Bojan Zulfikarpasic (1968-)
Derrière le patronyme parfois raccourci à sa seule initiale, un « Z » qui va bien à ce musicien incisif et rapide, c’est un pianiste hors pair qui s’est progressivement révélé au public français, loin de sa terre natale par la distance géographique, mais proche par la place qu’il réserve à son ancrage dans la richesse musicale des Balkans. Tout en accompagnant certaines fortes personnalités du jazz hexagonal (Henri Texier, Michel Portal, Julien Lourau), Bojan Zulfikarpasic a imposé, en trio et en solo, un jeu original et puissant, à certains égards flamboyant, qui tire sa force tant de ses colorations folkloriques que d’un enracinement volontaire dans la force expressive du jazz.
Premières influences
Né le 2 février 1968 à Belgrade (Yougoslavie), dans une famille mélomane, Bojan Zulfikarpasic a baigné dans la musique dès l’enfance où se côtoient les chansons traditionnelles, le répertoire classique, jazz et airs populaires brésiliens, ainsi qu’en bonne place les albums des Beatles. Débutant l’étude du piano à l’âge de six ans, élève au conservatoire de Belgrade, il éprouve à l’adolescence un attrait pour le jazz-rock de Weather Report et une certaine fascination pour le microcosme des jazzmen locaux qui ont une profonde influence sur son désir de devenir musicien. L’écoute des « classiques » du genre alimente son oreille et, en quelques années, Zulfikarpasic s’impose dans un milieu qui reste confiné. En 1986, une bourse lui permet d’entreprendre un stage de trois mois dans le Michigan, duquel il revient conforté quant à son niveau. Il intègre alors le big band de la radio de Belgrade. Au cours de son service militaire dans l’orchestre de l’armée, il redécouvre la richesse du répertoire des musiques populaires et traditionnelles des Balkans dont il ne se défera plus.
Les couleurs du bassin méditerranéen
La venue au centre culturel français de Belgrade de Henri Texier, Bernard Lubat et Noël Akchoté lui ouvre des horizons au moment où le sien, comme pour toute une partie de la jeunesse yougoslave, paraît bouché. En 1988, Bojan Zulfikarpasic s’installe à Paris où il gravite dans la nébuleuse du groupe Trash Corporation. Il fait alors la connaissance de musiciens tels que Julien Lourau et Magic Malik qui seront des compagnons de route fidèles. La reconnaissance survient en 1990 par le biais du concours de La Défense (prix de soliste) et, surtout, Henri Texier, qui l’engage l’année suivante dans son Azur Quartet. C’est au sein de ce groupe et de ses différents avatars que l’originalité du jeu du pianiste, associant couleurs et rythmes d’influence balkanique à une solide assise et un grand sens mélodique, est remarquée du grand public (album An Indian’s Week, 1993). Ses deux premiers albums l’illustrent également mais c’est en 1997 et en 1999, au travers d’un projet multiculturel intitulé Koreni (« racines » en serbo-croate), que le pianiste explore en profondeur son héritage. En un temps où sa terre natale est prise dans la folie d’un conflit fratricide, le pianiste réunit des musiciens d’origines différentes (parmi lesquels le percussionniste algérien Karim Ziad, le maître turc de la flûte ney Kudsi Ergurer, le guitariste de rock macédonien Vlato Stefanovski et deux musiciens de Belgrade) pour une musique de joie et de fête qui brasse les influences (notamment rythmiques) des rives du bassin méditerranéen. Dans l’intervalle, il participe également à d’autres fusions opérées par Karim Ziad et Nguyên Lê sous le titre de Maghreb and Friends.
Un artiste récompensé
Fidèle à Henri Texier et à Michel Portal qui en font un pilier de leurs groupes respectifs, Bojan Zulfikarpasic mène à partir de 1995 un travail de récitals en solo qui aboutit en 2001 à l’enregistrement de l’album Solobsession. Récipiendaire du prix Django-Reinhardt de l’Académie du jazz en 2002 (« musicien de l’année »), il réalise un an après à New York un disque en trio avec deux accompagnateurs emblématiques de la nouvelle génération, Scott Colley et Nasheet Waits, et tourne avec Rémi Vignolo et Ari Hoenig (ou Ben Peroswky). Pièce maîtresse du Fire & Forget de Julien Lourau, il manifeste dans ce contexte électrique une inventivité sur le Fender Rhodes et les claviers que son attachement à la nature acoustique du piano n’avait guère laissé entrevoir. En 2005, son talent est reconnu à l’échelle internationale lorsqu’il est lauréat du prix Hans-Koller (European Jazzprice).
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : octobre 2005)