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Mozart et l’opéra
La société et les Lumières
Au XVIIIe siècle, la plupart des pays européens sont gouvernés par un roi de pouvoir absolu, et la société est très hiérarchisée avec des classes sociales privilégiées (la noblesse et le clergé en France). La montée de la bourgeoisie en ce début de siècle va favoriser une remise en cause de cette organisation. Les philosophes des Lumières aspirent à plus de justice, d’égalité et de liberté. Diderot, Montesquieu, Rousseau et Voltaire inspireront les discours de la Révolution française. Ils ne se contentent pas de critiquer les institutions mais tentent de modifier leur fonctionnement en s’appuyant sur l’égalité des hommes, la lutte contre le fanatisme religieux, la défense de la tolérance, etc. L’esprit philosophique est également caractérisé par le mouvement athéiste, l’incrédulité envers la religion et Dieu, et le début des sciences modernes et expérimentales.
Les idées des philosophes sont largement diffusées grâce à divers lieux de rencontre et de culture : les cafés, les salons et les académies, les bibliothèques et les loges. De ces idées émane une sensibilité rationnelle et raffinée que l’on retrouve dans le style galant de la musique classique. L’opera seriaL’opera seria (opéra sérieux) est un opéra de tradition et de langue italiennes pratiqué au XVIIIe siècle. Son caractère est noble et sérieux, ce qui l’oppose à l’opera buffa (opéra bouffe). du XVIIIe siècle suit le mouvement littéraire et les idées des Lumières. Les personnages incarnent des vertus comme la clémence, le pardon, la tolérance, l’amour-propre, la beauté, le renoncement, sur des modèles inspirés par l’Antiquité réinventée.
L’opéra et ses mutations
Au moment où le jeune Mozart écrit son premier opera seria, le monde de l’opéra est en pleine mutation. La querelleCette querelle, appelée « querelle des Bouffons », se déclenche en 1752 suite aux représentations de La Serva padrona de Pergolèse, et divise la France en deux, entre les partisans de l’opéra français et les défenseurs de l’opéra italien. de début de siècle entre la France et l’Italie au sujet de l’opéra ne semble plus aussi véhémente.
Opera buffaL’opera buffa est un genre d’opéra italien traitant d’un sujet comique. et opera seria, tragédie lyriqueLa tragédie lyrique est un genre musical spécifiquement français, en usage au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, principalement représenté sur la scène de l’Académie royale de musique de Paris, puis diffusé dans les autres villes françaises et étrangères., opéra-comiqueL’opéra-comique est un genre musical apparu au XVIIIe siècle à Paris, dans les foires de Saint-Germain et Saint-Laurent. Il est un genre à part entière, à mi-chemin entre l’opéra, le théâtre, l’opera buffa et la parodie. restent les références en la matière, mais de nouveaux genres apparaissent soit par revendication nationale, soit parce que la distinction entre ces genres n’est plus aussi marquée. En Allemagne par exemple, loin des grandes cours versaillaise, viennoise et napolitaine, naît un nouveau genre plus populaire et national, le singspiel, qui se rapproche de l’opera buffa en Italie et de l’opéra-comique en France.
Les opéras napolitains, pour la plupart écrits sur des livrets du fameux librettiste Métastase, consistent en l’accumulation de numéros alternant recitativo seccoDans le récitatif sec, la partie vocale n’est accompagnée que par la basse continue, le plus souvent réalisée par le clavecin. (récitatif sec) et aria (air). Le récitatif est dédié à l’action, et l’air, au sentiment. L’air sert d’ailleurs plus de prétexte aux cabrioles vocales pour les grands interprètes de ce temps, qu’à la simple expression des affects. Les rôles importants sont dévolus aux voix aiguës (sopranos ou castrats) qui brillent dans les cadencesUne cadence est une formule mélodique et harmonique ayant pour fonction de ponctuer (conclure, ou provoquer un enchaînement) un morceau ou une phrase musicale. De simple formule mélodique, elle peut être développée jusqu’à devenir un grand solo plus ou moins improvisé où la virtuosité du musicien est souvent mise en évidence. improvisées. Le rôle du chanteur est considérable : il devient presque le maître d’œuvre de l’opéra tant le compositeur écrit en fonction de ses possibilités vocales. Certains interprètes jouissent d’une renommée internationale. Les chanteurs ont même l’habitude d’insérer leur propre aria di baule, un air à succès qu’ils portent toujours avec eux, et qui est chaque fois adapté au nouvel opéra.
La réforme de Gluck
Même si Alceste paraît en 1766, le manifesteGluck propose une voie originale en renonçant à la stricte alternance entre récitatif sec et air, en supprimant les ornements, en optant pour la continuité musicale et la justesse dans la peinture des caractères. Le manifeste de cette réforme est fourni par la première version, italienne, d’Alceste. de Gluck ne sera connu qu’en 1769. Il fait finalement admettre aux Italiens les réflexions menées en France quelques années auparavant : dans un opéra, tout doit être fonction de l’action et du drame quitte à simplifier la mélodie. Les airs de bravourec’est-à-dire de prouesse vocale disparaissent, l’alternance recitativo secco - aria da capo est abandonnée pour plus de fluidité dans l’action, et chœur, danses et orchestre prennent de plus en plus d’ampleur et participent au drame.
Lorsque Mozart arrive au Teatro Ducale de Milan, l’opéra napolitain est en pleine évolution. L’orchestre est désormais plus fourni, le livrettexte littéraire servant de support à une œuvre musicale telle qu’un opéra, une opérette, un oratorio ou une comédie musicale a acquis une plus grande cohérence vis-à-vis de la musique, la succession schématique récitatif-air est maintenue mais son lien avec le déroulement de l’action y est plus cohérent, grâce notamment à un emploi plus soutenu du récitatif accompagnéUn récitatif accompagné est celui auquel, outre la basse continue, on ajoute un accompagnement de violons..
Mozart et l’opéra
S’il fallait retenir dans l’œuvre de Mozart un seul genre où le génie du compositeur s’est épanoui comme jamais, ce serait sûrement celui de l’opéra. On dénombre une vingtaine d’opéras dans la vie de Mozart, compte tenu des œuvres inachevées et de celles qui représentent des substituts d’opéras : action sacrée, sérénade théâtrale… composés en vingt-quatre ans (de 1767 à 1791). Il a presque constamment en tête un opéra
, disait son père à Londres quand l’enfant avait à peine dix ans.
De 1767 à 1772 : des premières tentatives aux succès milanais
Sa première œuvre théâtrale est datée de 1767, à Salzbourg. L’archevêque lui commande un singspiel sacré, Le Devoir du premier commandement, l’occasion pour Mozart de montrer tout le savoir acquis durant son voyage à Londres l’année précédente, où il a reçu les enseignements de Johann Christian Bach, maître de l’opéra italien. À Milan, Mozart se voit confronté au grand opéra (l’opera seria), à l’écriture pour une voix de castrat, à la langue italienne dans les récitatifs, ainsi qu’au travail sur mesure des airs suivant les désirs des chanteurs. Le succès triomphal de Mitridate va lui valoir de nombreuses commandes de sérénades théâtrales pour Milan, ainsi que d’un nouvel opéra, Lucio Silla, qui ne rencontre pas le même succès. L’écriture orchestrale trop développée et le ton trop grave ne plairont pas aux Italiens.
De 1773 à 1780 : une volonté de s’émanciper freinée par le devoir
De retour chez lui à Salzbourg, Mozart est accaparé par son travail pour l’archevêque qui ne lui permet plus d’écrire pour l’opéra. Il tente de démissionner et recherche en vain un travail auprès d’autres centres européens. Il se lance dans le projet d’un mélodrame, Semiramis, commande du baron Otto von Gemingen, dont il ne reste aujourd’hui aucune trace, puis travaille à partir d’un nouveau livret à un singspiel, Zaïde, dans lequel il intègre une part de mélodrame. Cette pièce reste inachevée mais servira d’inspiration à Mozart pour L’Enlèvement au sérail quelques années plus tard. En 1780, la Bavière lui commande pour le carnaval un opera seria, Idoménée, dans lequel il introduit des clarinettes et donne plus d’importance aux chœurs.
De 1781 à 1791 : l’émancipation et la naissance des chefs-d’œuvre historiques
Mozart démissionne cette fois-ci définitivement de son poste à Salzbourg pour s’installer à Vienne. Il met en musique le livret à la mode de Bretzner, L’Enlèvement au sérail, en changeant la conclusion pour l’adapter à l’esprit des Lumières. Il récolte un franc succès dans tous les pays germaniques, mais ne rencontre pas le même enthousiasme auprès de la cour viennoise. Mozart cherche des solutions dans des esquisses d’opéras bouffes italiens, jusqu’au nouveau projet de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro. Interdit à Vienne en langue allemande, il est traduit en italien par Mozart et le librettiste Lorenzo da Ponte. À Vienne, l’œuvre dérange mais elle remporte la faveur de Prague, qui commande au compositeur un nouvel opéra : Don Giovanni, l’opéra du Sturm und Drang selon les romantiques qui y voient le conflit entre l’homme et les puissances maléfiques et mystérieuses qui l’entourent
(E. T. A. Hoffmann).
Les œuvres de Mozart passent de mode, et la vie est de plus en plus difficile à Vienne. Mozart réalise un dernier opéra en 1790 avec da Ponte, Cosi fan tutte, une comédie légère teintée de gravité, avec un orchestre prépondérant. L’année de sa mort, alors qu’il travaille sur La Flûte enchantée avec Schikaneder, on commande à Mozart un opera seria officiel, La Clémence de Titus, pour le couronnement du nouvel empereur Léopold II. Mozart met un point d’honneur à renouveler ce genre ancien. Mais ces trois derniers opéras n’obtiennent qu’un modeste succès lors de leur création.
Auteure : Véronique Lièvremont