Joseph Haydn (1732-1809)
La jeunesse de Haydn
Du couple Mathias et Anna Maria Haydn naissent douze enfants : Joseph – plus exactement Franz JosephIl était habituel, alors, de ne conserver pour l’usage courant que le deuxième prénom. – est baptisé le 1er avril 1732. La famille n’est pas musicienne de profession, mais le père de Haydn est un peu musicien malgré tout : il a appris – même s’il ne sait pas lire les notes de musique – à jouer de la harpe, et sa femme l’accompagne souvent en chantant. Le petit Joseph, âgé de cinq ans, fait même semblant de jouer du violon avec eux : il frotte un bâton sur un morceau de bois, imitant ainsi le mouvement de l’archet sur les cordes d’un violon.
Début 1737 ou 1738, Jospeh part pour Hainburg chez le maître d’école Mathias Franckoncle de Joseph, 1708-1783. Celui-ci est également chef de chœur à l’église paroissiale de Hainburg et enseigne la musique : Joseph apprend donc à lire et écrire, à chanter, et à jouer des principaux instruments à cordes et à vent.
Georg Reutter (1708-1772), compositeur et maître de chapelle impériale à la cathédrale de Vienne, vient voir à Hainburg son ami curé. Il lui raconte que ses petits chanteurs les plus âgés ont muéLeur voix est devenue plus grave à l’adolescence. et qu’il lui faut les remplacer par de plus jeunes. Le curé propose alors Haydn, âgé de huit ans, car il apprécie les talents de l’enfant. Après un rapide examen devant le maître de chapelle, le jeune garçon est recruté pour chanter dans l’immense cathédrale Saint-Étienne de Vienne.
Haydn à Vienne
Joseph Haydn arrive à Vienne en 1740 à la maîtriseécole de chant pour un chœur d’enfants se produisant régulièrement dans une église de la cathédrale Saint-Étienne : il va y demeurer durant une dizaine d’années, au cours desquelles il aura l’occasion de chanter beaucoup de musique, de compositeurs très variés. Mais il suit peu de cours théoriques : il s’agit d’un apprentissage fondé avant tout sur le déchiffrage et la pratique quotidienne de la musique. De cette époque datent peut-être les premières compositions du jeune artiste.
Malheureusement, les trop nombreuses farces du jeune homme ainsi que la perte de sa voix, alors en pleine mue, entraînent son renvoi de la maîtrise en novembre 1749. Haydn se retrouve donc seul, errant dans les rues de Vienne. Il est recueilli par un ami chanteur, Johann Michael Spangler, et partage son temps entre des leçons, des sérénadescomposition libre en plusieurs mouvements, écrite pour des instruments à vent et des prestations dans différents orchestres, afin d’assurer sa maigre subsistance. C’est une époque pleine de difficultés quotidiennes, mais également riche en expériences : Haydn consacre ses soirées et ses nuits à étudier les règles de composition musicale, il découvre les toutes nouvelles sonates de Carl Philipp Emanuel Bach1714-1788, fils de Johann Sebastian Bach, et dévore les grands traités de composition de son époque. Il suit aussi des leçonsPour bénéficier de l’enseignement de ce célèbre compositeur italien en résidence à Vienne, Joseph n’hésite pas à devenir son valet de chambre, brossant son habit, nettoyant ses souliers ! avec le compositeur napolitain Nicola Porpora, et compose ses premières œuvres : des sonates pour clavier, quelques danses, des pièces religieuses et un opéra comique Le Diable boiteux.
Haydn forme son goût musical en écoutant les différentes générations de compositeurs, en particulier dans les concerts publics (ou « académies »), qui se multiplient alors à Vienne. Il noue aussi de nombreux liens avec les amateurs de musique, nombreux dans les milieux aristocratiques : le baron Karl Joseph von Fürnberg – qu’il connaît depuis 1757 – passe ainsi commande à Haydn de quatuors à cordes, et en 1759, le comte Morzin l’engage à son service comme « directeur de la musique et compositeur de la chambre ». Haydn écrit pour lui ses premières symphonies. Hélas, son bienfaiteur connaît un revers de fortune et doit licencier tous ses musiciens, dont Haydn ! Celui-ci a heureusement été remarqué entre-temps par le prince Esterházy, qui l’engage à l’âge de 28 ans.
Haydn au service des princes Esterházy
Haydn à Eisenstadt
Le prince Paul Anton Esterházy, qui a remarqué Haydn lors d’une audition chez le comte Morzin, lui propose de le suivre à Eisenstadt, sa résidence non loin de Vienne. Il lui confie le poste de vice-maître de chapelleIl devient responsable de toute la musique donnée à la cour, sauf la musique religieuse dont s’occupe le maître de chapelle, Georg Joseph Werner.. Haydn a sous sa responsabilité quatorze musiciens pour interpréter la musique « de chambre »Kammermusik, des œuvres dont chaque partie est écrite pour un seul instrumentiste, jouant dans un petit ensemble de musiciens ou « de table »Tafelmusik, musique qui accompagne le repas du prince.
Le prince est un grand amateur de musique qui joue du violon et du violoncelle. Il a réuni de ses voyages en Europe une incroyable bibliothèque musicale et entretient, à grands frais, un orchestre permanent dans son palais. Haydn trouve donc des conditions matérielles inespérées pour entamer une vie de compositeur.
Haydn à Esterháza
Lors du décès du prince Paul Anton, le 18 mars 1762, son frère Nicolas prend la succession et continue la tradition de mécénat de la famille envers les arts et les artistes. Le château d’Eisenstadt semble insuffisant au nouveau prince, qui fait construire à partir de 1765 un nouveau palais, en Hongrie, sur le modèle de Versailles. Celui-ci comporte une salle d’opéra, et tous les jours, on y représente un opéra italien, ou une comédie allemande. Ce magnifique palais sera le lieu où Haydn exercera l’essentiel de son activité musicale, jusqu’en 1790.
Haydn cumule les activités de compositeur, de chef d’orchestre, d’enseignant, de musicien exécutant, de bibliothécaire, de conservateur d’instruments et de chef du personnel. C’est une charge écrasante, mais il perçoit le troisième meilleur salaire de ceux versés par le prince. Même s’il a la contrainte d’écrire de la musique sur demandeIl doit par exemple écrire à la requête du prince plus de 120 trios pour baryton (basse de viole dont le corps présente de nombreuses courbes, et comportant jusqu’à une trentaine de cordes), instrument préféré du prince Nicolas., Haydn dispose d’excellents musiciens et peut expérimenter à sa guise différents effets avec son orchestre. Le contrat de Haydn s’accompagne cependant d’une clause d’exclusivité inquiétante : les œuvres du compositeur appartiennent toutes au prince, il ne peut ni les communiquer, ni les laisser copier. Cependant, le prince n’est pas jaloux de la célébrité de son compositeur et n’empêchera jamais la circulation de ses œuvres. La gloire de son musicien était aussi la sienne !
En 1766, à la mort du maître de chappelle Georg Joseph Werner, Haydn lui succède au poste. Il peut maintenant se consacrer aussi à l’écriture d’œuvres religieuses pour la chapelle du prince. Désormais, le compositeur continue d’écrire d’importantes symphonies, mais déploie aussi son talent dans des domaines aussi variés que la musique religieuse, l’opéra, la sonate pour piano ou le quatuor à cordes. Il a la lourde tâche de diriger deux représentations d’opéra et deux concerts avec orchestre chaque semaine, ainsi que de la musique de chambre dans le palais ou dans le parc. Car la vie est intense à Esterháza et Haydn compose de la musique pour diverses occasions (bals, visites princières ou impérialesEn 1773 par exemple, l’impératrice Marie-Thérèse vient en visite à Esterháza....). Il est continuellement au travail, faisant répéter les musiciens, composant, veillant à mille détails. Et les musiciens du prince se produisent aussi à Vienne, lors des séjours d’hiver dans la capitaleHaydn dirige son Stabat Mater dans l’église Maria Treu de Vienne en 1771 : c’est son premier concert public..
En 1779, Haydn signe un nouveau contrat : la clause d’exclusivité – non appliquée – disparaît ! Il peut aussi démissionner si l’envie lui en prend. Tout en restant au service du prince, il peut vendre ses œuvres et profiter du commerce de l’édition musicale, fort prospère à Vienne.
Un compositeur sédentaire... mais célèbre
Les œuvres de Haydn sont tout d’abord principalement diffusées par la copie, à une époque où la gravure musicale coûte encore très cher. Le compositeur est très apprécié et a un succès certain : le nom de Haydn devient d’ailleurs si « commercial » que des œuvres qu’il n’a pas écrites paraissent sous son nom !
En France, ses œuvres sont largement diffusées. Ses symphonies sont jouées assez souvent à Paris, dans les années 1770, dans la salle du Concert Spirituelsalle de concert publique située dans le palais des Tuileries et ayant fonctionné de 1725 à 1791, et les critiques de l’époque rendent souvent un témoignage admiratif des concerts où ses œuvres sont donnéesEn 1779, on peut lire dans la presse noble et véhément, toujours gracieux, toujours varié, le génie de ce compositeur semble en effet inépuisable
.. À Londres aussi, les œuvres de Haydn sont largement jouées, en particulier les symphonies, lors des concerts d’abonnementconcerts fondés par Johann Christian Bach (1735-1782) et Karl Friedrich Abel (1723-1787). En Espagne, dès 1776, des poèmes sont écrits à la gloire de Haydn. En 1781, le compositeur envoie des pages de musique à la cour espagnole, dont une copie complète d’un de ses opéras L’Isola disabitata. D’autres envois suivront, destinés à de grandes familles espagnoles. C’est d’ailleurs d’Espagne que viendra vers 1785 la commande d’une de ses plus célèbres œuvres Les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix.
Les voyages
Le prince Nicolas décède à Vienne en 1790. La vie musicale d’Esterháza s'arrête soudainement : en effet, le fils de Nicolas, Anton, n’a que peu de goût pour la musique et veut assainir les finances princières. Les instrumentistes sont pratiquement tous remerciés, et Haydn n’a plus comme obligation que de porter le titre de maître de chapelle, n’ayant plus de musiciens sous ses ordres. Il s’empresse de s’installer à Vienne, où de nombreuses propositions lui arrivent. La plus attrayante est celle de Johann Peter Salomoncompositeur, chef d’orchestre et violoniste (1745-1815), qui lui écrit régulièrement depuis plusieurs mois, et lui demande de venir à Londres pour y diriger une série de vingt concerts. Haydn accepte.
Londres
À 58 ans, Haydn entreprend donc son premier grand voyage. Il arrive à Londres le 2 janvier 1791, à un moment très favorable dans la vie musicale de la capitale, puisque les concerts publics s’y multiplient considérablement. L’accueil qui lui est réservé est enthousiaste, et Salomon n’a pas ménagé sa peine, annonçant la venue du célèbre compositeur par voie de presse. Haydn est présenté à la famille royale, ce qui lui assure les faveurs de toute l’aristocratie anglaise.
Pour son premier concert, le compositeur fait exécuter la Symphonie n° 92, la dernière écrite à Esterháza : le succès est au rendez-vous, le public bissant tous les mouvements lents, ce qui ne s’est jamais vu ! Le deuxième concert est également un triomphe, en présence cette fois du prince de Galles. Durant son séjour, Haydn compose de nouvelles symphonies dites « londoniennes » (les n° 93 à 98), dont l’une des plus célèbres, la Symphonie n° 94 dite « La Surprise »Le titre de cette symphonie s’explique par son deuxième mouvement qui surprend l’auditoire : un thème joué piano puis pianissimo, dont l’accord final, subitement fortissimo, est appuyé par un tonitruant coup de timbales !. Il quitte l’Angleterre début juillet 1792, avec la ferme intention d’y être de retour six mois plus tard.
Retour à Vienne
Sur le chemin du retour, Haydn s’arrête à Bonn et rencontre Ludwig van Beethoven. Celui-ci lui présente ses compositions, et Haydn l’accepte comme élève à Vienne. Beethoven arrive donc dans la capitale en novembre 1792, âgé de 22 ans, et travaille avec son nouveau maître durant six mois avant leur départ pour EisenstadtEn effet, Haydn est toujours maître de chapelle attaché au service des Esterházy.. Le séjour en Autriche dure plus longtemps que prévu. Haydn semble connaître quelques ennuis de santé et les tensions en Europe, dues à la Révolution française, freinent également le retour du compositeur à Londres. Haydn réussit malgré tout à partir en janvier 1794.
Deuxième séjour à Londres et retour définitif à Vienne
Haydn arrive à Londres le 4 février 1794. Il compose durant ce séjour six nouvelles symphonies pour les concerts de Salomon. Il donne aussi des concerts privés devant l’aristocratie et la famille royale. Partout il est acclamé, applaudi. C’est donc avec tristesse qu’il quitte Londres en août 1795. Il cède en partant à Salomon les droits exclusifs sur les douze symphonies composées pour les concerts londoniens.
Haydn s’établit à Vienne à son retour, le nouveau prince Nicolas IIfils du prince Anton décédé en 1794, quelques jours après le départ de Haydn pour Londres délaissant lui aussi totalement Esterháza. Seule la musique religieuse l’intéresseIl passe commande à Haydn de six messes composées de 1796 à 1802.. Malgré tout, Haydn ne cesse pas son activité. Il reçoit en effet des commandes variées : en 1796, il signe un contrat l’engageant à écriretrois trios pour piano, violon et violoncelle, et les Quatuors à cordes opus 76 pour l’Angleterre plusieurs œuvres. Il livre aussi de la musique à la maison d’édition Breitkopf.
Les dernières grandes compositions
Les nouvelles de l’extérieur ne sont pas bonnes : le général Bonaparte remporte sur l’Autriche une série de victoires. Haydn soutient par sa musique son pays en danger : sur un texte écrit par le poète Lorenz Léopold Haschka Gott ! Erhalte Franz den Kaiser« Dieu protège notre empereur François », il s’inspire de l’hymne britannique God save the King, entendu plus d’une fois en Angleterre, pour composer l’hymne autrichien. Le lied, terminé en janvier 1797, est chanté simultanément dans tous les théâtres du pays le 12 février de la même année, jour de l’anniversaire de l’empereur. Une version imprimée est envoyée dans toutes les provinces de l’empire, et Haydn en fera lui-même une suite de variations dans son Quatuor à cordes opus 76 n° 3.
Haydn met aussi en chantier, en décembre, un vaste oratorio appelé La Création, dont le livret (inspiré de la Genèse et des Psaumes) avait déjà été fourni par Salomon à Londres. Le compositeur inaugure avec cette œuvre une nouveauté à Vienne : l’oratorio en langue allemandeLes oratorios représentés alors à Vienne sont principalement en italien.. La première, privée, a lieu chez le prince Schwarzenberg le 30 avril 1798. Haydn lui-même dirige l’orchestre. La première publique, avec un effectif de 400 musiciens, a lieu quant à elle à Vienne le 19 mars 1799, dans un théâtre comble et en présence de la famille impériale. L’œuvre est reçue avec succèsUn contemporain note : La musique décrivait d’elle-même le tonnerre et les éclairs, […], on pouvait entendre la pluie tomber, les eaux se précipiter, et les vers ramper par terre.
. Ce concert marque l’apogée de la carrière de Haydn : l’oratorio est joué à Londres, Stockholm, Paris et Saint-Petersbourg, ainsi que dans de nombreuses villes allemandes.
Vers 1800, Haydn s’attèle à un nouvel oratorio de grandes proportions, Les Saisons, qu’il met environ deux ans à composer. Mais la réception de l’œuvre est moins unanime que pour la précédente, et le texte du livret n’est en outre pas entièrement apprécié.
Épuisé par la création de ces deux oratorios, qui sont la synthèse de toute sa production musicale, Haydn compose une dernière grande œuvre donnée à Eisenstadt : La Messe de la Création, commencée en juillet 1801 et représentée le 13 septembre de la même année.
Depuis 1799, Haydn est malade : il perd la mémoire, et est incapable de se concentrer pour mener une conversation ou pour écrire de la musique. Très affecté par le décès de sa sœur Anna Maria en 1802, de ses frères Johann en 1805 et Michael en 1806, Joseph Haydn ne compose plus et ne quitte plus sa maison de Gumpendorf, dans les faubourgs de Vienne. Fatigué et malade, il laisse inachevé son Quatuor à cordes opus 103. Son dernier plaisir est de jouer encore sur son piano-forte le lied Gott erhalte Franz den Kaiser. Il apparaît une dernière fois en public le 27 mars 1808, pour une représentation de La Création dirigée par Salieri. Il décède le 31 mai 1809 pendant l’occupation de Vienne par les troupes napoléoniennes, et l’empereur français en personne enverra un détachement pour lui rendre hommage lors de son enterrement.
Auteur : Bruno Guilois