Page découverte
La Procession nocturne Henri Rabaud
Carte d’identité de l’œuvre : La Procession nocturne de Henri Rabaud |
|
Genre | musique symphonique : poème symphonique (d’après Nikolaus Lenau) |
Composition | en 1898 |
Création | en 1899 |
Forme | œuvre symphonique en un seul mouvement |
Instrumentation | bois : 3 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, grosse caisse cordes pincées : 1 harpe cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Sources d’inspiration de l’œuvre
Sous-titrée « poème symphonique d’après Nikolaus Lenau », La Procession nocturne est l’une des œuvres les plus célèbres d’Henri Rabaud : créée en 1899, elle a connu un grand succès au début du XXe siècle, avant de tomber peu à peu dans l’oubli. Elle s’inscrit dans la lignée des poèmes symphoniquesUn poème symphonique est une œuvre généralement pour orchestre symphonique, en un seul mouvement, et pour laquelle le compositeur s’inspire d’un sujet non musical. Ce dernier peut être de différentes natures : littéraire, philosophique, historique, poétique, picturale.
Consulter la fiche sur le poème symphonique. romantiques, genre musical et littéraire d’abord développé par Liszt qui en a composé douze (dont Les Préludes, Prometheus, Tasso Lamento e Trionfo...), puis illustré par Richard Strauss (Don Juan, Ainsi parlait Zarathoustra, Mort et transfiguration...) à la fin du XIXe siècle. En France, le genre du poème symphonique s’impose vraiment à partir des années 1870. Saint-Saëns a été l’un des premiers compositeurs français à explorer la voie de la musique descriptive avec notamment Le Rouet d’Omphale (1869) et la célèbre Danse macabre (1874), suivi par Chausson (Viviane en 1882), d’Indy (Istar en 1896), Dukas (L’Apprenti sorcier en 1897) et d’une certaine manière par Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune en 1894, Nocturnes en 1897).
Rabaud, âgé de 26 ans, a choisi comme personnage principal l’un des héros romantiques par excellence : Faust. Le mythe de Faust raconte l’histoire d’un savant qui vend son âme au diable, Méphistophélès, pour retrouver sa jeunesse perdue et assouvir tous ses désirs. Il séduit notamment la pure Marguerite, mais l’histoire tourne mal : Marguerite est accusée d’avoir commis un crime, tandis que Faust, désespéré, est emporté par Méphisto en enfer (ou racheté selon d’autres versions). Ce mythe, qui a été l’un des plus fameux du XIXe siècle, a fasciné les romantiques et inspiré écrivains (Goethe, Nerval), peintres (Delacroix), musiciens (Berlioz, Gounod, Schumann, Liszt)… Mais plutôt que de s’inspirer du Faust de Goethe, la plus célèbre version de ce mythe, Rabaud privilégie un extrait du Faust de Nikolaus LenauLiszt s’en était lui aussi inspiré en 1860, dans les Deux Épisodes d’après le Faust de Lenau., écrit dans les années 1830. Il en a retracé assez fidèlement l’intrigue générale.
Déroulé de l’œuvre
La Procession Nocturne se déroule en trois moments aisément repérables.
Tout commence dans un climat mystérieux et inquiet, empreint d’un douloureux chromatisme. Un premier thème évoque très fortement le Prélude du drame lyrique Tristan et Isolde de Wagner et dépeint le désespoir de Faust, errant seul dans la nuit avec son cheval noir. À mesure qu’il s’enfonce dans la forêt, ses doutes l’assaillent, sa souffrance s’accroît et, malgré l’approche du printemps, il reste insensible à la beauté de la nature. Rabaud exprime les sombres pensées de Faust en répétant inlassablement le thème « tristanesque » et en introduisant deux autres thèmes, l’un doucement mélancolique au hautbois, l’autre violemment désespéré aux violoncelles.
Soudain, Faust aperçoit une clarté qui illumine là-bas la forêt
. Il s’agit d’une procession de pèlerins, qui célèbrent de nuit la fête de la Saint-Jean. Faust se cache derrière le feuillage et contemple ce long cortège d’enfants, de jeunes filles, de vieillards, et envie avec amertume leur bonheur
. L’opposition entre Faust et les pèlerins est très nettement exprimée, dans la tradition romantique : aux thèmes chromatiques du début succède un chant religieux, un choral inventé par le compositeur. Le passage de la procession est suggéré par une écriture en canon, forme que l’on retrouve couramment dans la musique religieuse ancienne. Après un point culminant où tous les vents énoncent le choral fortissimo, la procession s’éloigne et disparaît dans les ténèbres.
La troisième partie s’ouvre alors sur le cri de Faust, qui pleure de brûlantes larmes, les plus amères qu’il ait versées
. Après un long silence, les thèmes chromatiques de la première partie sont repris et exposés par tout l’orchestre, dans un élan lyrique et désespéré, avant que Faust ne s’apaise et que la conclusion n’évoque le rachat du pécheur.
Auteur : Christophe Corbier