Crédits de l’exposition
- Commissaires : Philippe Bruguière ; Gaetano Speranza
- Scénographie et graphisme : BL associés, Robert Ostinelli
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Expositions temporaires du musée de la musique
La Parole du fleuve raconte ici une histoire particulièrement insolite à travers la culture africaine. Loin des éternels tambours et percussions, c’est en effet à l’univers mystérieux, intimiste et peu connu de ces instruments que cette exposition, la première de ce type au monde, a préféré s’attacher.
La harpe joue un rôle important dans la culture africaine. Qu’elle soit instrument de cour, comme ce fut le cas en Ouganda, investie d’un rôle reconnu au sein de la société, comme au sein du peuple zande, ou d’une fonction rituelle et religieuse, comme au Gabon, elle s’est essentiellement développée au sein des traditions musicales de plusieurs pays d’Afrique centrale.
L’exposition s’attache à suivre cet instrument à travers les pays baignés par les grands fleuves africains et à présenter la diversité et les différents rôles que joue la harpe dans ces contrées. On pourra ainsi admirer une centaine de harpes, dont certaines, agrémentées de surprenantes têtes sculptées, témoignent de traditions et de coutumes ancestrales. Les instruments, provenant de musées et de collections privées, sont présentés avec des objets usuels issus de plusieurs pays d’Afrique.
Les origines de la harpe se situent en Asie mineure à l’époque des premières dynasties sumériennes. L’existence de harpes arquées élaborées, dès la première moitié du IIIe millénaire, laisse supposer que l’instrument avait déjà traversé une longue période de développement. La harpe arquée (au manche recourbé) est jouée horizontalement ou verticalement, parfois avec un plectre.
Elle semble coexister à la même époque en Egypte pendant l’Ancien Empire et se développera par la suite durant le Moyen et le Nouvel Empire en une grande variété de formes aux proportions parfois imposantes. Pendant la Basse-Epoque, les manches, plus ou moins arqués, sont quelquefois ornés d’une tête sculptée à leur extrémité supérieure.
La harpe est également présente dans les îles cycladiques dans le courant du IIIe millénaire. Quelques rares petites figurines de marbre retrouvées sur les îles de Keros, Thera et Naxos représentent des harpistes assis jouant une harpe triangulaire dont la structure est fort différente des harpes arquées sumériennes ou égyptiennes de la même époque.
Le massif de l’Ennedi, situé au nord-est du Tchad, est riche en gravures et peintures rupestres dont les plus anciennes remontent au IVe millénaire. La variété des styles et des scènes figurées permet de situer la chronologie des différentes périodes ; la représentation de plusieurs harpistes sur des peintures datant de la période bovidienne récente (premier millénaire) atteste de l’existence reculée de la harpe arquée dans cette région de l’Afrique saharienne.
L’imaginaire médiéval se représente l’Afrique comme un continent fantasmatique, peuplé de créatures monstrueuses et surnaturelles. La légende du prêtre Jean, selon laquelle le roi des rois habite au coeur de l’Afrique dans un palais de cristal regorgeant de richesses, alimente curiosité et convoitise.
C’est en 1482, alors qu’il longeait la côte occidentale de l’Afrique, que Diego Cão, capitaine de marine portugais, franchit l’équateur et découvre l’embouchure d’un immense fleuve, le fleuve Congo qui, « sur un espace de vingt lieues, conserve son eau douce, sans qu’enserrent de part et d’autre viennent s’y mêler ».
À maintes reprises, et plusieurs siècles durant, les voyageurs tenteront vainement de remonter le cours de ce fleuve mystérieux qui s’enfonce rapidement dans de profondes gorges rocheuses et dans lesquelles s’engouffrent d’impétueux rapides.
Il fallut attendre 1877 pour que Henry Morton Stanley, le célèbre explorateur qui retrouva Livingstone, réussisse l’exploit de suivre d’est en ouest, jusqu’à son embouchure, la longue course de ce gigantesque fleuve Congo en contournant, par portage, rapides et cataractes infranchissables. Le coeur de l’Afrique centrale, alors encore vierge de toute pénétration occidentale, va rapidement devenir l’enjeu économique (ivoire et caoutchouc) d’une colonisation brutale et impitoyable qui va coûter la vie à des millions d’Africains réduits à la condition d’esclaves.
Les harpes du continent africain sont regroupées en deux régions : en Afrique occidentale (Sénégal, Mali, Guinée, Burkina Faso, Côte d’Ivoire) et en Afrique centrale (Ouganda, République Démocratique du Congo, République centrafricaine, Tchad, Cameroun, Gabon). En Afrique de l’Ouest, la plupart des harpes présentent une caisse hémisphérique en calebasse, prolongée par un manche droit ; les cordes reposent sur un chevalet vertical et leur nombre est très variable selon les régions.
La harpe bolon des Senoufo possède trois ou quatre cordes tandis que la grande kora du Sénégal en comporte vingt et une. Le faisceau des cordes, soutenu par le chevalet vertical, est toujours perpendiculaire à table d’harmonie (la surface de la peau recouvrant la caisse). Cette disposition du plan des cordes par rapport à celui de la table caractérise la famille des harpes.
Tous ces instruments sont joués par des musiciens professionnels. Plus au sud, dans la zone forestière, existent des harpes semblables mais dont la caisse, rectangulaire, est fabriquée en bois. En Mauritanie, est jouée par les femmes une harpe ardin, dont le chevalet horizontal, qui fait aussi office de cordier, relie la base du manche à l’extrémité de la caisse. Les harpes d’Afrique centrale ont le plus souvent une caisse en bois ovale, naviforme ou rectangulaire, recouverte d’une peau cousue sur le dos de l’instrument. Le manche, arqué ou coudé, est le plus souvent emboîté dans la caisse. Le chevalet-cordier qui retient les cordes est situé sous la table d’harmonie.
Il est le plus souvent appuyé sur les bords supérieurs et inférieurs de la caisse. Le plan de cordes est toujours perpendiculaire au plan de la table. Nombre de ces harpes possèdent cinq cordes, accordées selon un système pentatonique largement répandu en Afrique subsaharienne. En Ouganda et au Gabon, elles en ont huit, tandis que dans le sud tchadien, comme au Cameroun, elles peuvent en compter jusqu’à douze.
Les fleuves ont été, et demeurent encore, pour les nombreuses populations qui vivent à proximité, des axes de communication privilégiés, et les harpes les ont très certainement empruntés lors des grandes migrations du passé.
Les repères historiques des harpes de cette région sont rares. Les instruments les plus anciens et les plus représentés proviennent des populations zande-nzakara ; quelques harpes zande, arrivées en Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle, pourraient avoir été fabriquées un siècle plus tôt.
L’organisation des peuples d’Afrique centrale est très diversifiée, allant de formes plus ou moins centralisées du pouvoir (royaumes, chefferies) à des organisations villageoises égalitaires regroupant quelques familles.
De nombreux groupes pour lesquels le territoire n’était pas nécessairement une composante identitaire essentielle ont, par le passé, effectué des déplacements répétés. La quête de nouveaux espaces de culture ou de chasse, les conflits, les razzias esclavagistes ou la recherche de contacts commerciaux ont été à l’origine d’importantes migrations.
La colonisation et l’évangélisation de ces populations ont par la suite contribué à la destructuration de leur société et de leur identité culturelle traditionnelle. En suivant ces événements, la harpe s’est déplacée et vraisemblablement modifiée ; dans certaines régions, sa tradition a pratiquement disparu.
Certaines caractéristiques organologiques sont communes à toutes les harpes d’Afrique centrale : peau recouvrant totalement ou partiellement la caisse, manche arqué ou coudé, chevalet/cordier parallèle à la table. Toutefois, les instruments présentent une grande variété de formes et de dimensions ainsi que quelques traits organologiques distinctifs.
Trois types principaux coexistent selon la façon dont le manche est solidarisé à la caisse. La harpe ennanga de l’Ouganda est constituée d’une caisse ovale recouverte d’une peau reliée par de longues ligatures à une petite pièce de cuir située sur le fond de la caisse. Le manche est arqué, il pénètre dans la caisse en s’appuyant sur son bord supérieur et repose sur le fond. Les deux extrémités du chevalet recouvrent la base du manche et le bord opposé de la caisse.
La harpe kundi se rencontre au sein de nombreuses populations de la République Centrafricaine et du nord de la République démocratique du Congo. Elle existe aussi sous d’autres noms au Tchad comme au Cameroun. En République Centrafricaine et République démocratique du Congo, la caisse en bois épouse des formes variées. Elle se prolonge par un fourreau dans lequel vient s’insérer le manche arqué (sculpté ou non). Une peau, le plus souvent d’antilope mais aussi d’éléphant ou de reptile, recouvre complètement la caisse et son fourreau. Elle présente une ou plusieurs coutures, souvent très soignées, sur la face dorsale de la caisse. Le chevalet-cordier est situé sous la peau et s’appuie en général sur les deux extrémités de la caisse. Il est parfois apparent au centre de la peau et, dans certains cas, il est fixé par deux petites chevilles de bois sur les extrémités de la caisse. Dans le sud tchadien ainsi qu’au Cameroun, ce chevalet est quelquefois constitué d’une petite pièce de bois simplement brochée dans la peau.
La harpe ngombi est propre à l’ouest de la République Centrafricaine et au Gabon. La table d’harmonie, plus ou moins rectangulaire, est constituée d’une peau ligaturée autour de la caisse. Elle est aussi parfois fixée sur les pourtours de la caisse à l’aide de chevilles. La caisse en bois se prolonge à son extrémité supérieure par une protubérance, sculptée ou non. Le manche repose entre le sommet de la caisse et la base de cet appendice auquel il est fixé par des fibres végétales.
Inhérente au mode de vie traditionnel dans la plupart des régions du continent africain, la pratique musicale est une activité collective concomitante à l’organisation de la vie sociale et indispensable à son équilibre.
La musique est investie d’une fonction rituelle ou récréative en de nombreuses occasions qui rythment l’existence de l’individu ou du groupe. La célébration d’une naissance, les rites de puberté, les funérailles, les cérémonies liées aux activités agricoles ou à la chasse et le culte rendu aux ancêtres sont autant de circonstances auxquelles est associée la musique. Elle accompagne aussi les danses de divertissement auxquelles chacun des membres de la communauté peut participer.
De par sa délicate sonorité et sa nature intimiste, la harpe est en général étrangère aux musiques d’ensemble. Elle est l’instrument solitaire du poète ou du conteur et incarne le pouvoir de la parole. Elle était autrefois, chez certaines populations, étroitement associée aux clans royaux et jouissait de privilèges qui la singularisaient et donnaient à sa parole une autorité incontestée. Elle préside aussi, dans certains cas, aux rituels d’initiation et aux cérémonies de guérisons collectives.