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La Flûte enchantée Wolfgang Amadeus Mozart 3. Les personnages
Les personnages de La Flûte enchantée sont principalement des acteurs, et Mozart a dû renoncer pour cet opéra - qui est un singspielopéra comique en allemand, avec des dialogues parlés - aux récitatifschants déclamés en rythme libre et aux multiples airschantés par un personnage soliste, en alternance avec les récitatifs. Les seules exceptions sont les personnages de la Reine de la Nuit et de Sarastro, pour lesquels Mozart a pu compter sur de vraies voix de chanteurs : celle de sa belle-sœur Josepha Hofer, soprano coloraturevoix de femme la plus aiguë et la plus légère et Franz Xaver Gerl, profonde bassevoix d’homme la plus grave. Au contraire d’autres opéras de Mozart, où les caractères des personnages donnent lieu à une sorte d’étude psychologique, les protagonistes de La Flûte enchantée semblent appartenir au domaine de l’allégoriereprésentation d’une abstraction, d’une idée, par un personnage. Ainsi, par exemple, Sarastro incarne la sagesse sans le trouble des sentiments humains, et Papageno l’homme de la nature.
Tamino et Pamina
Le prince égyptien Tamino est le héros principal de l’œuvre, et sa première apparition le met, face au serpent, aux prises avec les forces maléfiques qu’il doit sans cesse surmonter. Sauvé par les trois damesles messagères de la Reine de la Nuit, ce personnage à la voix de ténorvoix d'homme aiguë doit faire jouer sans cesse sa lucidité et sa raison pour ne pas se laisser aller à la peur qui a été la sienne, lors de cette première scène. Au cours des diverses péripéties qu’il traverse à la recherche de Pamina, il doit aussi deviner, par sa seule intelligence, qui de Sarastro ou de la Reine de la Nuit se situe du côté des ténèbres. Doté de la flûte enchanteresse, il est aussi celui qui peut agir sur les sentiments par la puissance de la seule musique, tout comme Orphée descendant aux enfers à la recherche de son Eurydice.
Le personnage de Paminafille de la Reine de la Nuit, interprété par une voix de sopranola plus aiguë des voix de femme, incarne dans La Flûte enchantée le personnage féminin par excellence. Apparaissant plus tardivement que Tamino, désirée par tous, Pamina doit d’abord lutter avec vertu contre les avances sordides de l’ignoble Monostatosgardien de Pamina, retenue prisonnière par Sarastro. Sa force de caractère est encore éprouvée par les rares rencontres avec Tamino, l’élu de son cœur. C’est d’abord Papageno qu’elle croise, et sa véritable rencontre avec le prince n’a lieu qu’au moment le plus dramatique de l’œuvre, en présence du menaçant Sarastro lui-même. Et c’est à l’instant de leur rencontre qu’elle doit le quitter presque immédiatement, sans espoir assuré de futures retrouvailles ! Le désespoir est si grand que l’héroïne est un moment tentée par le suicide… Le prince et la fille de la Reine de la Nuit constituent de fait le couple principal de l’opéra. Ils subissent des épreuves qui purifient leur amour, et les font accéder, à la fin de l’œuvre, à un état de conscience supérieur à la moyenne. C’est au moment où les deux jeunes gens doivent affronter ensemble les quatre éléments que la jeune femme montre toute sa force morale. C’est elle qui prend la main de Tamino et le guide, effaçant ainsi de l’opéra les commentaires convenus des prêtres sur la perfidie féminine. Ils apparaissent à la toute fin de l’opéra comme le nouveau couple idéal, où homme et femme sont d’égales valeur et dignité. C’est bien la maîtrise d’eux-mêmes et leur courage qui leur permettent ensemble de triompher des forces mauvaises alors précipitées dans les enfers.
Papageno
L’homme-oiseau est, quant à lui, bien incapable de l’évolution spirituelle menée par Tamino et Pamina. Sans idéal élevé, il préfère boire, manger et parler, souvent à tort et à travers, contrairement à Tamino qui sait garder le silence. Personnage comique typique du Singspiel, il doit rapidement renoncer à suivre la voie initiatique tracée pour le prince. Mais il paraît en comparaison comme celui qui garde « les pieds sur terre » et incarne, au sein du Singspiel, les vertus de l’« homme du peuple » dans lequel se reconnaissent la plupart des spectateurs du théâtre de SchikanederC’est d’ailleurs le directeur du théâtre lui-même qui tient ce rôle.. Sa quête de l’amour ne ressemble guère à l’idéal moral élevé du couple Tamino-Pamina. Il ne rêve en effet que de joies simples, d’une gentille petite femme, qui lui sera finalement accordée en la personne de Papagena, sorte de double féminin.
Sarastro
Celui qui est présenté comme l’homme des ténèbres par la Reine de la Nuit se révèle au fur et à mesure de l’œuvre être au contraire l’homme de la lumière, épris de raison et non atteint par la violence des passions humaines ordinaires. La tessiture de sa voix – une voix de bassevoix d’homme la plus grave – entretient d’ailleurs dans un premier temps l’ambiguïté. Mozart confie en effet à la voix d’homme la plus grave le rôle le plus positif, alors que la Reine de la Nuit se verra dotée de la voix la plus aiguë. Les interventions de Sarastro, grand-prêtre d’Isis et Osiris, sont limitées mais puissantes. Depuis le temple de la Sagesse où il règne, il dirige l’initiation de Tamino au cours des différentes épreuves, et protège Pamina contre sa mère. Épris de justice, il punit le méchant Monostatos dont il a saisi le caractère fourbe. Son symbole – le soleil – l’oppose à la Reine de la Nuit dont il constitue une sorte de double inversé.
La reine de la nuit
La mère de Pamina gouverne le monde des ténèbres et combat Sarastro. Ses interventions directes – aussi limitées que celles de Sarastro – accusent le contraste entre les deux rôles. La basse profonde et la soprano coloraturevoix de femme la plus aiguë et la plus légère couvrent à eux deux l’étendue de quatre octavesdu fa grave au fa suraigu. Le rôle maléfique du personnage est contre toute attente illustré par une voix lumineuse, qui s’exprime cependant dans deux airs virtuoses très contrastés. Si le premier air« Zum Leiden bin ich auserkoren » (« Je suis vouée à la souffrance ») de la Reine la présente comme une mère pleurant la perte de sa fille, le deuxième air« Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » (« Une terrible vengeance consume mon cœur ») ne dissimule cette fois plus rien de sa noirceur..
Les trois dames
Les trois dames, messagères de la Reine, apparaissent chacune avec une tessiture différente, en trio ou en soliste : sopranovoix de femme la plus aiguë, mezzo-sopranovoix de femme intermédiaire entre soprano et alto, contraltola plus grave des voix de femme. Elles s’opposent, là aussi, aux trois garçons messagers de Sarastro, chaque groupe intervenant de manière équilibrée à quatre reprises au cours de l’opéra.
L'essentiel
- Les personnages de La Flûte enchantée sont fondés sur un jeu d’opposition - soleil/lune, lumière/ténèbres - qui se dévoile au fur et à mesure de l’opéra.
- Les rôles sont principalement tenus par des artistes comédiens, davantage que par des chanteurs professionnels (sauf pour Sarastro et la Reine de la Nuit).
- Tamino et Pamina incarnent la dualité idéale homme/femme, dans une égalité parfaite.
- Papageno est le personnage naïf et comique typique du singspiel.
Auteur : Bruno Guilois