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Histoires d’instruments : la guitare classique
L’histoire de la guitare classique débute dès la fin du Moyen Âge, lorsque la famille des vihuelas se développe.
Tantôt délaissée, comme au début du XVIIIe siècle, tantôt au goût du jour, dès le milieu du XVIIe siècle et au début du XIXe siècle, la guitare séduit les luthiers qui n’ont de cesse d’améliorer sa facture, les musiciens qui perfectionnent leur technique de jeu, et un public qui devient de plus en plus nombreux à l’écouter, et à la pratiquer en amateur.
Le Musée de la musique est riche d’une collection de près de 200 guitares classiques, témoins de l’histoire de cet instrument et de son évolution. Quelques exemples...
Histoire de l'instrument
Variations sur les Folias
Variations sur les Folias, anonyme, est interprété Miguel Henry sur le fac-similé de la Vihuela de mano - fin XVIe siècle - du Musée de la musique.
L’origine de la guitare est indissociable de celle relative à une variété de cordophones qui se sont développés à la fin du Moyen Âge en Espagne sous le terme de vihuela duquel émerge celui de vihuela de mano. La description la plus ancienne de l’instrument est donnée par le théoricien Johannes Tinctoris (1445-1511) dans un ouvrage publié vers 1480, De inventione et usu musicae. Il est à noter que Tinctoris cite également le nom de « guitare » en lui attribuant une origine catalane.
Alors que le luth rencontre un succès général dans le reste de l’Europe, l’Espagne lui préfère la vihuela : aucune musique pour le luth n’est publiée tandis qu’un répertoire de musique savante pour la vihuela s’enrichit et se diffuse grâce à l’impression de plusieurs recueils.
Sur le plan morphologique, vihuela de mano et guitarra sont similaires au point qu’il est difficile d’imaginer qu’ils ne dérivent d’un type unique plus ancien à rechercher dans les formes plus archaïques de vihuela. Différentes sources du XVIe siècle permettent d’imaginer la guitare comme un instrument plus petit, avec seulement quatre rangées de cordes doubles, tandis que la vihuela courante, en comporte six. Celle-ci est munie d’un manche à dix frettes. Le répertoire connu à ce jour puise aux mêmes formes que celles en usage pour la vihuela et dans un style comparable. Les deux types sont tellement proches que, lorsqu’à la fin du XVIe siècle passera la mode de la musique polyphonique, la vihuela laissera rapidement place à la guitare, à une nouvelle esthétique et à une nouvelle technique de jeu.
Si le patrimoine musical de la vihuela est abondant et accessible, il n’en va pas de même pour le patrimoine instrumental. La grande fragilité des instruments de musique explique leur extrême rareté, surtout pour des époques aussi reculées que le XVIe siècle. A l’heure actuelle, seuls quatre instruments authentiques peuvent être rangés dans le type vihuela de mano : l’un appartient au musée Jacquemart-André, le deuxième au Musée de la musique de Paris, le troisième repose parmi les reliques de la sainte Mariana de Jesus dans l’église de Nuestra Senora de Lereto à Quito, en Equateur, et le dernier se trouve au Royal College of Music de Londres, il est signé « Belchior Dias » et a été fabriqué à Lisbonne en 1581.
A la fin du XVIe siècle, la vihuela tombe en désuétude tandis que la guitare acquiert un cinquième chœur et se voit adoptée dans toute l’Europe sous le nom de « guitare espagnole ».
L’Allemande
L’Allemande composée par François Campion en 1705 est interprétée par Gérard Rebours, sur la guitare Voboam – 1708 - du Musée de la musique.
En France, la seconde moitié du XVIIe siècle consacre le déclin du luth et l’apogée de la guitare. Si un seul nom doit rester attaché à la facture française de guitare pour ce siècle, c’est celui des Voboam : trois générations de facteurs, un prototype d’une surprenante régularité, un style de décor et ses subtiles variations. Le nom de Voboam est resté recherché pour la perfection des modèles qui porte cette signature.
La guitare parvient à imposer ses avantages auprès d’un milieu amateur et trouve bien sûr un écho auprès des musiciens professionnels comme Henri Grénerin, Hurel, Bartolotti et surtout Robert de Visée lesquels pratiquent aussi le théorbe. Seul Francisco Corbetta se voue, semble-t’il, exclusivement à la guitare.
L’instrument est lancé dans le monde lorsque le jeune Louis XIV puis Lully y attachent leur nom.
Le Roi apprécie le talent de Visée puisque, non content d’en recevoir des leçons de guitare, il le fait jouer le soir à son chevet (Journal de Dangeau). Mais le Roi n’est pas seul à s’intéresser à la guitare : Lecerf de la Viéville nous apprend que dans sa jeunesse, Jean-Baptiste Lully (1632-1687) fut élève d’un « bon Moine, qui lui donna le premier quelques leçons de Musique, qui lui aprît à jouer de la Guitare…Lulli commença par cet instrument…il conserva le reste de sa vie de l’inclination à en jouer ».
Sa vogue mondaine en fait un accessoire obligé des gravures de mode (Dame en habit de chambre, I .D. de Saint Jean, 1675, Dame de qualité jouant de la Guitarre, Nicolas Bonnart, 1694) et un symbole galant.
La guitare, avec ses cinq paires de cordes de boyau, développe grâce à sa construction légère, une sonorité cristalline et nerveuse. Elle est appréciée pour jouer des danses qui constituent à l’époque l’essentiel d’un répertoire commun au théorbe (les deux instruments ayant quasi le même accord) : allemandes, courantes, sarabandes, gigues et menuets deviennent sur la guitare particulièrement attrayants grâce à la technique des batteries rythmiques.
Une quantité appréciable de transcriptions d’airs et de danses tirés de Ballets et d’Opéras de Lully, pour la guitare (et le théorbe), nous sont parvenues, pour la plupart signées de Visée. Elles offraient aux amateurs la possibilité de refaire sonner à la maison l’Ouverture de la Grotte de Versailles ou les fameuses Sourdines d’Armide.
Elle accompagne les airs et brunettes à la mode et, aux côtés du théorbe, du clavecin, de la basse de viole et du violoncelle, elle contribue à enrichir de sa couleur délicate la réalisation de la basse continue.
Les mémoires et correspondances de l’époque témoignent aussi de la prolifération de concerts privés. Les méthodes abondent, pour apprendre aux amateurs la pratique de la basse continue. L’engouement extraordinaire pour la guitare s’éteint sous la Régence. Jean-Baptiste Voboam se reconvertit les dernières années de sa vie dans la facture de viole.
Marizápalos
Marizápalos, extrait de Poema harmónico, composé par Francisco Guerau en 1694 est interprété par Vincent Dumestre sur la guitare Lambert - après 1758 - du Musée de la musique
Au début du XVIIIe siècle, la guitare n’est plus au goût du jour. Le clavecin et la harpe, puis plus tard dans le siècle le pianoforte l’ont supplantée dans son rôle d’instrument soliste. De plus, un intérêt croissant pour la musique de chambre, en Italie d’abord, puis en Espagne, et une passion pour l’Opéra, détournent le public de cet instrument moins sonore. Cependant, en France, la guitare ne disparaît pas complètement et garde son statut d’instrument de l’aristocratie, comme en témoignent les peintures d’Antoine Watteau (1684-1721) et de Nicolas Lancret (1690-1743).
Mais, à partir de 1780, un regain d’intérêt pour la guitare est manifeste. L’époque a changé et la bourgeoisie montante s’est frayée un plus large chemin dans la vie musicale en y apportant ses nouveaux goûts. La nouvelle vogue pour la romance explique aussi l’engouement pour cet instrument le mieux adapté pour accompagner.
La guitare semble également l’instrument rêvé pour réaliser certaines idées esthétiques des grands philosophes du siècle, comme Jean-Jacques Rousseau : « Il faut que la basse, par une marche uniforme et simple, guide en quelque sorte celui qui chante et celui qui écoute, sans que l’un ni l’autre s’en aperçoive » (Lettre sur la musique française).
A la fin du siècle, la transition se fait progressivement entre la guitare à cinq chœurs (généralement quatre cordes doubles et une chanterelle) et la guitare à six cordes simples, (sous l’influence de la guitare-lyre), précurseur de la guitare classique.
Recuerdos de la Alhambra
Recuerdos de la Alhambra, composé par Francisco Tarrega, est interprété par Philippe Villa sur la guitare Torres – 1883 - du Musée de la musique
Le début du XIXe siècle est marqué par un renouveau d’intérêt spectaculaire pour la guitare (amorcé dès le milieu du XVIIIe siècle). De nombreux facteurs interviennent pour lui donner peu à peu son visage moderne.
Un public différent, celui d’une bourgeoisie nouvellement promue, aux racines musicales tournées davantage vers les pratiques traditionnelles orales, influe sur le répertoire et sur la technique, déterminant des modifications sur le plan de l’accord, de la notation et bien sûr de la facture.
La guitare devient un apprentissage indispensable à une bonne éducation. Dans toute l’Europe se répand la « Guitaromanie ». Le répertoire de la guitare s’internationalise sous l’impulsion de virtuoses-compositeurs voyageant à travers le continent. Les italiens Ferdinand Carulli (1770-1841) et Niccolo Paganini (1782-1840), virtuose du violon mais aussi de la guitare, nous laissent une production abondante. L’école espagnole s’affirme grâce à Fernando Sor (1778-1839) et Dionisio Aguado (1784-1849) dont les méthodes restent réputées.
A Paris, deux luthiers dominent la production : René Lacote (ou Lacôte, actif 1820-1853) et (vers 1790-1856). En Espagne, le grand maître de la guitare et véritable père de la guitare dite « classique » est Antonio de Torres (1817-1893). Il construisit ses premiers instruments selon un modèle et des proportions qui dataient de 1700 environ. Mais vers la fin des années 1850, il confère à l’instrument les caractéristiques essentielles de la guitare moderne (caisse ample à larges éclisses, barrage intérieur en éventail) que le talent du guitariste Francisco Tarrega a contribué à imposer.
Les facteurs Manuel Ramirez (1869-1920) et Vicente Arias (vers 1840-1912), à Madrid, Enrique Garcia (1868-1922) et Francisco Semplicio (1874-1932), à Barcelone, illustrent une facture issue de Torres.
L’Etude n°2
L’Etude n°2, extraite des Six études pour guitare composées par Ida Presti, est interprétée par Olivier Chassain sur la guitare Robert Bouchet – 1964 - du Musée de la musique.
La simple évocation du fameux « cahier de Robert Bouchet » est devenue une sorte de référence mythique en matière de construction de guitare.
L’original du document fut donné, selon la volonté de l’auteur, au Musée de la musique par Madame Andrée Bouchet en 1988. Il est d’autant précieux que, jusqu’à une époque récente, les luthiers n’écrivaient pratiquement jamais et gardaient jalousement leurs secrets de fabrication. Une édition en fac-similé proposée par le Musée est parue en 2003.
Le cahier d’atelier, rédigé vers 1950 par Robert Bouchet, développe au long d’une centaine de pages les étapes de la construction d’une guitare dans la tradition artisanale espagnole. Les opérations y sont détaillées par de savoureux dessins et diagrammes pleins de vie et de pertinence.
En 1936, Bouchet, facteur de guitare autodidacte, rencontre Julian Gomez Ramirez, luthier espagnol installé à Paris avant 1921, lui-même héritier des suiveurs d’Antonio de Torres. D’abord visiteur curieux et assidu, Bouchet suit la fabrication de la guitare qu’il commande à Ramirez en 1938.
Dès la fin de la guerre, il mène ses premières expériences de luthier à l’aide de ce qu’il a observé et avec des moyens extrêmement modestes. Les connaissances de lutherie ainsi acquises constituent la base de ses futures guitares. Il prend pour modèle le maître luthier Antonio de Torres et construit des guitares selon la tradition espagnole. Puis, peu à peu, il s’engage dans le domaine de la création.
En 1957, il ajoute une barre transversale asymétrique sous le chevalet - la fameuse « barre d’âme » - innovation qui lui est inspirée après la restauration d’une guitare faite par le luthier parisien René Lacote en 1818.
Ce nouveau modèle, par sa sonorité chaleureuse et équilibrée, séduit les concertistes comme Ida Presti, Alexandre Lagoya, Julian Bream, Manuel Lopez-Ramos, le duo Pomponio-Zarate. Dès lors, la notoriété de Robert Bouchet ne cesse de croître et le hisse au plus haut niveau, aux côtés d’un Lacote ou d’un Voboam.
Incontournables du musée de la musique
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cordes
Vihuela de Mano
L’aura mystérieuse de la vihuela de Mano tient à la rareté du nombre d’instruments connus.
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cordes
Guitare de Jean Baptiste dit Jean Voboam
La famille Voboam a exercé à Paris, contribuant à fixer les canons de la guitare parisienne de l’époque baroque.
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cordes
Guitare dite « de Lambert »
Au XVIIIe siècle, époque où la romance est en vogue, la guitare séduit par sa facilité de jeu et par son caractère léger.
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cordes
Guitare à sept cordes de Lacote/Coste
Cette guitare à sept cordes est le fruit des indications données par le guitariste virtuose Coste au luthier Lacote.
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cordes
Guitare de Robert Bouchet
Cette guitare classique et sa jumelle, également conservée au Musée de la musique, ont appartenu au célèbre duo formé par Ida Presti et Alexandre Lagoya.
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cordes
Guitare Django Reinhardt
Cette guitare est l’un des derniers instruments ayant appartenu à Django Reinhardt.