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Le romantisme et la chanson révolutionnaire française
Le contexte historique et social
Le XIXe siècle a connu de nombreux changements politiques impulsés par la Révolution de 1789. En effet, au cours de ce siècle, pas moins de trois régimes politiques ont alternativement gouverné la France.
Depuis 1799, c’est Bonaparte qui gouverne le pays en tant que Premier consul de la Ire République, après le coup d’état du 18 brumaire. En 1804, il se fait sacrer Empereur sous le titre de Napoléon Ier : c’est le début du Premier Empire. Cet homme combatif étend les frontières de la France pour finalement connaître un revers sanglant à Waterloo en 1815, face à une coalition européenne qui se dresse contre lui.
Ce sont alors les Bourbons qui reviennent au pouvoir et rétablissent la souveraineté absolue : c’est la Restauration. Louis XVIII gouverne jusqu’à sa mort en 1824. Il reprend le drapeau blanc et accorde une constitution aux Français. Son frère Charles X lui succède mais ce dernier, favorable à l’absolutisme, suspend certaines libertés en 1830. Face à ces décisions, le peuple se rebelle et manifeste son mécontentement lors de la révolution de 1830 qui se soldera par l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe : c’est la monarchie de Juillet. Louis-Philippe adopte le drapeau tricolore et se montre plus libéral que son prédécesseur.
Cependant, épuisée par la crise économique, la population revendique davantage de libertés. En février 1848, les étudiants parisiens se soulèvent et renversent la monarchie qui laisse place à une république (la IIe République). Un gouvernement provisoire, qui établit le suffrage universel masculin, est mis en place. Sur l’initiative de Victor Schœlcher, l’esclavage est aboli. Le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte (neveu de Napoléon Ier) est élu président de la République mais, peu avant la fin de son mandat, il organise un coup d’état. Il dissout l’assemblée et s’empare du pouvoir (le 2 décembre 1851). Il rétablit l’Empire et devient empereur sous le nom de Napoléon III.
Jusqu’en 1860, l’Empire est autoritaire puis devient plus libéral (tolérance des syndicats, droit de grève, liberté de la presse partielle…). Par ailleurs, Napoléon III mène une politique extérieure active. En 1870, il déclare la guerre à la Prusse et est fait prisonnier à Sedan. À Paris, un gouvernement provisoire proclame la IIIe République, le 4 septembre 1870. Adolphe Thiers signe la paix avec l’Allemagne et la nouvelle république s’organise. Les libertés de la presse et de réunion sont rétablies, et Jules Ferry fait voter les lois scolaires (gratuité, obligation de scolarité, laïcité de l’enseignement public…).
Parallèlement aux nombreux bouleversements politiques, la ville de Paris connaît de nombreux changements tout au long du XIXe siècle. Sur le plan économique, les industries se développent, ce qui suscite beaucoup d’espoir pour le peuple. Les campagnes se vident car les hommes pensent trouver du travail dans la capitale et avoir une vie meilleure, plus décente. Mais il n’en est rien : la misère est toujours présente, les ouvriers sont exploités ainsi que les enfants qui travaillent toute la journée dès leur plus jeune âge. Les familles vivent dans des conditions atroces, tant par manque d’hygiène que par manque d’espace. Elles s’agglutinent dans des taudis où prolifèrent maladies et vermines. Ces faits sont évoqués et dénoncés par Victor Hugo dans Les Misérables ; c’est ce qu’il nomme « l’asphyxie sociale ».
Dans ces conditions, une réorganisation de Paris s’impose ; c’est sous l’Empire que ces changements seront opérés avec les grands travaux dirigés par Haussmann, qui amélioreront l’espace de vie. Cependant, les luttes pour de meilleures conditions de travail se poursuivent.
Le contexte artistique
Le mouvement romantique
Le XIXe siècle voit l’émergence d’un mouvement artistique dans la continuité des idées révolutionnaires mais en contrepoint des idées des Lumières du siècle précédent. En effet, le trop plein de raison laisse place à une plus grande sensibilité, moins philosophique, plus religieuse et plus sentimentale. Le mouvement romantique se déploie en Europe et trouve ses racines dans les « romans » médiévaux. Comme dans ces œuvres du Moyen Âge, on prône un certain idéal et une plus grande humanité, mais aussi, et c’est là la nouveauté, un plus grand intérêt pour l’individu au détriment du groupe. Les artistes partent en quête et veulent transmettre des émotions, partager leur lutte et leurs idéaux. En ce sens, la montée des mouvements nationalistes dans une Europe en plein renouveau est un thème très présent dans les œuvres de l’époque.
Même si Delacroix ne voulait pas qu’on lui attribue une étiquette, ses tableaux illustrent bien ce mouvement, tant dans les thèmes abordés (Scènes des massacres de Scio) que dans les techniques utilisées (La Mort de Sardanapale) ; et c’est bien son célèbre tableau, La Liberté guidant le peuple, symbole de toute une génération, qui inspirera le personnage de Gavroche à Hugo, chef de file des romantiques. En effet, les artistes du mouvement romantique veulent s’affranchir des règles du classicisme qui leur imposait de nombreuses contraintes.
En littérature, le drame de Victor Hugo, Hernani, fait office de première œuvre romantique dont les principes ont été exposés par l’auteur lui-même dans la préface de sa pièce Cromwell (1827). Le succès d’Hernani marqua la victoire des romantiques qui s’étaient opposés avec violence aux « anciens » lors de la première représentation de la pièce (cette polémique est restée sous le nom de « Bataille d’Hernani »).
Les pièces de théâtre se caractérisent par un mélange des genres, une volonté de faire vrai, de peindre la réalité même si cela passe par un appauvrissement de la langue. Cet anticonformisme se retrouve dans le caractère des héros de roman appartenant à ce mouvement (Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Fabrice Del Dongo dans La Chartreuse de Parme du même auteur). Ce sont des personnages révoltés, souvent désenchantés par leur époque mais animés d’un courage hors norme, même s’ils sont souvent confrontés à l’échec. Ce désappointement est encore plus tangible dans les poèmes romantiques qui sont plus axés sur l’expression de la sensibilité (Méditations poétiques de Lamartine). Le poète s’appuie sur une nature rassurante mais qui le dépasse et le renvoie, par son immensité, à sa solitude et sa douleur.
Ce mouvement est donc à la fois représentatif des combats du peuple qui jalonnent le début du XIXe siècle mais aussi de la quête vers un idéal inaccessible qui peut provoquer une certaine mélancolie. À moins de s’élever tel l’homme du tableau de Friedrich Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages (1818)...
La chanson révolutionnaire française
Les racines de la contestation
Le peuple de France a de bonne heure utilisé la chanson contre les puissants, avec un esprit satirique parfois très violent, qu’il s’agisse des mazarinades pendant la Fronde ou des libelles contre Marie-Antoinette et la cour de Louis XVI dans les années qui précèdent la prise de la Bastille.
Durant la Révolution française, une forme de chanson politique naît dans les rues de Paris. Les chants et les hymnes qui se répandent au fil des jours contribuent à diffuser les idées, à commenter les événements : Ah ! ça ira, Le Grand Projet, La Carmagnole, Le Bonnet de la liberté, La Marseillaise, La Guillotine en sont les principaux exemples.
Alors que le Consulat et surtout l’Empire ont éteint toute liberté publique, la presse renaît difficilement sous la Restauration. Une large partie de la population ne sait pourtant ni lire ni écrire, de sorte que la chanson joue un rôle important pour garder les esprits en éveil. Subtile et insaisissable, elle est une des meilleures armes de la clandestinité. À une époque où il n’existe évidemment ni disque ni radio, elle se transmet par le bouche à oreille ou par les feuilles de colportage faciles à dissimuler. Le public adopte les chansons en ignorant souvent le nom de leurs auteurs, au point d’en faire une nouvelle tradition orale.
Les chansonniers de la Restauration
Tous les chansonniers de la Restauration sont d’extraction modeste ; les plus connus sont Pierre-Jean de Béranger et Émile Debraux. Ce dernier, surnommé « le Béranger de la classe ouvrière », est le poète du peuple, comme Béranger est celui de la bourgeoisie instruite. Bien que disparu prématurément en 1831, Debraux laisse une œuvre importante, où figurent des chansons de styles variés : patriotiques, philosophiques, anecdotiques, bachiques, romances, etc. Son plus grand succès est Fanfan la tulipe.
Sympathisant des mouvements républicains, Béranger est un bourgeois libéral engagé contre la Restauration, défenseur de la liberté d’expression, anticlérical, mais il n’est pas un révolutionnaire ardent. Il est un des premiers à célébrer Les Gueux, à railler La Censure ; il professe ses idées dans Ma Vocation, La Sainte Alliance des peuples, se moque des gouvernants dans Le Ventru, Le Marquis de Carabas, etc.
Debraux et Béranger restent tous les deux fidèles au souvenir de Napoléon Ier et œuvrent pour sa mémoire dans des chansons telles que La Colonne et T’en souviens-tu ? pour le premier, Les Souvenirs du peuple pour le second. C’est entre autres ce qui leur vaudra les foudres de la justice royale, laquelle ne ménage pas les chansonniers : plusieurs d’entre eux doivent subir des interdictions, de fortes amendes, des séjours plus ou moins longs à la prison de Sainte-Pélagie (située dans le 5e arrondissement de Paris).
Sa réputation d’auteur séditieux vaut à Béranger une immense popularité. Il est de son vivant considéré comme l’un des plus grands poètes de son temps, par les gens du peuple mais aussi par les hommes de lettres. Il a inventé un genre de chansons philosophiques qui se chantent partout : ateliers, cabarets, salons, campagnes, guinguettes…
Les goguettes
La Restauration et la Monarchie de Juillet voient également se multiplier des sociétés chantantes clandestines appelées « goguettes ». Lors des réunions hebdomadaires organisées chez un marchand de vin, leurs membres entonnent à tour de rôle des refrains satiriques, frondeurs ou plus simplement épicuriens qu’ils ont fraîchement écrits sur des airs connus. Ces chansonniers amateurs (comme Jules Vinçard, Hégésippe Moreau, Louis Festeau, Gustave Leroy, Charles Gille, Charles Colmance, Savinien Lapointe…) sont pour la plupart ouvriers ou artisans ; ils s’inspirent du quotidien et de l’évolution des conditions de vie. Accompagnant la naissance du socialisme, les goguettes sont des lieux de contre-pouvoir au rôle politique certain, surveillés de près par la police.
Ayant contribué à l’avènement de Louis-Philippe en 1830, Béranger préfère ne pas se mêler des nouvelles luttes qui s’engagent et se retire bientôt à la campagne, avec un prestige intact. Ses œuvres publiées en recueils atteignent une popularité considérable, supérieure même, pour l’heure, à celle de Victor Hugo. Auteur aux talents multiples, ce dernier est en revanche très impliqué dans la vie politique : de sensibilité royaliste, il deviendra peu à peu réformiste.
Les poèmes d’Hugo recèlent une musique intérieure qui les rapproche de la chanson, mais il ne veut pas être mis en musique à son insu. Il écrit pourtant lui-même quelques chansons, qui relèvent du registre des romances, grande spécialité des salons bourgeois ou nobles : Rantanplan, Gastibelza, L’aurore s’allume, Mon nez est en larmes, Sonnez tambours… Et lorsqu’il utilise le terme « chanson » pour désigner une poésie, son style se fait plus enfantin.
Une nouvelle génération de chansonniers
La décennie suivante verra grandir le chansonnier Pierre Dupont : il lance Le Chant des ouvriers qui deviendra l’hymne de 1848, puis Le Chant du pain, Le Chant du vote, Les Journées de juin, etc. Sa réputation de socialiste républicain lui vaudra d’être pourchassé après le coup d’état du 2 décembre 1851. Condamné à la déportation en Algérie, il demande sa grâce et continuera à chanter des œuvres plus tièdes, sans pouvoir satisfaire ni la bourgeoisie ni le prolétariat. Son nouveau style est symbolique du climat du Second Empire qui parvient à museler les goguettes et presque toute velléité révolutionnaire.
La relève viendra de nouveaux auteurs comme Eugène Pottier. Formé dans une goguette, ce dernier s’est déjà illustré durant la révolution de 1848 avec Le Vote universel et Chanson de fou. Il livrera l’essentiel de son œuvre durant et après la Commune : outre les paroles de L’Internationale (écrites en 1871), il signera Quand viendra-t-elle ?, Elle n’est pas morte, L’Insurgé, etc. Les chansons de Jean-Baptiste Clément liées à la Commune marqueront aussi les mémoires : La Semaine sanglante et surtout Le Temps des cerises, qui était pourtant au départ une romance…
Auteurs : Céline Beneth et Martin Pénet