Marcus Miller (1959-)
Marcus Miller, qui a très tôt pratiqué la clarinette et le piano, se consacre à la guitare basse en jouant dans diverses formations new-yorkaises dès l’âge de quinze ans. Sa carrière de musicien de studio l’amène très vite à travailler avec des artistes aussi divers que Aretha Franklin, Grover Washington Jr., McCoy Tyner, Elton John, Bryan Ferry… Sa rencontre avec Miles Davis, en 1981, laissera quant à elle une marque profonde et durable...
Les idoles de jeunesse
Marcus Miller est encore dans le ventre de sa maman quand Miles Davis grave les cinq morceaux qui composeront Kind of Blue, cet Everest du jazz moderne dont le cœur battant n’est autre que le contrebassiste Paul Chambers, futur modèle revendiqué de notre bientôt nouveau-né – le 14 juin 1959, il fait vibrer ses deux premières cordes… vocales et pousse son premier cri.
Marcus Miller a presque dix ans quand Miles Davis, toujours lui, envisage l’avenir, se met au courant (électrique) et enregistre In a Silent Way avec Wayne Shorter, John McLaughlin, Herbie Hancock, Joe Zawinul, Chick Corea et Tony Williams. Nous sommes en 1969. À la télévision, Marcus Miller regarde danser Michael Jackson et ses frères. Il se dit que les Jackson Five pourraient bien être six puisqu’il a le même âge que Michael… Il a tout juste onze ans quand sa future idole, Larry Graham, grave avec Sly & The Family Stone le manifeste du funk moderne sur fond de basse électrique slappée : ce morceau d’anthologie s’intitule « Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) » et date de 1970. Plus tard, notre futur bassiste écoutera aussi passionnément Robert « Kool » Bell du groupe Kool & The Gang, James Jamerson, le « Monsieur Basse » des studios Motown et Rocco Priesta, maître à groover de Tower of Power, célèbre formation jazz-funk d’Oakland.
Marcus Miller a quatorze ans et, à la même époque, Stevie Wonder s’émancipe définitivement des rigueurs esthétiques de la firme Motown pour rêver d’un autre monde et enregistrer Innervisions. Nous voilà en 1973 et, trente ans plus tard, Stevie Wonder reste l’une des rares stars avec qui Marcus Miller n’a pas collaboré. Mais, il en convient lui-même, son chant a profondément inspiré son jeu. Cordes vocales ou cordes graves : l’émotion passe avant tout. Un an plus tard, en 1974, Marcus Miller se joue en boucle le premier album éponyme de Stanley Clarke (le jazz-rock est à son apogée), That’s the Way of the World, d’Earth, Wind & Fire (le funk formaté pop, il fallait le faire, personne ne fera mieux), Mister Magic de Grover Washington (l’album culte du soulman du sax ténor) et Jaco de Jaco Pastorius (le Charlie Parker de la basse).
Jeune bassiste surdoué
1974, 1975, 1976 : le temps passe, notre jeune homme grandit et devient lui-même musicien professionnel. Il souffle d’abord dans une flûte à bec, puis passe à la clarinette basse. Mais le jour où il s’empare d’une basse électrique, c’est pour ne plus jamais la lâcher – il ne laisse pas pour autant tomber la clarinette basse, et c’est cette double entente « grave » qui fait, entre autres qualités, sa singularité musicale. Miles Davis, Paul Chambers, Larry Graham, Stevie Wonder, Stanley Clarke, Jaco Pastorius, Earth, Wind & Fire, Grover Washington, etc. Trompettistes, bassistes, saxophonistes, groupes cultes… Ils forment la voie lactée qui brille dans l’espace sonore de Marcus Miller, bassiste d’exception, virtuose jamais démonstratif qui a su transcender son rôle d’instrumentiste pour voir la vie en couleurs, pour donner au jazz, au funk et à la soul des allures et des airs plus (en)chantants.
Dès la deuxième moitié des années 1970, notre homme court d’un bout à l’autre de New York, s’envole parfois pour Los Angeles, squatte les studios d’enregistrement les plus réputés. Les grands noms de la soul, du jazz et de la pop s’arrachent ce jeune bassiste surdoué. Pourtant, ce natif de Brooklyn est bien plus qu’un simple « requin de studio ». Marcus voit plus loin que le bout de sa basse : Miller veut marquer son ère. Rapidement, ses compositions riches et chatoyantes, combinées à ses talents de producteur, séduisent chanteurs et souffleurs de tous horizons – David Sanborn, Luther Vandross, Bozz Scaggs, entre autres. Mais tout ça n’est rien, ou presque, à côté de ce qui lui arrive, à peu près en même temps, au début des années 1980...
Avec Miles Davis
Dans son appartement new-yorkais, un grand homme vit reclus depuis 1976. Il se laisse aller. Rumine le passé. Broie du noir. S’il continue comme ça, il va bientôt mourir d’ennui. Il s’appelle Miles Davis. En 1981, il revient parmi les vivants. Le petit monde du jazz est en émoi. Les jeunes musiciens qui forment son nouveau groupe impressionnent les foules. Le bassiste notamment – tout le monde, enfin, met un visage sur ce nom : Marcus Miller. Jusqu’en 1983, Monsieur Davis aime M.M. Mais vous connaissez Miles : sa musique doit aller plus vite que la musique, on ne s’arrête pas sur le temps qui passe. Alors Marcus-le-bassiste laisse sa place et s’en retourne voir ailleurs. Trois ans plus tard, c’est Marcus-le-musicien – multi-instrumentiste, compositeur, arrangeur, producteur – qui revient près de Miles. Ensemble, ils enregistrent Tutu. Succès immédiat. Miles est une pop star. Merci Marcus. Le titre éponyme est aujourd’hui un standard moderne, et le style Miller est définitivement scellé avec cet album-clé. Amandla (1989) prolonge le plaisir. Symbole : pour Miles, il compose le poignant… « Mr. Pastorius », qui clôt le dernier véritable album du trompettiste.
Enfin leader
1991 : Miles tire sa révérence. Mort du père spirituel. Sa musique est éternelle. La vie continue. Comme par hasard – oh que non ! –, Marcus Miller commence alors à enregistrer sous son nom. En 1993, The Sun Don’t Lie lance brillamment sa deuxième carrière : celle d’un leader épanoui, sûr de son art. Il n’est plus seulement le bassiste à suivre (et à imiter !) mais aussi un musicien modèle qui, après quinze ans d’aventures tous azimuts, sait parfaitement cadrer son champ d’expression, entre mélodies ciselées et arrangements soignés. En dix ans et trois albums studio, Marcus Miller a définitivement imposé sa marque : celle d’un musicien respectable et respecté qui sait faire fructifier l’héritage des grandes musiques noires. Une mélodie de Stevie Wonder, le souvenir de Billie Holiday, l’ombre géante de Miles, la mémoire de John Coltrane, un clin d’œil à Prince, un « Tutu » magnifié... Il faut toujours s’attendre au meilleur avec Miller.
Auteur : Frédéric Goaty
(extrait des notes de programme des concerts du 28 et 29 octobre 2003 ; mise à jour : août 2005)
Artiste prolifique, à la fois interprète, compositeur, arrangeur et producteur, Marcus Miller multiplie les projets. Considéré comme l’un des jazzmen les plus influents de sa génération, il poursuit avec succès sa carrière solo depuis plus de 20 ans (son album M2 remporte le Grammy Award du meilleur album de jazz contemporain en 2001). En 2011, il rend hommage à Miles Davis avec le double album live Tutu Revisited (capté en 2009), puis avec la tournée Tribute to Miles Davis aux côtés de Wayne Shorter et Herbie Hancock. Il compose également des musiques de film et anime deux émissions de radio hebdomadaires. En 2010, il est récompensé pour l’ensemble de sa carrière aux Victoires du Jazz.
En 2013, Marcus Miller est nommé « artiste pour la paix » par l’Unesco. Porte-parole du projet La Route de l’esclavage, il s’en inspire pour son album Afrodeezia (2015) dans lequel se mêlent les influences de divers pays d’Afrique de l’Ouest, d’Amériques du Sud et des Caraïbes.
(dernière mise à jour : avril 2019)