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Musiques d’Afrique occidentale Contexte culturel
Diversité et continuité
À l’image de l’ensemble du continent, l’Afrique de l’Ouest se caractérise par une grande diversité de styles musicaux qui ne recoupent pas nécessairement les distinctions ethniques, linguistiques ou nationales. Des groupes culturellement proches ou ayant entretenu des contacts pourront en effet partager, même au-delà des frontières, un certain nombre de traits musicaux ; tandis qu’une même population possédera parfois autant de genres distincts qu’elle compte de catégories sociales en son sein, ou de circonstances d’exécution musicale, que ces dernières soient liées aux étapes du cycle de vie (naissance, puberté, mariage, mort), à la vie politique, religieuse, festive, etc.
La délimitation de zones stylistiques, même floues et mouvantes, est donc en réalité toujours fonction de l’échelle et des critères retenus. On peut toutefois distinguer en Afrique de l’Ouest deux grands ensembles géo-climatiques qui, du fait des vagues de peuplement, des aires d’interactions et des courants d’influences qui ont marqué leur histoire, présentent jusqu’à ce jour une relative homogénéité culturelle et musicale : il s’agit, au nord, de la zone soudano-sahélienne bordant le Sahara et, au sud, de la ceinture forestière longeant la côte du Golfe de Guinée.
La zone soudano-sahélienne
L’avènement successif – du VIIIe au XVIIe siècle – de vastes empires (Ghana, Mali, Songhay, Kanem-Bornou...) s’appuyant sur le commerce transsaharien se traduit par deux faits majeurs :
- l’adoption à large échelle d’un mode d’organisation sociale stratifié (distinguant les hommes « libres », les castesDans le contexte ouest-africain, les castes sont des catégories sociales d’individus qui se caractérisent par une spécialisation professionnelle héréditaire et qui ne peuvent se marier qu’entre eux (règle d’endogamie). Les artisans du verbe et de la musique, dits « griots », en font partie. d’artisans et les descendants de captifs) qui induit l’émergence d’une catégorie héréditaire d’artisans de la musique et du verbe – dits « griots » en français – attachés à la transmission des valeurs fondatrices et de l’histoire officielle (généalogies, épopéesUne épopée est un long récit où la légende et le merveilleux se mêlent à l’histoire et dont le but est de célébrer un héros ou un haut fait., proverbes, art de la louange...) ;
- la diffusion, par le biais des commerçants arabes et berbères, de l’empreinte culturelle nord-africaine et de l’islam qui contribue à forger certains traits stylistiques uniques à cette région : mise en avant d’un discours musical soliste avec improvisation, importance du texte énoncé, souvent littéraire, esthétique vocale tendue privilégiant le registre aigu, usage d’instruments inspirés de modèles nord-africains (luths, vièles monocordes, longues trompes en métal, hautbois, timbales...).
Harpes en calebasse et ensembles de xylophones sur cadre, très présents dans la moitié occidentale de cette zone, sont en revanche la marque particulière des cultures mandingueL’aire culturelle dite « mandingue » (ou « mande » en anglais) regroupe un certain nombre de populations parlant des langues apparentées (Bambara, Malinké, Soninké, Minianka, Khassonké, Mandingues sénégambiens...). Elle correspond dans un premier temps à l’aire d’extension de l’ancien empire du Mali, fondé vers 1225-1250 par un guerrier malinké devenu légendaire : Sunjata Keita. Son foyer d’émergence, situé entre le sud-ouest du Mali et le nord-est de la Guinée actuels (de Bamako à Kouroussa), deviendra à partir du XIVe siècle le centre d’un vaste empire s’étendant de la côte atlantique à Gao (à l’est) et Tombouctou (au nord), comprenant ainsi le Sénégal, la Gambie, le Mali, la Guinée Bissau et la Guinée actuels. Cet empire décline à partir du XVe siècle, sous les assauts conjugués des Songhay (empire songhay, 1464-1591), des Mossi, des Bambara et des Touaregs. Dès lors, commerçants et lettrés musulmans du monde mandingue vont progressivement essaimer vers le sud, contribuant fortement à marquer de leur empreinte culturelle les populations autochtones. et voltaïqueL’aire culturelle dite « voltaïque » comprend les populations parlant des langues de la famille voltaïque-gur (Mossi-Bariba, Sénoufo, Dogon, Kasena-Nankani et LoDagaa). Ces populations vivent principalement au Burkina Faso, au sud du Mali, au nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin..
La zone forestière
En tant que zone de refuge, la région forestière s’est caractérisée par de plus petites unités politiques (royaumes yoruba et aja, confédérations ashanti...), dont certaines à mode de pouvoir très diffus. Cette zone présente donc un moindre degré d’homogénéité culturelle, en dépit des influences résultant de l’implantation côtière des Européens dès le XVe siècle.
Constante notable de cette zone, la musique y est cependant demeurée plus étroitement associée au domaine religieux (initiationL’initiation est un rite marquant le passage d’un statut ou d’un état social à un autre. Selon les sociétés, il en existe trois sortes : l’initiation des filles et des garçons au statut d’adulte ; l’initiation religieuse au statut d’intermédiaire entre le monde humain et les puissances surnaturelles ; l’initiation aux sociétés secrètes., funérailles, danses de masques Dans le contexte africain, un masque est une représentation d’une entité surnaturelle (dieu, esprit, génie ou ancêtre...) par un être humain déguisé. La personne « masquée » joue donc le rôle de la divinité, entre autres par le biais de la danse. Mais contrairement à ce qui se passe dans la possession, elle demeure consciente de son identité propre, puisque la divinité se loge dans le masque, et non dans la personne qui le porte., possessionLa possession est l’incorporation d’une entité surnaturelle (dieu, esprit, génie...) par un être humain en état de transe. Le possédé adopte alors le comportement censé être celui de la divinité en question. En Afrique, c’est par la musique que l’on appelle les différentes divinités à venir « chevaucher » une personne....) qu’en région islamisée, que ce soit d’ailleurs dans le cadre des pratiques chrétiennes syncrétiques ou des religions traditionnelles dédiées au culte des ancêtres et différents panthéons de déités (orisha, vôdoun...). Lorsqu’elle est liée au pouvoir, la pratique musicale renvoie en outre souvent à une vocation, rarement à une profession ou à une catégorie sociale peu valorisée comme celle des griotsLes griots sont des gens de caste spécialisés dans l’art du verbe – déclamé ou chanté – et de la musique. Qu’ils soient itinérants ou attachés à une chefferie, la plupart des griots étaient traditionnellement des musiciens de cour récitant l’histoire, les généalogies et les louanges des dignitaires au pouvoir, pour lesquels ils faisaient également office de conseillers et de médiateurs. De nos jours, leur public s’est considérablement élargi. soudanais.
Sur le plan stylistique, on relève une prépondérance des ensembles polyrythmiques réunissant tambours, cloches frappées et hochets, des formes vocales polyphoniques - basées entre autres sur le parallélismeLe parallélisme est un procédé qui consiste à superposer deux ou plusieurs parties à intervalle constant (transposition tonale) ou presque constant (transposition modale). En Afrique de l’ouest, les intervalles les plus courants sont la tierce ou la quarte. - et des orchestres d’aérophones (sifflets, flûtes à encoche, trompes latérales en ivoire, corne ou calebasse), souvent joués en hoquetLe hoquet est un procédé qui consiste à distribuer une ligne mélodique entre plusieurs voix ou instruments qui interviennent successivement, chacun ne produisant qu’une seule hauteur, le plus souvent sur un bref motif rythmique. Il résulte alors un enchevêtrement qui forme un contrepoint..
Développements modernes
Les styles populaires ayant dominé le paysage musical urbain d’Afrique de l’Ouest au cours du XXe siècle sont le fruit de différentes fusions entre les traditions locales, l’apport colonial européen (dont la guitare et les cuivres des fanfares militaires), l’influence congolaise (rumba, soukous) et les multiples genres émanant de la diaspora africaine (calypso, son, samba, jazz et plus récemment salsa, soul, reggae, rap...). On distingue néanmoins deux grandes tendances :
- l’une issue de la tradition musicale des griots, avec ses variantes mandingue (avec par exemple Boubacar Traoré), wolof, peule, maure, wassoulou, etc. ;
- l’autre s’étirant du Ghana au Nigeria anglophones (highlife, jùjú, afrobeat...) et reflétant la longue histoire des va-et-vient transatlantiques.
Les indépendances des années 1960 et la politique de patronage d’ensembles et de ballets nationaux menée par les nouveaux gouvernements témoignent d’une prise de conscience décisive qui se traduit par la réaffirmation graduelle des instruments locaux et des langues vernaculaires dans le chant. Puis, les années 1980-1990 voient l’émergence de nombreux artistes (Salif Keita par exemple) sur la scène internationale. Mais en dépit des tentatives pour développer des circuits de production plus autonomes, les retombées économiques de ce succès pour les pays africains demeurent bien trop faibles.
Auteure : Sandrine Loncke