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Mitridate Wolfgang Amadeus Mozart 2. Argument et personnages
Argument
L’action de l'opéra Mitridate, re di Ponto (Mithridate, roi du Pont) a pour cadre le port de Nymphée en CriméeLa Crimée est une péninsule du sud de l'Ukraine, qui s'avance dans la mer Noire. Elle correspond à l'antique Tauride., et se déroule après la défaite finale de Mitridate face au général romain Pompée en 66 avant Jésus-Christ.
Tandis qu’il était en campagne, Mitridate a laissé son royaume et sa jeune fiancée, la princesse grecque Aspasia (Monime chez Racine), au soin de ses deux fils, Sifare (Xipharès) et Farnace (Pharnace). Alors que Sifare est loyal envers son père et la cause grecque, Farnace sympathise avec les Romains. Les frères sont aussi divisés par Aspasia, dont ils sont tous les deux amoureux.
Acte I
Alors qu’une rumeur circule selon laquelle Mitridate aurait été tué à la bataille, Sifare s’assure du soutien d’Arbate, le gouverneur de Nymphée. De son côté, Aspasia demande la protection de Sifare contre les avances de Farnace (air « Al destin che la minaccia »). Sifare accepte et lui déclare alors son amour. Comprenant à demi-mot que la jeune femme ne le repousse pas, il est assailli par ses émotions : son amour pour Aspasia et sa fureur contre son frère (air « Soffre il mio cor con pace »).
Au temple de Vénus, lorsque Farnace tente de prendre Aspasia de force, Sifare s’interpose. Farnace soupçonne alors les sentiments secrets que les deux jeunes gens éprouvent l’un pour l’autre. Les deux frères sont sur le point d’en venir aux mains, lorsqu’Arbate arrive et leur annonce le retour du roi, vivant. Alors qu’Aspasia se lamente, voyant son amour pour Sifare impossible (air « Nel sen mi palpita dolente il core »), Farnace tente de convaincre son frère de se révolter contre Mitridate. Mais Sifare refuse de trahir son père.
Au port, Mitridate apparaît, accablé par sa défaite face à Pompée (air « Se di lauri il crine adorno »). Il est accompagné d’Ismene, fille du roi de Parthes, qu’il destine à Farnace, bien que celui-ci ne montre que peu d’intérêt envers la jeune fille. Mitridate avoue à Arbate qu’il a lui-même répandu la nouvelle de sa mort, afin de tester la loyauté de ses fils. Arbate lui assure la fidélité de Sifare, mais dénonce les prétentions de Farnace sur le trône et sur Aspasia. Fou de rage, Mitridate jure de se venger de la trahison de son fils (air « Quel ribelle e quell’ingrato »).
Acte II
Au palais, Ismene se lamente sur l’indifférence de son futur époux. Percevant son trouble, Mitridate lui promet réparation et lui annonce qu’il destine Farnace à la mort. Plus tard, le roi cherche à sonder les sentiments d’Aspasie, qu’il croit amoureuse de Farnace. Voyant son manque d’enthousiasme à l’épouser sur le champ, il est persuadé de son infidélité et fait appeler Sifare afin qu’il soit témoin de sa trahison (air « Tu, che fedel mi sei »). Resté seul avec la jeune femme, Sifare l’interroge sur ses sentiments, et Aspasia finit par lui avouer son amour. Le bonheur fait place à la douleur de ne pouvoir vivre cet amour interdit : Aspasia demande à Sifare de s’éloigner, par devoir envers Mitridate. Sifare accepte et laisse la jeune femme seule, désespérée (air « Nel grave tormento »).
Au campement militaire, Mitridate annonce son intention d’attaquer Rome. Alors que Sifare se range du côté de son père, Farnace s’oppose au projet et l’encourage à faire la paix avec les Romains. Cette attitude achève de confirmer les soupçons de traîtrise qui planaient sur lui, et Mitridate ordonne qu’on l’enferme. Souhaitant entraîner son frère dans sa chute, Farnace dénonce l’amour secret entre Sifare et Aspasia. Pour en avoir le cœur net, Mitridate décide de tendre un piège à la jeune femme : il lui annonce qu’il renonce à elle, mais qu’il souhaite qu’elle épouse l’un de ses deux fils. Tandis qu’il lui suggère de s’unir à Farnace, Aspasia refuse et avoue au contraire son amour pour Sifare. Le roi crie alors vengeance contre tous ceux qui l’ont trahi. Restés seuls, les deux amants se jurent fidélité jusqu’à la mort (air « Se viver non degg'io »).
Acte III
Dans les jardins suspendus du palais, Ismene implore la clémence de Mitridate envers Aspasia. Mais Arbate arrive et prévient le roi d’une attaque des Romains. Mitridate part alors sur-le-champ au combat (air « Vado incontro al fato estremo »).
Aspasia, seule, tente de se donner la mort en buvant une coupe de poison (air « Pallid'ombre, che scorgete »), mais Sifare arrive à temps pour l’en empêcher. Cependant, apprenant la nouvelle de l’attaque romaine, il décide de partir combattre l’ennemi aux côtés de son père, dans l’espoir d’obtenir son pardon (air « Se il rigor d'ingrata sorte »).
Enfermé dans une tour, Farnace se repent de sa trahison. Libéré par son complice romain Marzio, il choisit de suivre son père dans la bataille plutôt que d’accepter le pouvoir que lui offre Marzio s’il collabore avec l’ennemi.
Dans une cour du palais, Mitridate apparaît gravement blessé : il a retourné son propre glaive contre lui plutôt que devoir subir l’humiliation d’une défaite. Mourant, il loue le courage de Sifare et lui pardonne, en l’unissant à Aspasia. Ismene arrive et annonce que grâce à Farnace, la flotte romaine coule et l’ennemi bat en retraite. Mitridate pardonne alors à son deuxième fils, et tous jurent de combattre l’ennemi romain jusqu’au bout.
Les personnages principaux
Mitridate, ténor
La réputation historique du roi cruel et sanguinaire résistant aux Romains est atténuée par la figure d’un roi qui a le sens de l’honneur et du devoir, fier malgré sa défaite, amoureux de sa belle et inquiet des nouvelles qui l’attendent au sujet de ses fils. Pour interpréter ce rôle central, c’est un certain Guglielmo d’Ettore qui est engagé (1766). Ce brillant ténor a déjà endossé ce rôle dans le Mitridate de Quirino Gasparini quelques années auparavant. Lorsque Mozart rencontre le chanteur, celui-ci est au somment de sa carrière et possède déjà une grande réputation à Naples et à la cour de Bavière où il se voit d’ailleurs attribuer le titre de Cavaliere. Guglielmo d'Ettore se montra très exigeant et fit réécrire son premier air à cinq reprisesÀ l’époque, le compositeur s’adaptait aux désirs de l’interprète : la musique qu’il écrit pour lui est considérée comme une photographie de ce qu’était sa voix et de ses possibilités techniques. Les airs de Mitridate se caractérisent par leur violence et leurs redoutables sauts vers l’aigu, c’est dire la voix exceptionnelle de l’interprète !.
Aspasia, soprano
Aspasia est la fiancée de Mitridate et l’amante de Sifare. C’est une femme partagée entre son devoir de future reine et son véritable amour. Elle est intègre et dévouée au roi, et bien qu’elle brûle d’amour pour Sifare, elle lui ordonne cependant de s’éloigner d’elle. La prima donna de la création est Antonia Bernasconi. Cette diva d’origine allemande est connue pour avoir chanté la première Alceste, dans la version originale italienne de l’opéra éponyme de Gluck, à Vienne, trois ans auparavant. Quand elle vient à Milan pour chanter dans Mitridate, les adversaires de Mozart, jaloux du privilège accordé à ce gamin, tentent de nuire au compositeur en utilisant la cantatrice. Ils cherchent à la convaincre de remplacer les airs écrits par Wolfgang par des airs repris à l’opéra que Gasparini avait composé sur le même texte. Or, la Bernasconi repousse cette proposition. Elle se déclare tout à fait satisfaite des airs de Mozart : ganz ausser sich vor Freude
tout à fait comblée de joie
, nous dit Leopold Mozart. Sa large palette technique et dramatique est mise en valeur par les airs en notes piquées jusqu'au suraigu dans « Nel grave tormento », et de beaux graves avec « Pallid'ombre ». La chanteuse fut acclamée dans la presse de l’époque.
Sifare, soprano castrato (castrat soprano)
Sifare est l’amant de la belle Aspasia mais aussi le fils fidèle du père souverain Mitridate. Il est prêt à sacrifier son amour pour le devoir et l’honneur. Le jeune primo uomo Pietro Benedetti arriva plus tardivement à Milan pour la première, ce qui explique peut-être les airs moins développés que ceux de la Bernasconi. Cependant, l’écriture de ses airs témoigne d’une voix longue et capable de s'enflammer dans de féroces coloraturesLes coloratures sont des vocalises complexes du chant d'opéra.. Ce soprano est ravi de travailler avec le jeune compositeur prodige, si l’on en croit la lettre du 15 décembre 1770 de Leopold à sa femme, qui relate les paroles du chanteur lors de la première répétition : … et le primo uomo a dit que, si ce duo ne plaisait pas, il voulait bien se faire rechâtrer
.
Farnace, alto castrato (castrat alto)
Le fils félon, le traître Farnace aime Aspasia. Il veut la contraindre à l’épouser et, surtout, prendre le pouvoir à la place de son père. Il pactise avec l’ennemi, Rome, mais contrairement à la tragédie racinienne, Farnace se repent et apparaît même comme le héros à qui l’on doit la victoire de la bataille finale (l’incendie au loin). L'alto castrato Giuseppe Cicognani est connu pour la beauté de sa voix de contralto qui lui vaut une assez belle carrière, alors même que ce sont plutôt les sopranos qui bénéficient de la faveur du public. Mozart, qui l’avait entendu quelques années auparavant dans La Clémence de Titus de Hasse, rapporte dans une de ses lettres que Cicognani possède une voix séduisante et un beau cantabile
.
Les personnages secondaires
Ismene, soprano
Personnage rajouté à la tragédie initiale pour plus d’équilibre, selon les normes de l’opéra « à l’italienne », la seconda donna est la deuxième amoureuse. La fille du roi de Parthes, noble et vertueuse, aime Farnace que Mitridate lui promet en époux mais qui la repousse. Elle apparaît comme une confidente auprès du roi Mitridate et tente d’apaiser sa colère en invoquant ses propres souffrances. Si les airs d’Ismene sont aussi virtuoses que ceux d’Aspasia, le ton est néanmoins plus tendre et moins hautain.
Arbate, soprano castrato
Arbate est le confident et conseiller du roi, gouverneur de Nymphée. Il rassure Mitridate sur la fidélité de son fils Sifare et lui révèle la traîtrise de Farnace. Il fait avancer l’action et sert de liant entre les scènes, annonçant l’arrivée de certains personnages ou certains faits. Il met en garde Mitridate mais aussi les deux fils. Lors de la première représentation, ce rôle est interprété par le soprano castrato Pietro Muschietti, qui débute presque sa carrière avec cet opéra de Mozart. Muschietti plaira énormément par le volume de sa voix et son expressivité.
Marzio, ténor
Dernier personnage de l’opéra, Marzio a également été rajouté à l’intrigue de Racine pour la cohérence de l’opéra. Ce romain est le confident de Farnace, avec lequel il complote après s’être introduit secrètement au sein du royaume du Pont. Son rôle est chanté par un ténor.
Auteure : Véronique Lièvremont