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La nuit en musique
Douce nuit ?
Nuit sereine, reposante, étoilée, charmante, ou nuit obscure, énigmatique, tourmentée, inquiétante : lieu de l’imaginaire et de l’inconscient, la nuit inspire les artistes et exalte leur créativité. De la simple berceuse aux plus grandes formes musicales, les compositeurs déclinent les aspects infinis de cette nuit multiple.
Nuit paisible
La berceuse : C’est la chanson qui berce les plus petits. Elle séduit les compositeurs de liederLes lieder (se prononce « lideur ») sont des pièces brèves pour voix et piano, parfois pour voix et orchestre, composées sur des poèmes en langue allemande. Au singulier, on emploie le mot « lied ». comme Schubert, Mendelssohn ou Brahms. Elle peut aussi prendre des formes très complexes tout en conservant ses caractéristiques (tempo lent, nuance douce, répétition d’un motif) quand elle devient instrumentale, telle la Berceuse pour piano de Frédéric Chopin.
La sérénade : Œuvre du crépusculeLe mot « sérénade » vient de l’italien sera qui signifie « soir »., vouée à rendre hommage, à séduire, mais aussi au divertissement, il en existe des formes chantées et instrumentales dans toute l’histoire de la musique. La sérénade instrumentale la plus connue est sans doute la Petite Musique de nuit de Mozart.
Le nocturne : Le nocturne instrumental est apparu plus tardivement. Inspiré par John Fieldcompositeur et pianiste irlandais ; 1782-1837, initiateur du genre au début du XIXe siècle ; Chopin en sublime la forme. D’ailleurs, plus qu’une forme, c’est un instant d’expression poétique musicale durant lequel le compositeur semble se confier à l’auditeur. Avant le XIXe siècle, il existe des notturnice qui signifie « nocturnes » en italien, langue très utilisée dans la musique jusqu’au XVIIIe siècle, mélodies calmes, souvent chantées en duo, ou œuvres instrumentales comme les Notturni de Joseph Haydn, mais s’approchant plus de l’esprit de la sérénade.
Nuit terrifiante
La nuit obscure, habitée, parfois effrayante attise l’imagination des artistes.
Au XVIe siècle, en littérature, Shakespeare et ses contemporains en font le lieu des intrigues, des dissimulations, des sombres pensées et des actes maléfiques. Dans Le Songe d’une nuit d’été, la nuit shakespearienne fourmille de fées, d’elfes et de magie et devient, plus de deux siècles plus tard, l’inspiratrice d’une des plus grandes œuvres de Mendelssohn. Dans Roméo et Juliette - autre œuvre du poète anglais à l’origine de plusieurs grandes pages de la musique - la nuit, moteur de l’action, est tantôt complice des amoureux, tantôt meurtrière.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des poètes cultivent l’image de la nuit des tombeaux. La nuit est d’ailleurs un terme poétique figurant la mort. Gluck, dans son opéra Orphée et Eurydice, dresse un fabuleux et sombre tableau des portes de l’enfer et de ses furies.
Au XIXe siècle, la littérature fantastique d’HoffmannErnst Theodor Amadeus Hoffmann, écrivain, compositeur et dessinateur allemand, 1776-1822 avec ses nuits angoissantes et folles, peuplées de fantômes, sorcières et magiciens, impressionne et séduit les compositeurs romantiques. Elle sera la source d’inspiration de nombreuses œuvres : les cycles de pièces pour piano Fantasiestücke op. 12 et Kreisleriana op. 16 de Schumann, l’opéra fantastique Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, le ballet Casse-Noisette de Tchaïkovski, ou encore le ballet Coppélia, ou La Fille aux yeux d’émeraude de Delibes. La nuit devient propice aux rêves enchanteurs ainsi qu’aux visions cauchemardesques, tel le Songe d’une nuit de sabbat de la Symphonie fantastique de Berlioz.
La nuit et la musique depuis le début du XXe siècle
Aujourd’hui encore, la nuit reste source d’inspiration privilégiée pour les compositeurs. L’une des premières œuvres de la musique moderne, composée en 1899, est le sextuor à cordes La Nuit transfigurée de SchönbergArnold Schönberg, compositeur, peintre et théoricien autrichien, 1874-1951 ; il composera plus tard une autre musique de la nuit avec son mélodrame Pierrot lunaire. Plus récemment, DutilleuxHenri Dutilleux, compositeur français, 1916-2013 compose son quatuor Ainsi la nuit ou encore Timbres, espace et mouvement, œuvre pour ensemble instrumental inspirée du tableau de Van Gogh, La Nuit étoilée. Plus proche de nous, on peut citer la berceuse Neige sur les orangers de OhanaMaurice Ohana, compositeur français, 1913-1992, et Une à une les étoiles de BurganPatrick Burgan, compositeur français né en 1960, deux œuvres pour chœur a cappella.
Auteure : Aurélie Loyer