Page découverte
Une technique nouvelle
Dans le courant des années 1920, le jeu de la batterie se fait plus discret et laisse, de ce fait, davantage d’espace à la contrebasse. En effet, la grosse caisse se fait plus rare, ce qui permet aux bassistes de s’entendre davantage. Ainsi ces derniers se mettent à jouer sur tous les temps, les lignes de basse deviennent plus mobiles, donnant naissance à un type d’accompagnement dit walking bass qui donne l’impression que les harmonies sont promenées sur une ligne mélodique.
La walking bass est une manière d’accompagner dont la représentation musicale type est de privilégier les noires, quatre par mesure de quatre temps, avec un mouvement mélodique qui décrit clairement la progression harmonique. Les deuxième et quatrième temps doivent être accentués par rapport aux premier et troisième temps. En outre, afin de favoriser l’embellissement rythmique de ces noires, cette pulsation doit être la plus régulière possible. Les contrebassistes des années 1930 jouent cette ligne de basse dite ambulante, mais il leur arrive de ne jouer que les temps forts (1er et 3e temps) afin d’obtenir un effet de décontraction. Le procédé de la walking bass est lié à la technique du « cha-ba-da » à la batterie. La fusion de ces deux techniques aboutit au mariage exceptionnel du son des cordesplus particulièrement les cordes métalliques qui remplacent les cordes en boyaux vers les années 1930 de la contrebasse et de celui de la cymbale ride.
Deux maîtres : Walter Page et John Kirby
Walter Page chez Count Basie et John Kirby chez Fletcher Henderson sont les premiers à utiliser le walking de façon fréquente. Les walking bass de Walter Page (1900-1957) possèdent les particularités suivantes : leur ambitus est élargi par ses fréquentes explorations de l’aigu qui s’accompagnent de variations du volume sonore. Il est aussi l’un des rares contrebassistes de son époque à accentuer fortement les 2e et 4e temps. Ce procédé exécuté pendant quelques mesures crée une tension qui se résout lorsque le contrebassiste reprend une accentuation sur tous les temps. Bien qu’il soit resté chez Count Basie de 1936 à 1942, puis de 1946 à 1949, rares sont les occasions de l’y apprécier en soliste car l’exigence de Basie quant à la section rythmique porte essentiellement sur l’exécution d’un tempo parfait, un rôle que Freddie Green, Jo Jones et Walter Page remplissent admirablement.
Quant à John Kirby (1908-1952), hormis sa collaboration à l’orchestre de Fletcher Henderson, il s’affirme au sein du sextuor qu’il crée en 1937. Le nombre réduit de musiciens de cette formation a pour conséquence une musique aérée, dans laquelle John Kirby brille particulièrement. Puissante et précise, sa pulsation s’associe à merveille avec son jeu léger et raffiné, en parfaite adéquation avec l’élégance des arrangements. Ses walking ne sont pas très démonstratifs mais exécutés admirablement et ils satisfont pleinement les besoins de la formation.
Quelques classiques
Cette période de généralisation de la walking bass compte aussi le contrebassiste Milt Hinton (1910-2000), dont la principale singularité est sa capacité d’adaptation et, par conséquent, la diversité de ses expériences musicales dans une carrière à la longévité exceptionnelle qui traverse la quasi-totalité de l’histoire du jazz, de Freddie Keppard à Branford Marsalis. Il est généralement apprécié pour sa sûreté harmonique, la rondeur de sa sonorité, son swing constant et sa présence scénique. Il est aussi maître dans l’art du slap, qu’il utilise à la fois comme un contrebassiste de New Orleans et comme un bassiste électrique.
De nombreux autres contrebassistes seraient à citer si l’on devait fournir une énumération complète des bassistes ayant marqué l’ère swing, notamment Billy Taylor (1906-1986) chez Duke Ellington, Moses Allen (1907-1983) chez Jimmie Lunceford, Al Morgan (1908-1974) chez Cab Calloway, etc. Avec l’arrivée de la walking bass, la contrebasse abandonne sa dimension percussive. La technique du slap se raréfie au profit du pizzicatoappelé aussi plucking en anglais. On retrouvera la technique du slap chez les contrebassistes de free jazz qui l’utilisent pour augmenter la sonorité et l’intensité, et chez les bassistes électriques (Marcus Miller, par exemple) avec une utilisation un peu différente.
Auteure : Hélène Balse