon et le violoniste Didier Lockwood et le trio HJT avec Daniel Humair et François Jeanneau comptent parmi les groupes marquants du jazz français de la fin des années 1970.
Après avoir longtemps mis ses talents aux services d’autrui (ce qu’il continue de faire avec Michel Portal à cette époque), Henri Texier s’affirme alors comme leader. Il crée un quartet avec Philippe Deschepper, Bernard Lubat et Eric Le Lann. Lorsque ces deux derniers cèdent leur place à Jacques Mahieux et Louis Sclavis (album La Compañera, 1983), le quartet stabilisé accueille au fil des ans différents invités de taille : Steve Swallow, Joe Lovano, John Abercrombie, Dewey Redman, Kenny Wheeler… En 1988, cette série de rencontres débouche sur la création du Transatlantik Quartet. Parallèlement, Texier se révèle organisateur et fédérateur, s’affirmant comme une personnalité essentielle du jazz en France. Ouvert aux rencontres transdisciplinaires, il partage la scène avec des comédiens, des danseurs, des musiciens traditionnels, des pyrotechniciens, etc. et participe à la fondation du collectif Zhivaro avec Claude Barthélemy, Didier Levallet, Gérard Marais, Sylvain Kassap et Jacques Mahieux, dont les représentations reflètent le goût du happening, du théâtre musical, de la libre improvisation et de la célébration de la musique comme spectacle.
Le goût des voyages
Hormis la parenthèse d’un album en trio avec Alain Jean-Marie et Aldo Romano sur des « classiques » du jazz moderne (1991), la création de l’Azur Quartet en 1992 marque un nouveau tournant dans le cheminement d’un musicien qui désormais apparaît comme une « tête chercheuse ». Avec Glenn Ferris, Bojan Zulfikarpasic et Tony Rabeson, le contrebassiste fait entendre ses compositions mélodiques aux allures d’hymne, chargées de souvenirs de voyage, investies par des instrumentistes riches d’un bagage cosmopolite. Pendant toute la décennie, les différents avatars de ce groupe (trio, quartet ou quintet) et le Sonjal Septet l’imposent non seulement comme un découvreur de talents mais aussi comme un poète des « terres en friches » dont témoignent les titres de ses albums : An Indians’s Week (1993), Mad Nomad(s) (1995) et Mosaïc Man (1998).
Depuis 1990, l’accomplissement de son attirance pour le voyage est immortalisée par le photographe Guy Le Querrec qui suit à chacun de leurs périples sur le continent africain le trio formé par Henri Texier avec Louis Sclavis et Aldo Romano (tournées en 1990 et 1993, enregistrement de l’album Carnet de route en 1995). En 2003, fidèles à ses valeurs et à quatre décennies de musique, Henri Texier poursuit son aventure à la tête d’un Strada Sextet composé de musiciens qui pourraient être, comme le saxophoniste Sébastien Texier qui compte parmi eux, ses fils : L’histoire n’est jamais terminée. C’est la musique qui détermine le choix des comportements et des personnes avec qui on va faire la route… la strada
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Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : 2004)