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La musique azâwân de Mauritanie
Origine des griots maures
L’ethnie maure s’est édifiée à partir de populations berbères, négro-africaines et arabes qui se sont largement métissées et ont adopté la langue arabe. À partir du XVIIIe siècle, certaines tribus arabes guerrières ont constitué des émirats dans le sud du pays. Pour asseoir leur prestige, les émirs ont emprunté aux peuples indigènes la fonction de griotLes griots sont des musiciens appartenant à des groupes endogames de professionnels. – allant même parfois jusqu’à leur « voler » des griots – pour chanter leurs exploits et dénigrer les groupes ennemis. Ils leur ont aussi emprunté le luth soudanais (tidinît), instrument symbole de la fonction, ainsi que certaines pièces musicales dont les paroles ont été arabisées.
Ces griots, d’origines sociale et ethnique variées, se sont peu à peu constitués en caste endogame : tous les griots sont sensés épouser des griottes, obligation qui ne s’impose pas à celles-ci.
Un système modal original
La musique traditionnelle jouée par les griots maures est appelée azâwân. Ces derniers ont élaboré, au cours des trois derniers siècles, un système musical complexe à partir des cultures qui furent à l’origine de leur société. Certains érudits, férus de culture arabo-islamique, ont certainement encouragé les musiciens à regrouper les mélodies utilisant la même échelle de notes au sein de modes, comme dans le monde arabe. Le système maure diffère toutefois de celui des maqâmâtLe maqâm (maqâmât au pluriel) est un mode du système musical arabe., notamment dans les échelles de base des modes (bhâr) qui sont pentatoniquesUne échelle pentatonique est une échelle modale à cinq tons. Chez les Maures, le caractère pentatonique de leurs modes n’exclut pas l’ajout de notes supplémentaires, pour, disent-ils, « colorer » les modes. chez les Maures.
Le système modal maure comporte cinq modes principaux : karr, vâghu, le-khâl, le-byâdh, le-btayt, qui se subdivisent en une trentaine de sous-modes. Pour tenter de résumer ce système complexe, les sous-modes diffèrent par :
- la place de la tonique au sein de l’échelle modale, ce qui permet notamment de distinguer les voies noire ou blancheLes voies noire ou blanche sont deux manières de traiter la série des modes selon que la tonique se trouve au bas de l’échelle modale ou au milieu de celle-ci. ;
- les notes sur lesquelles sont accordées les « petites cordes » de la tidinît ;
- l’ajout de notes supplémentaires à l’échelle de base ;
- le choix des notes accentuées au sein de l’échelle modale.
Beaucoup de ces distinctions ont tendance à disparaître aujourd’hui, ainsi que la tidinît, instrument le plus apte à les réaliser.
Les concerts traditionnels
Plutôt que de concerts, il faudrait parler de soirées musicales récréatives où les participants peuvent exprimer leur plaisir, composer des poèmes qui seront chantés par le musicien et même chahuter celui-ci. Les griots utilisent le luth tidinît et les griottes la harpe ârdîn ; ils sont accompagnés des percussions tbal dans les parties mesurées. La voix est omniprésente ; son mode d’émission et ses mélismes (barmât) sont très remarquables et caractéristiques.
Au cours d’un concert, les musiciens jouent les cinq modes principaux : karr, vâghu, le-khâl, le-byâdh, le-btayt. Ils peuvent éviter certains d’entre eux, mais l’ordre est impératif. En outre, le joueur de luth tidinît doit choisir de jouer dans l’une ou l’autre des voies et s’y tenir.
À l’intérieur de chaque mode, les musiciens jouent en alternance :
- des morceaux non mesurés où l’on peut chanter de longs poèmes ;
- des morceaux mesurés vocaux ou purement instrumentaux, avec percussions.
La tidinît et l’ârdîn peuvent être joués comme instruments solistes mais, le plus souvent, ils accompagnent les voix ou dialoguent avec elles sans souci rigide de synchronisation. Cette hétérophonieDans une musique hétérophonique, les instruments et les voix peuvent suivre simultanément des lignes mélodiques distinctes sans obligation de verticalité. Cela s’oppose à l’homophonie, où instruments et voix suivent la même ligne mélodique aux ornementations près. est un trait caractéristique de la musique maure et la distingue de la plupart des musiques modales, notamment de celles des mondes méditerranéen et oriental.
La musique actuelle
Maintenant, la clientèle urbaine des griots s’est démocratisée et leur répertoire s’est donc diversifié. La demande des jeunes qui n’ont pas été formés à l’écoute de la musique traditionnelle porte sur :
- une musique festive, vigoureuse, mesurée, sur laquelle on peut danser ;
- ou bien sur des chansons plutôt homophoniquesDans une musique homophonique, instruments et voix suivent la même ligne mélodique aux ornementations près., pouvant évoquer des situations contemporaines, plus internationales que les morceaux mesurés d’autrefois.
La disparition des instruments traditionnels, surtout de la tidinît, jugés peu sonores et peu modernes, entraîne une simplification du système modal. Cette nouvelle musique reste toutefois typiquement maure - notamment par le style vocal - et peut être reconnue comme telle du premier « coup d’oreille ».
Auteur : Michel Guignard