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Petite Histoire lyrique de l’art français : du style galant au style méchant Germaine Tailleferre
Carte d’identité de l’œuvre : Petite Histoire lyrique de l’art français : du style galant au style méchant de Germaine Tailleferre |
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Genre | opéra : opéra bouffe |
Librettiste | Denise Centore |
Langue du livret | français |
Commanditaire | Jean Tardieu pour la RTF (Radiodiffusion-Télévision Française) |
Composition | en 1955 en Provence |
Création | le 28 décembre 1955 à la RTF, par l’Orchestre de la RTF sous la direction de Marc Vaubourgoin |
Forme | cycle de cinq opéras bouffes : La Fille d’opéra, Le Bel Ambitieux, La Pauvre Eugénie, Monsieur Petitpois achète un château et Rouille à l’arsenic (dont la partition est perdue) |
Instrumentation | bois : 1 flûte, 1 hautbois, 1 clarinette, 1 basson cuivres : 2 cors, 1 trompette,1 trombone percussions : timbales et autres percussions variées clavier : 1 clavecin cordes pincées : 1 harpe cordes frottées : 8 violons I, 6 violons II, 4 altos, 4 violoncelles, 2 contrebasses L’instrumentation varie légèrement selon les opéras. |
L’Affaire Tailleferre, adaptation à la scène des quatre opéras bouffes | |
Mise en scène | Marie-Ève Signeyrole |
Création | le 11 novembre 2014 à l’Opéra-Théâtre de Limoges, par l’Orchestre de Limoges et du Limousin, sous la direction de Christophe Rousset |
Contexte de composition et de création
À partir des années 1940, l’art radiophonique se développe. De nombreuses commandes sont passées à divers compositeurs, afin de créer une nouvelle forme d’expression répondant aux contraintes imposées par la radio. C’est dans ce contexte que l’écrivain Jean Tardieu, travaillant à la radio, commande à Germaine Tailleferre une œuvre destinée à la RTFRadiodiffusion-Télévision Française. La compositrice se lance alors dans l’écriture d’un cycle de cinq courts opéras bouffes : La Fille d’opéra, Le Bel Ambitieux, La Pauvre Eugénie, Monsieur Petitpois achète un château et Rouille à l’arsenic (la partition de ce dernier est actuellement perdue), réunis sous le titre Petite Histoire lyrique de l’art français : du style galant au style méchant. Chacun de ces opéras, dont la durée individuelle ne dépasse pas vingt minutes, est un pastiche d’un style musical français, depuis la tragédie lyrique baroque jusqu’à la chanson populaire du XXe siècle. Les livrets sont de Denise Centore, qui n’est autre que la nièce de Germaine Tailleferre. Ses dialogues, enrichis de jeux de mots, adoptent un langage différent selon l’époque à laquelle se situe l’action. La musique de Germaine Tailleferre est à la fois légère et pleine d’humour, mais aussi ironique et grinçante, dénonçant à travers ces histoires de vie l’injustice sociale réservée aux femmes, encore à son époque.
La Fille d’opéra
Argument
Au milieu du XVIIIe siècle, la jeune Pouponne s’installe comme lingère à Paris, et mène une vie joyeuse en compagnie de son nouvel amoureux Mistouflet. Mais plusieurs créanciers viennent successivement frapper à sa porte : ses parents, qui lui ont prêté cinquante livres pour s’établir dans la capitale, puis le bottier et le perruquier, à qui elle doit cent pistoles chacun. Enfin, c’est un inspecteur de police, envoyé par le père de Mistouflet, qui menace d’emprisonner le jeune homme à la Bastille. Afin de surmonter ses problèmes d’argent, Pouponne conclut un marché avec un lord écossais épris d’elle : en échange de ses faveurs, ce dernier s’engage à régler ses dettes et à la faire entrer à l’opéra.
Dans le style de...
(Les minutages indiqués entre parenthèses font référence à la vidéo disponible à l’adresse suivante : https://www.reseau-canope.fr/tailleferre/video/la-fille-d-opera)
Ce premier opéra est un pastiche des tragédies lyriques de Jean-Philippe Rameau1683-1764. L’œuvre débute par une ouverture Maestoso (de 6’41’’ à 6’58’’) de caractère solennel, truffée de rythmes pointés, caractéristiques des ouvertures à la française de l’époque baroque. Des structures claires, des changements de tonalités simples, des récitatifs accompagnés au clavecin (de 08’35’’ à 08’58’’) sont autant d’éléments qui s’inspirent du style d’écriture du XVIIIe siècle. Germaine Tailleferre va même jusqu’à évoquer le timbre de la vielle à roueInstrument dont les cordes sont frottées par une roue en bois, actionnée par une manivelle. Longtemps utilisée dans la musique populaire, elle fait son entrée à la cour au XVIIIe, période à laquelle beaucoup de compositeurs écriront pour elle. dans la scène 3, grâce à une subtile orchestration digne de Raveldont elle a suivi les leçons. Le Trio de la Bastille de la scène 7 (de 01’03’’ à 01’52’’) fait écho à l’air « Tristes apprêts » de la tragédie lyrique Castor et Pollux de Rameau. Et à l’instar de ce dernier, qui n’hésitait pas à agrémenter ses œuvres de gavottes, menuets, et autres danses en tout genre, la compositrice insère des danses typiques de l’époque telles que la forlane de la scène 9 (de 04’14’’ à 05’18’’).
Le Bel Ambitieux
Argument
Au début du XIXe siècle, à Paris, le jeune vicomte Alphonse de Palpébral évoque ses soucis d’argent avec sa maîtresse, la comtesse Clémentine de L’Estourbi, bien plus âgée que lui. Arrive alors Euphrasie, la fille de la comtesse. Apprenant qu’elle possède une confortable dot, le vicomte ne tarde pas à délaisser la mère pour la fille. Il décide d’épouser Euphrasie, tout en espérant bien revenir séduire la comtesse par la suite !
Dans le style de...
(Les minutages indiqués entre parenthèses font référence à la vidéo disponible à l’adresse suivante : https://www.reseau-canope.fr/tailleferre/video/la-fille-d-opera)
C’est ici l’opéra romantique de Rossini1792-1868, Auber ou Boieldieu que pastiche Germaine Tailleferre. La mélodie de l’Ouverture (de 07’00’’ à 07’40’’) reprend la tête de celle de La Fille de l’opéra, tandis qu’à l’accompagnement, la cellule mélodico-rythmique est directement tirée de l’Ouverture du Barbier de Séville de Rossini. La grande expressivité et les changements de tonalité inattendus sont typiques du XIXe siècle. L’écriture orchestrale, faisant intervenir des instruments solistes, évoque le style des compositeurs romantiques, à la recherche de nouvelles couleurs et de combinaisons de timbres inédites. Germaine Tailleferre insère dans cet opéra des danses à la mode dans les salons de l’époque : la mazurka de la scène 3 rappelle celles de Chopin, et le trio de la scène 6 est une valse, danse alors très en vogue. La romance d’Euphrasie (scène 8) évoque un autre genre très à la mode au XIXe siècle : celui de la mélodie et du lied. Enfin, les premières mesures de la scène 11 sont une citation de la Marche nuptiale tirée du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, et le chœur final est typique, encore une fois, des opéras de Rossini.
La Pauvre Eugénie
Argument
L’action se déroule au début du XXe siècle, dans un atelier de couture parisien. La jeune Eugénie doit travailler dans des conditions difficiles, répondre aux commandes des clientes et se contenter de repas frugaux. Après avoir été renvoyée, elle songe un temps au suicide mais renonce en pensant à son fils qu’elle élève seule. Finalement, elle retrouve le bonheur auprès du livreur Gégène.
Dans le style de...
(Les minutages indiqués entre parenthèses font référence à la vidéo disponible à l’adresse suivante : https://www.reseau-canope.fr/tailleferre/video/la-pauvre-eugenie)
Dans cet opéra, l’habituel découpage en scènes est abandonné au profit d’une division en cinq « tranches de vie ». Germaine Tailleferre nous plonge ici dans le style naturaliste des œuvres de Gustave Charpentier1860-1956 : l’air d’Eugénie « Après l’instant où je me suis livrée » (de 05’21’’ à 06’12’’), dans la 1re tranche de vie, est un pastiche de l’air « Depuis le jour où je me suis donnée » (de 03’40’’ à 05’04’’) de l’opéra Louise de Charpentier. Dans un souci de réalisme, les personnages s’expriment dans une sorte de parler-chanter, se calquant sur le rythme naturel de la voix. Les airs sont des chansons de structure simple, sentimentales, voire naïves, cherchant là encore à rappeler le réalisme de la vie quotidienne. Citons par exemple la chanson « Le Rond de saucisson » (de 00’11’’ à 01’34’’) dans la 2e tranche de vie, où Eugénie nous décrit sa condition de pauvre ouvrière, ou encore le duo final entre Eugénie et Gégène (de 07’45’’ à 10’14’’), empli de sentimentalisme.
Monsieur Petitpois achète un château
Argument
Faisant face à des problèmes d’argent, le duc de la Bombardière décide de vendre son château situé à Romorantin. Monsieur Petitpois, un riche industriel parisien, se propose comme acquéreur, et visite le domaine en compagnie de sa fille Héloïse et de son neveu Oreste, également fiancé d’Héloïse. Au cours de la visite, Oreste surprend Héloïse et Adelstan, le fils du duc de la Bombardière, en train de s’embrasser. Afin d’éviter un malheureux duel entre les deux rivaux, le notaire convainc monsieur Petitpois de signer l’acte de vente, tandis qu’Adelstan obtient la main d’Héloïse.
Dans le style de...
(Les minutages indiqués entre parenthèses font référence à la vidéo disponible à l’adresse suivante : https://www.reseau-canope.fr/tailleferre/video/monsieur-petitpois-achete-un-chateau)
Dès les premières notes, Germaine Tailleferre nous immerge dans l’univers joyeux de Jacques Offenbach1819-1880. Les scènes juxtaposent des sections musicales contrastées, aussi bien dans la texture (solos/chœurs, orchestre tutti/effectif réduit) que dans les rythmes (à deux temps, trois temps...) et les tempos. Le caractère enlevé des thèmes, le jeu sur les textes (onomatopées, syllabes répétées...), ainsi que l’évocation par moments de la musique militaire rappellent sans conteste le style musical du maître de l’opérette. La Valse tyrolienne de la scène 3 (03’56’’ à 05’39’’) fait écho à la tyrolienne présente dans l’opéra bouffe La Vie parisienne, et le duo entre Héloïse et Adelstan de la scène 5 (de 02’20’’ à 03’06’’) est un pastiche de l’air de Valentin dans l’opéra-comique La Chanson de Fortunio (de 00’32’’ à 02’16’’).
NB : nous ne traiterons pas ici du dernier opéra Rouille à l’arsenic dont la partition est malheureusement perdue.
Quatre opéras formant un tout
Bien que traitant d’histoires différentes, ces quatre opéras sont malgré tout inscrits dans une continuité. Certaines similitudes existent entre les différents livrets : l’action se situe chaque fois à Paris (même si dans Monsieur Petitpois... les parisiens voyagent pour acheter le château), et l’histoire d’amour est toujours compromise par des soucis d’argent, résolus grâce à l’arrivée inattendue d’un personnage providentiel. L’unité est également présente au niveau musical : Germaine Tailleferre utilise le même orchestre de chambre (à quelques détails près), certains thèmes communs circulent d’une œuvre à l’autre, et un chœur final faisant intervenir l’ensemble des protagonistes vient clore chaque opéra.
L’Affaire Tailleferre
En 2014, l’Opéra de Limoges adapte à la scène le cycle des quatre opéras bouffes, dans un spectacle intitulé L’Affaire Tailleferre. Dans ce spectacle, les quatre histoires deviennent quatre procès successifs, liés par une même unité de temps et de lieu, celle du tribunal. Des personnages et des textes reliant les pièces ont alors été ajoutés pour le besoin de la mise en scène.
Auteure : Floriane Goubault