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Œuvre
Le Malade imaginaire
Marc-Antoine Charpentier
Carte d’identité de l’œuvre : Le Malade imaginaire de Marc-Antoine Charpentier |
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Genre | comédie-ballet |
Librettiste | Jean-Baptiste Poquelin dit Molière |
Langue du livret | français |
Composition | 1re version : 1672-1673 2e version : 1674 3e version : 1685 |
Création | le 10 février 1673 au théâtre du Palais-Royal à Paris |
Forme | comédie avec prologue en musique et trois actes, chacun suivi d’un intermède musical |
Instrumentation | Voix : chanteurs Orchestre : violons, violes de gambe, flûtes à bec, percussions dont mortiers d’apothicaire, clavecin |
Contexte de composition et de création
Durant plusieurs années, le duo formé depuis 1664 par le compositeur Jean-Baptiste Lully (1632-1687) et le dramaturge Molière (1622-1673) est intarissable et permet l’émergence d’un nouveau genre (la comédie-ballet) ainsi que d’un répertoire incroyable et inédit. Mais tout bascule en 1672 lorsque Lully reçoit le privilège de l’Académie royale de musique, lui conférant alors un pouvoir quasi total sur la création musicale et plus particulièrement la création opératique à la cour. Il finit même par obtenir du roi Louis XIV l’interdiction de faire une représentation accompagnée de plus de deux airs et de deux instruments, soit en vers françois ou autres langues, sans la permission par écrit dudit sieur Lully
.
Ces restrictions consacrent l’inévitable rupture entre les deux Baptiste, laissant Molière à la recherche d’un nouvel acolyte qu’il trouvera en la personne de Marc-Antoine Charpentier (1634-1704). Alors jeune compositeur inconnu du grand public, Charpentier va pouvoir révéler sa finesse et son talent à travers les intermèdes chantés et dansés qu’il compose pour d’anciennes pièces de Molière (Le Mariage forcé, Les Fâcheux) puis pour Le Malade imaginaire. Dans l’ombre d’un Lully toujours plus enclin à étendre son pouvoir, l’œuvre verra sa partition modifiée plusieurs fois avec au moins trois versions différentes.
En 1673, Molière espère encore que sa comédie-ballet pourra être jouée lors du grand carnaval donné par le roi. Mais celle-ci sera éclipsée par un spectacle proposé par Lully et la première représentation du Malade imaginaire aura finalement lieu « à la ville » au théâtre du Palais-Royal.
En 1674, une deuxième version de la pièce voit le jour : Le Malade imaginaire avec les défenses. Ces « défenses » correspondent aux nouvelles contraintes imposées par Lully, à savoir une réduction de l’effectif scénique autant sur le plan des instrumentistes que sur le plan des chanteurs. C’est cette version qui sera finalement donnée à Versailles devant le roi, le 21 août. Malheureusement, Molière, mort juste après la quatrième représentation de sa pièce en 1673, n’aura jamais vu ce Malade imaginaire dans le lieu auquel il était, depuis le début, destiné.
En 1685, l’œuvre est à nouveau remaniée et devient Le Malade imaginaire rajusté autrement pour la 3e fois.
Argument
Personnages principaux :
- Argan, le malade imaginaire
- Béline, seconde épouse d’Argan
- Angélique, fille d’Argan
- Béralde, frère d’Argan
- Cléante, amant d’Angélique
- Toinette, servante d’Argan
- Thomas Diafoirus, fils de médecin et promis à Angélique
Argan, éternel hypocondriaque qui passe son temps à ingurgiter des potions inefficaces pour traiter des maladies imaginaires, est le jouet de cupides médecins qui profitent de sa naïveté. Béline, qu’Argan a épousé en secondes noces, n’attend quant à elle que la mort de son mari pour hériter de sa fortune.
Argan envisage de marier sa fille Angélique à Thomas Diafoirus, fils de médecin, ce qui lui permettrait d’être toujours bien soigné. Mais Angélique est secrètement amoureuse de Cléante qui s’est introduit dans la maison en se faisant passer pour un maître de musique.
Béralde, le frère d’Argan, et Toinette, la servante, s’unissent pour faire entendre raison à Argan et lui ouvrir les yeux sur les gens qui l’entourent. Ils proposent à Argan de simuler sa mort et d’observer les réactions des membres de sa famille : tandis que Béline se réjouit, Angélique déplore sincèrement la disparition de son père. Argan met un terme à sa comédie et consent au mariage de sa fille avec Cléante, à condition que le jeune homme se fasse médecin. Béralde intervient et suggère à son frère de devenir lui-même médecin. La pièce se termine sur une grande cérémonie burlesque, simulacre d’intronisation à la médecine en faux latin.
Les intermèdes musicaux et dansés sont placés, pour la majorité, à la fin de chaque acte :
- Premier intermède (fin acte I) : petite comédie mettant en scène Polichinelle, l’amant de Toinette, qui vient déclamer une sérénade à sa maîtresse.
- Acte II : au cœur de l’acte II, une scène musicale voit les deux jeunes gens, Angélique et Cléante, se déclarer leur amour en chanson.
- Deuxième intermède (fin acte II) : Béralde offre à son frère un divertissement, des
Égyptiens et Égyptiennes vêtus en Mores, qui font des danses entremêlées de chansons
. - Troisième intermède (fin acte III) :
C’est une cérémonie burlesque d’un homme qu’on fait médecin, en récit, chant, et danse.
Il s’agit de la fameuse cérémonie d’intronisation d’Argan à la médecine.
Langage musical
Le Malade imaginaire est une « comédie-ballet » – une « comédie mêlée de musique et de danse » comme précisé dans le sous-titre de l’œuvre – c’est-à-dire une pièce alternant des moments parlés avec des moments chantés ou chorégraphiés. Par la musique, le compositeur doit ainsi parvenir à unifier deux univers : celui, essentiellement aristocratique, du ballet et de la musique de cour, et celui plus bourgeois qui se rapproche davantage de la comédie.
Marc-Antoine Charpentier va réussir à créer de vrais moments poétiques et lyriques notamment dans les parties de ballet, les parties dansées ou bien les chœurs, mais il se saisit tout aussi bien du comique grâce à l’utilisation des instruments de l’orchestre faisant de ce dernier un personnage supplémentaire de la pièce. Compositeur de l’époque baroque, Charpentier utilise les procédés de composition bien typiques de celle-ci comme par exemple la basse continue : un instrument ou un groupe d’instruments (clavecin et viole de gambe ou violoncelle) vient soutenir le chant dans les passages en récitatif, ces moments où le rythme du texte chanté est très proche du parlé et sert au public à comprendre l’intrigue. Adepte, comme Molière, du style italien assez en vogue à l’époque, il s’attache particulièrement à mettre les voix en valeur et pratique de nombreuses reprises au sein de chaque partie qui compose son œuvre.
Zoom sur...
Chœur « Joignons tous dans ces bois » (Prologue)
Le Prologue – « Églogue en musique et en danse » –, sans lien réel avec l’intrigue, est composé à la gloire du roi Louis XIVAprès les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre monarque, il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire, et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux.
Dédicade de l’édition de 1673, citée dans Marc-Antoine Charpentier de Catherine Cessac, Éditions Fayard, p. 67. qui vient de rentrer couronné de succès d’une campagne militaire en Hollande. Le chœur « Joignons tous dans ces bois » est un chœur à 5 voix qui chante ici la grandeur du roi, accompagné par les violons et la basse continue :
Joignons tous dans ces bois
Nos flûtes et nos voix,
Ce jour nous y convie ;
Et faisons aux échos redire mille fois :
« Louis est le plus grand des rois ;
Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie ! »
La musique suit le sens du texte et lui apporte une dimension encore plus profonde.
Dès le premier couplet (Joignons tous [...] nous y convie), l’écriture du chœur est caractéristique d’un prologue célébrant le monarque : très verticale mais dans un tempo rapide, elle donne à la fois un caractère triomphant et martial à l’extrait. L’homorythmie employée par Charpentier (chaque partie est donnée avec le même rythme), entre les voix elles-mêmes et avec les instruments qui les doublent, facilite la compréhension du texte et donne également à ce dernier une certaine densité grâce aux différents registres entendus (grave, médium, aigu).
Le second couplet joue sur plusieurs niveaux pour résonner avec le texte « faisons aux échos redire mille fois » :
- d’une part, la répétition de segments de phrase (« mille fois », « plus grand des rois », puis « Louis »), dans des nuances différentes (du forte au piano, voire pianissimo), exprime musicalement l’écho évoqué ;
- d’autre part, le jeu de question/réponse entre les voix et les instruments participe également à la transposition musicale du texte.
Bourrée (Prologue)
La bourrée est à l’origine une danse populaire traditionnelle du Centre de la France (régions du Berry, du Limousin, du Morvan et de l’Auvergne) avant de devenir une danse de la cour. Même si l’on sait qu’elle était très en vogue au temps de Louis XIV, on retrouve sa trace en amont, dès 1604 dans un carnet de Jean Héroard, médecin à la cour de Louis XIII qui note que le jeune roi « danse la bourrée » en mangeant. Le nom de cette danse provient des brindilles et petit bois que l’on attachait en fagots et autour desquels les gens dansaient. La bourrée se danse en couple. Le tempo est rapide et la musique est à deux temps. Chaque début de phrase est précédé d’une levée qui crée un effet d’élan et lance la danse avec beaucoup de dynamisme.
Charpentier va respecter ces règles dans la bourrée qu’il compose pour le Malade imaginaire tout en lui conférant de nouveau un côté traditionnel et pastoral en confiant la danse aux bergers et bergères.
Troisième intermède (acte III)
Le Malade imaginaire n’est pas la première pièce dans laquelle Molière se moque ouvertement des médecins (il y eu précédemment L’Amour médecin et Le Médecin malgré lui). Mais la satire de ce troisième intermède est particulièrement féroce. Elle prend la forme d’une parodie de cérémonieCe témoignage très ironique de John Locke, datant de 1676, semble appuyer l’existence de telles cérémonies : Recette pour faire un docteur en médecine. Grande procession de docteurs habillés de rouge, avec des toques noires ; dix violons jouant des airs de Lulli. Le président s’assied, fait signe aux violons qu’il veut parler, et qu’ils aient à se taire, se lève, commence son discours par l’éloge de ses confrères, et le termine par une diatribe contre les innovations, et la circulation du sang. Il se rassied. Les violons recommencent. Le récipiendaire prend la parole, complimente le chancelier, complimente les professeurs, complimente l’académie. Encore les violons. Le président saisit un bonnet qu’un huissier porte au bout d’un bâton, et qui a suivi processionnellement la cérémonie, coiffe le nouveau docteur, lui met au doigt un anneau, lui serre les reins d’une chaîne d’or, et le prie poliment de s’asseoir. Tout cela m’a fort peu édifié.
Cité par Charles Magnin dans « Quelques pages à ajouter aux œuvres de Molière », Revue des deux mondes, juillet 1846. d’intronisation des médecins et se déroule en plusieurs parties :
- la cérémonie débute avec l’entrée de l’assemblée (
huit porte-seringues, six apothicaires, vingt-deux docteurs, et celui qui se fait recevoir médecin, huit chirurgiens dansants, et deux chantants
) au son d’une ouverture majestueuse et d’une suite de danses ; - le président clame un long discours dans un latin incompréhensible (comme le sera l’ensemble de la cérémonie), entrecoupé de courtes interventions instrumentales ;
- puis, l’un après l’autre, les docteurs interrogent l’aspirant médecin dont les réponses sont ponctuées par un chœur d’approbation ;
- la cérémonie prend fin : les docteurs s’inclinent devant le nouvel intronisé (Air des révérences) puis, après un discours toujours aussi incompréhensible d’Argan, toute l’assemblée danse et chante (au son des mortiers d’apothicaire) avant de quitter la scène.
Auteure : Coline Infante