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Histoire du cinéma muet
Les grandes étapes, de 1895 à 1929
La naissance du cinématographe
Le 28 décembre 1895 est la date de naissance officielle du cinéma. Le mérite en revient à l’invention des frères Auguste et Louis Lumière, une machine permettant à la fois de filmer et de projeter, et qui a pris de vitesse de nombreuses autres tentatives semblables, en particulier celle de Thomas EdisonEdison s’intéresse avant tout à la reproduction sonore et doute de l'intérêt du cinématographe.. Aux USA, le retentissement de cette première projection publique sur grand écran est tel qu’il incite tous les concurrents à développer l'aspect commercial de leur appareil.
Les premiers films sont des plans fixes et ne peuvent excéder 50 secondes, c’est-à-dire la longueur d'une bobine. Cela n'empêche pas les frères Lumière d’envoyer, dans le monde entier, des opérateurs chargés de ramener des images qui constituent les premiers documentaires et les premières actualités. En posant sa caméra sur le quai de la petite gare française de La Ciotat, un de ces opérateurs réalise ce qui peut être considéré comme le tout premier « vrai » film, du moins le premier où apparaissent les jeux sur la perspective et sur le changement d’échelle de plansou grosseur de plan, qui permet de distinguer un plan général (tout le décor), un plan moyen ou un gros plan lorsque des voyageurs passent devant la caméra. C’est aussi le premier à faire peur aux spectateurs, un des grands moteurs du cinéma à venir !
Le cinématographe se développe et se diversifie
En mettant plusieurs bobines bout à bout, en interrompant volontairement la prise de vue et en construisant lui-même ses décors, le français Georges MelièsLe film de Martin Scorcese, Hugo Cabret (2011), utilise les possibilités de la 3D et du numérique pour rendre hommage à Georges Meliès. comprend très vite que la machine des frères Lumière permet également de réaliser des films inventifs, à base de trucages et de scénarios complexes, qui vont influencer les cinéastes du monde entier. De leur côté, les Américains préfèrent développer des films d’action et, dès 1903, avec L’Attaque du grand train (The Great Train Robbery), Edwin Porter intègre un hold-up, des décors naturels, des poursuites à cheval et une bagarre avec personnage (un mannequin !) jeté hors du train. On y trouve aussi le premier exemple de montage alternélorsque deux actions se suivent dans le film alors qu’elles se déroulent en même temps et à deux endroits différents, un panoramiqueLa caméra pivote, de droite à gauche ou de bas en haut (ou inversement) sur le pied qui reste fixe., et un travellingC’est la caméra qui se déplace., lorsque Porter place la caméra sur le toit du train en marche. Il réalise ainsi, en seulement 12 minutes, le prototype de tous les films d’action.
En France, par contre, des artistes s’emparent du cinéma avec l'ambition de toucher un public plus exigeant. En 1908, la nouvelle société de production « Le Film d'Art » fait appel à des acteurs de la Comédie-Française pour la reconstitution de L’Assassinat du duc de Guise. À l’instar d’une pièce de théâtre ou d’un opéra, le film est jugé digne d'une critique dans Le Temps, le journal de référence de l’époque, et la partition originale écrite par Camille Saint-Saëns est considérée comme la première musique de film.
La Première Guerre mondiale entraîne un ralentissement de la production cinématographique en Europe et les États-Unis en profitent. En 1915, le film Naissance d’une nation, qui traite de la guerre de Sécession et de ses conséquences, obtient un succès considérable, en dépit du contenu ouvertement raciste de son scénario. Sa longueur exceptionnelle pour l’époque, la qualité de l’image et les trouvailles de mise en scène consacrent le talent de son réalisateur, D.W. Griffith, mais aussi la suprématie du système de production hollywoodien.
Zoom sur les années 1920
Les tendances dans quelques pays
Le cinéma occupe désormais une place majeure. Dans les grandes villes, on construit des salles de plusieurs milliers de places, véritables palais dédiés à cet art. Presque tous les pays ont créé une industrie cinématographique, avec leurs spécificités propres.
En Allemagne, l’expressionnismeAu cinéma, ce courant artistique se caractérise par des scènes nocturnes, des effets de contraste ombre/lumière très marqués et des perspectives déformées, une esthétique qui sera reprise dans le film « noir » américain et dans de nombreux films d’épouvante., déjà présent en peinture et en littérature, trouve dans le cinéma en noir et blanc et muet un champ d’action particulièrement approprié qui donne une forme originale aux premières œuvres de grands réalisateurs : Murnau, Pabst et surtout, Fritz LangFigure incontournable du cinéma muet dans les années 1920, Fritz Lang n’en sera pas moins le premier à expérimenter, dès 1933, toutes les possibilités offertes par la présence de la bande-son, dans son film M le maudit., dont le succès commercial est considérable.
Motivés par le souci d’instruire et de convaincre, les cinéastes russes soviétiques inventent un nouveau langage cinématographique qui joue sur le cadrage, les mouvements de caméra, les surimpressions et surtout, le montage, chargé de transmettre l'émotion et de créer une partie du sens. L’exemple le plus célèbre en est un film de S.M. Eisenstein, Le Cuirassé PotemkineEisenstein n’a que vingt-six ans lorsqu’il réalise ce film, considéré comme le meilleur de toute l'histoire du cinéma. (1925), construit en cinq mouvements, comme une symphonie.
En France, le critique et réalisateur Louis DellucCréé en 1937 en hommage à Louis Delluc, le prix qui porte son nom est décerné chaque année et récompense un film exigeant et néanmoins apprécié du public, comme Le Havre de Kaurismäki, en 2011. regroupe quelques jeunes réalisateurs qui constituent la première « nouvelle vague » française. Pour eux aussi il s’agit de renouveler le langage cinématographique en utilisant ses ressemblances avec la musique, mais aussi avec la littérature, la peinture et l'architecture. De même que la peinture s'affranchit de la représentation, c'est l'incapacité du cinéma à être totalement réaliste qui séduit certains créateurs.
De leur côté, les États-Unis s’assurent peu à peu une hégémonie commerciale, en transposant au cinéma les recettes comiques des spectacles burlesques, très appréciés d'un public populaire, et en créant des personnages facilement identifiables par les spectateurs du monde entier. Certes le précurseur en est le français Max Linderle premier acteur à faire fortune grâce au cinéma, mais le succès considérable de Buster Keaton, de Charlot et de plusieurs autres témoigne de ce phénomène qui survivra difficilement à l’arrivée du parlant.
Fin des années 1920, bouquet final et disparition du muet
Dès 1927, le procédé permettant de synchroniser l’image et le son est pratiquement au point mais les salles de cinéma ne sont pas encore prêtes à s’équiper du matériel nécessaire. De plus, la maîtrise de l'image par les chefs opérateursOn les appelle aussi maintenant « directeurs de la photo ». Ce sont les techniciens responsables de la qualité de l’image, en particulier de l’éclairage. et les réalisateurs atteint un niveau exceptionnel. Le matériel est moins encombrant et permet toutes les audaces. C’est donc la période des plus grands chefs-d’œuvre muets : Metropolis de Fritz Lang, Jeanne d’Arc de Dreyer, La Foule de King Vidor, Napoléon d’Abel Gance, Le Mécano de la General de Buster Keaton, L’Homme à la caméra de Dziga Vertov ou Les Lumières de la ville de Charlie Chaplin.
Toutefois, en raison de la crise économique de 1929, la fréquentation des salles de cinéma est en baisse, et seule une nouveauté pourrait y ramener le public. De plus, la démocratisation de la radio et des disques 78 tours a familiarisé la population avec la présence de la voix enregistrée. Entendre les acteurs parler devient une nécessité. Dans un premier temps, la présence envahissante du dialogue fascine, autant qu’elle « fatigue » le spectateur, et les films musicaux sont donc très appréciés. Mais le mouvement est irréversible, ce qui entraîne la destruction systématique des copies de films muets, devenues obsolètes, inutiles, encombrantes et dangereusesÀ cette époque, la pellicule est facilement inflammable et il y a eu de nombreux incendies au temps du muet, surtout lorsque le projecteur était placé dans la salle.. Heureusement, quelques amateurs éclairés parviennent à sauver des copies condamnées. Ils seront à l’origine de la création des cinémathèquesCe sont les copies sauvées par Henri Langlois qui constitueront le premier fond de la Cinémathèque Française, une des plus riches du monde.. En 1929, à Hollywood, la première cérémonie des Oscars récompense, pour la seule et unique fois, les « meilleurs intertitres » et il faudra attendre 2012 pour qu’un autre film muet (The Artist, de Thomas Langmann) obtienne à nouveau l’Oscar du meilleur film !
Le rôle de Charlie Chaplin dans le cinéma muet
Charlie Chaplin, l’un des premiers artistes complets du cinéma et probablement le plus célèbre, réalise son premier film en 1914 et le dernier en 1967. C'est néanmoins le cinéma muet qui lui apporte renommée internationale et fortune. Né en Angleterre, Chaplin débute très tôt sur les planches, dans la pantomime, et se fait remarquer en Amérique à l'occasion d'une tournée à laquelle il participe. Engagé par Mack Sennett, le roi du cinéma burlesque et duslapstickLes gags accumulent les chutes, les bagarres, les poursuites dans des situations exagérées., Charlie Chaplin peaufine peu à peu son personnage de Charlot, et le public du monde entier se reconnaît dans cet éternel marginal, néanmoins sentimental, qui ne craint pas de s’attaquer à plus fort que lui. Très vite Chaplin réalise lui-même ses films, puis parachève son indépendance en assurant la distribution, la promotion et bientôt, la production au sein des « Artistes Associés », dont il est l'un des cofondateurs.
L’apport de Charlie Chaplin à l’histoire du cinéma ne se limite pas à la création de Charlot. Dès 1923, il abandonne provisoirement le personnage qui lui a apporté la célébrité et réalise L’Opinion publique. Ce drame déroute le public habituel de Charlot, mais le jeu des comédiens, particulièrement naturels, révolutionne la direction d’acteur et certains effets visuels sont très novateurs. D’autre part, Charlie Chaplin attache beaucoup d'importance à la musique. Il compose des airs qu'il confie ensuite à un orchestrateur, ce qu'il continuera à faire jusqu'à son ultime film sonore, La Comtesse de Hong-Kong.
Avec le passage au cinéma parlant, Chaplin est beaucoup moins à l’aise. Conscient que son succès réside dans la gestuelle, il redoute ce cinéma qui donne le beau rôle aux dialogues. Alors que, pour le reste de la production cinématographique, le passage du muet au parlant s’opère en un peu plus d’un an, il faut trois films et presque 10 ans à Chaplin pour franchir cette étape :
- Le premier des trois films, Les Lumières de la ville, est conçu et réalisé en 1930 et constitue un des sommets du cinéma muet. Le personnage principal en est une jeune fleuriste aveugle qui se repère grâce au toucher et surtout aux sons, que Chaplin parvient à intégrer dans son scénario... sans les faire entendre !
- Le second film, Les Temps modernes, tourné en 1935, aurait dû être intégralement sonore mais Charlie Chaplin renonce au dernier moment aux dialogues synchrones et réintroduit même des intertitres. Il construit néanmoins une bande son où prévalent bruitages et musiques, mais lorsque les personnages parlent réellement on ne les entend pas ou bien le son ne parvient que par l’intermédiaire d’une machinetélévision de surveillance, disque 78 tours, radio, etc.. C’est pourtant dans l’avant-dernière séquence de ce film qu’on entend pour la première fois la voix de Charlot, chantant dans le restaurant.
- Le troisième film, Le Dictateur, est intégralement parlant mais il n’est achevé qu’en 1940 et se termine par l’un des plus longs monologues de l’histoire du cinéma !
Chaplin réalise encore quatre films avant une retraite plus ou moins forcée, mais aucun ne peut vraiment rivaliser avec les meilleures de ses œuvres précédentes.
Pistes pédagogiques
Sciences du vivant : la conservation préventive des bobines.
Après avoir observé des photos ou des échantillons de film contaminés, les élèves seront amenés à formuler des hypothèses sur l’origine de cette dégradation (chimique ou biologique). Identifier la nature du contaminant (recherche documentaire, observations au microscope) et proposer des conditions de stockage permettant la conservation des films.
Sciences physiques :
- Ombres et lumières : réaliser une « camera obscura », étudier l’utilisation de la lumière au cinéma (contre-jour, lumière frontale, latérale) et les effets spéciaux basés sur des illusions d’optique.
- Chimie : étudier la réaction chimique réalisée au niveau de la bobine de film.
- À partir du Voyage dans la Lune de Méliès : étudier la Lune (phases, rotations) et la notion de grandeur liée à la distance.
Auteurs : Bernard Loyal (pistes pédagogiques : Caroline Heudiard)