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L’Étroit Mousquetaire Max Linder
Max Linder : première « star internationale » du cinéma
Né en Gironde en 1883, Max Linder s’intéresse d’abord au théâtre. Il intègre le conservatoire de Bordeaux dont il est renvoyé après une altercation avec un professeur. Il continue néanmoins de jouer le répertoire classique à Bordeaux d’abord, puis à Paris dès 1904. Engagé un an plus tard par la maison Pathé, il tourne presque un film par jour en tant que scénariste, réalisateur et acteur. C’est définitivement dans la comédie burlesque qu’il excelle, créant le personnage de « Max », jeune dandy élégant, hâbleur, charmeur, au physique reconnaissablecostumes élégants, chapeau haut-de-forme et petite moustache. La centaine de courts métrages dont il est le héros apporte à son auteur un succès international, inspirant ainsi Charlie Chaplin pour la création de son propre personnage.
Max Linder travaille alternativement en France et aux États-Unis (c’est un grand ami de Douglas FairbanksActeur, réalisateur et scénariste américain, Douglas Fairbanks (1883-1939) est une star du cinéma muet, connu notamment pour ses rôles dans les films de cape et d’épée. Il est l’interprète de D’Artagnan dans The Three Musketeers de Fred Niblo en 1921.), tout en voyageant à travers le monde pour des tournées triomphales au cours desquelles il tourne des scènes qu’il insère ensuite dans ses films. En 1919, il inaugure son propre cinéma à Paris (qui existe toujours aujourd’hui), et continue de tourner, avec Abel GanceAbel Gance (1889-1981) est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma français. notamment. Tout s’arrête brutalement le 31 octobre 1925, lorsqu’il se suicide dans sa chambre d’hôtel, après avoir tué sa jeune épouse.
À travers son abondante production, Max Linder a établi les fondements du cinéma burlesque. Il a inspiré les plus grands noms du genre, de Charlie Chaplin à Pierre Etaix.
L’Étroit Mousquetaire : le burlesque au service de la parodie
En 1922, Max Linder est à Hollywood. Il découvre le film de Fred Niblo The Three Musketeers (1921), adaptation du célèbre roman d’Alexandre Dumas, dans lequel son ami Douglas Fairbanks joue le rôle de D’Artagnan. Il en livre aussitôt une parodie promise dès le titre, The Three Must-Get-Theres, incarnant lui-même le rôle de... Lindertagnan.
Comme dans le film de Niblo, Linder concentre son intrigue sur les deux premières parties du roman de Dumas : le départ de D’Artagnan de sa Gascogne natale vers Paris, et l’épisode des ferrets de la Reine. Les ressorts comiques y sont nombreux et variés :
- l’onomastiqueL’onomastique est l’étude des noms propres. : les noms des personnages sont déformés. Ainsi, dans la version française, on croise tour à tour Lindertagnan, le Cardinal de Pauvrelieu, Ananas d’Autriche, Bouc-qui-gagneRespectivement la déformation de D’Artagnan, le Cardinal de Richelieu, Anne d’Autriche, le duc de Buckingham. Ce sont ici les transpositions françaises des noms caricaturaux anglais. Par exemple, le Cardinal de Richelieu a pour nom parodique anglais « Lil Cardinal Richie Loo »....
- les personnages caricaturaux : le jeune héros gascon devient un coquet jeune homme un peu mièvre, mais toujours autant assoiffé d’aventures. Le Cardinal passe son temps à tirer sur les trois cheveux restant sur le crâne d’un chauve. Quant au « grand, très grand » M. de Tréville, il ne mesure pas plus d’un mètre dix !
- les anachronismes : téléphone, moto, lasso, machine à écrire, trouvent leur place dans un XVIIe siècle totalement déjanté.
- le comique de situation : une vache amoureuse d’un cheval, un concert de jazz enflammé pour une reine au bord de l’évanouissement, de nombreuses chutes et courses poursuites confèrent au film une dimension fortement burlesque et donc parodique compte tenu du « modèle » existant.
L’Étroit Mousquetaire, à l’instar de l’œuvre entière de Max Linder, préfigure le cinéma de Chaplin, mais aussi celui de Jacques Tati ou de son gagman Pierre Etaix. Le film remporte un grand succès à sa sortie (on raconte que Douglas Fairbanks aurait à l’occasion adressé un télégramme de félicitations à Max Linder !).
La version originale américaine du film a malheureusement disparu. Cependant, de nouvelles versions ont pu être recréées à partir d’une copie appartenant au Netherlands Filmmuseum, restaurée par la Deutsche Kinémathek en 1995, avec des intertitres inspirés de la version allemande de 1924.
Auteure : Caroline Heudiard