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La MarseillaiseGenèse, reprises et citations
La genèse de La Marseillaise
Un chant de guerre nocturne
Le 20 avril 1792, à Paris, l’Assemblée législative déclare officiellement la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, l’archiduc d’Autriche François II de Habsbourg. Cinq jours plus tard, à l’issue d’une réception, le maire de Strasbourg déplore qu’il manque à la France révolutionnaire un hymne pour galvaniser les troupes. Aussitôt, le capitaine Claude Joseph Rouget de Lisle prend la plume. Auteur et compositeur à ses heures perdues, il écrit pendant la nuit un Chant de guerre pour l’armée du Rhin qui s’inspire des affiches et des slogans placardés sur les murs de la ville : Aux armes citoyens ! L’étendard de la guerre est déployé
. Le lendemain, l’officier entonne son chant devant une petite assemblée, la femme du maire l’accompagnant au piano. Le succès recueilli est le premier d’une longue série. Des partitions manuscrites sont aussitôt produites afin d’assurer la diffusion de l’hymne qui connaît peu après, à Strasbourg, une première édition.
Une diffusion rapide
Au cours de l’été 1792, la partition du Chant de guerre pour l’armée du Rhin est imprimée par plusieurs éditeurs (le nom de l’auteur n’est pas toujours précisé et les partitions diffèrent parfois de la version originale). L’œuvre se diffuse alors à une vitesse impressionnante dans toute la France, atteignant rapidement Montpellier ou Marseille. C’est la reprise du chant par les volontaires marseillais faisant une entrée remarquée dans Paris, le 30 juillet 1792, qui donne à l’hymne son identité méridionale. Le Chant de guerre pour l’armée du Rhin se transforme alors en Hymne des Marseillais ou Marche des Marseillais. L’œuvre devient définitivement associée à la France révolutionnaire quand tous les insurgés de Paris l’entonnent le 10 août, jour de la chute de la monarchie constitutionnelle.
Quelques semaines plus tard, François-Joseph Gossec établit une première version du chant avec orchestre, à partir des différentes partitions alors en circulation. Le 2 octobre, l’Hymne des Marseillais est donné à l’Opéra de Paris, intégré au spectacle musical L’Offrande à la liberté conçu par le compositeur.
Du chant révolutionnaire à l’hymne national
Le chant de Rouget de Lisle acquiert ses galons d’hymne patriotique officiel trois ans plus tard, le 14 juillet 1795, quand la Convention décrète que l’Hymne des Marseillais sera entonné chaque jour à la garde montante du Palais national
. La pièce n’est toutefois pas la seule dans ce cas – le même traitement est réservé au Chœur de la Liberté de Gossec – et le sacre de Napoléon en 1804 mettra un terme à ce statut.
Il faut attendre 1830 et la révolution de Juillet pour entendre l’Hymne des Marseillais résonner à nouveau dans les rues de Paris. Berlioz compose à cette période son propre arrangement de l’œuvre, pour deux chœurs et un orchestre volumineux.
Mais ce n’est qu’avec la IIIe République, le 14 février 1879, que La Marseillaise est déclarée officiellement hymne national. À la tête d’une commission ministérielle, le compositeur Ambroise Thomas décide en 1887 d’une version officielle de l’hymne qui ne connaîtra plus que de légères modifications.
Langage musical
Auteur de plusieurs chansons, Rouget de Lisle connaît les compositeurs les plus célèbres de son temps (Ignace Pleyel, Étienne Nicolas Méhul, André Grétry…) et s’est même lancé dans l’écriture de livrets d’opéras-comiques. Il maîtrise donc suffisamment les bases du langage musical pour produire un chant adapté aux circonstances. Selon le compositeur Henri Barraud, Rouget de Lisle s’est cependant certainement inspiré de l’oratorio Esther de Jean-Baptiste Lucien Grisons où l’on trouve, il est vrai, un chœur qui comporte bien des similitudes avec la structure mélodique et harmonique de La Marseillaise.
Écrit dans la tonalité de sol majeur (selon la version de 1887), l’hymne comporte cinq sections pour les couplets, et deux sections pour le refrain :
Couplet :
- 1. Allons enfants de la patrie, / Le jour de gloire est arrivé
- 2. Contre nous, de la tyrannie, / L’étendard sanglant est levé
- 3. L’étendard sanglant est levé
- 4. Entendez-vous, dans les campagnes / Mugir ces féroces soldats ?
- 5. Ils viennent jusque dans vos bras / Égorger vos fils, vos compagnes
Refrain :
- 6. Aux armes, citoyens ! / Formez vos bataillons !
- 7. Marchons, marchons ! / Qu’un sang impur / Abreuve nos sillons !
Outre le caractère militaire, accentué par le rythme pointé (alternant notes longues et brèves) et les intervalles larges (qui rappellent des sonneries de trompette), on note quelques subtilités dans l’écriture musicale qui accompagne le sens du texte : la mélodie monte dans l’aigu au fur et à mesure que l’étendard sanglant est levé
, l’harmonie la plus tendue se manifeste sur le verbe peu musical « mugir », un passage dans la tonalité mineure survient pour assombrir la section 5… Avant d’être un hymne national, La Marseillaise est bien une œuvre musicale à part entière !
Reprises et citations
Clairement identifié comme un symbole de la France révolutionnaire dès la fin du XVIIIe siècle, l’Hymne des Marseillais ou La Marseillaise fait partie des hymnes nationaux qui frappent le plus l’oreille (notamment grâce à ses quatre premières notes), ce qui explique ses nombreuses reprises.
Un symbole de la France guerrière
Bon nombre de compositeurs étrangers se sont emparés de l’hymne pour évoquer le passé militaire de la France en musique : en 1840, Robert Schumann procède ainsi dans Die beiden Grenadiere op. 49 n° 1 pour donner à entendre le prestige passé de l’Empire français. En 1882, Piotr Ilitch Tchaïkovski commémore la victoire russe de 1812 sur les armées napoléoniennes dans une Ouverture 1812 organisée comme un champ de bataille : initialement menaçante, La Marseillaise s’incline finalement devant le traditionnel choral des armées russes. En 1929, Dmitri Chostakovitch cite également l’hymne français dans sa musique pour le film La Nouvelle Babylone dont l’action de déroule pendant la Commune de Paris en 1871.
Souvenirs du pays
Artistes français et étrangers ont aussi utilisé La Marseillaise en lui ôtant son caractère guerrier pour évoquer simplement la France. C’est ainsi que Johann Strauss l’entend à la fin de sa Valse de Paris : si la caisse claire vient rappeler l’origine militaire de l’hymne, le tempo de valse donne à La Marseillaise une allure dansante inédite – le compositeur viennois cherche ainsi à s’attirer les bonnes grâces des Français alors qu’il réalise une tournée dans l’Hexagone pendant l’hiver 1837-1838. L’intention est comparable dans Echoes of France de Django Reinhardt. En 1946, alors que la guerre vient de s’achever, le guitariste de jazz retrouve à Londres le violoniste Stéphane Grappelli, son vieux camarade du Quintette du Hot Club de France. Spontanément, le violoniste se met à jouer les premières notes de La Marseillaise, comme un souvenir de leur passé heureux de l’autre côté de la Manche. Aussitôt, le guitariste le rejoint et l’hymne s’empreint d’un swing qu’on ne lui connaissait pas ! Le morceau qui en résulte fera cependant polémique et le disque sera même un temps interdit – à l’époque, on se demande si les accents jazzy donnés au chant ne sont pas une manière de s’en moquer…
La Marseillaise détournée
Dès les mois qui suivent la création du Chant de guerre pour l’armée du Rhin, des parodies de l’hymne commencent à circuler. Le 25 novembre 1792, La Feuille du matin publie de nouvelles paroles peu guerrières : À table, citoyens ! Videz tous les flacons !
Par la suite, le caractère révolutionnaire du chant est régulièrement détourné : Jacques Offenbach l’emploie dans son opéra bouffe Orphée aux enfers (composé en 1858) pour caractériser avec humour la révolte des dieux de l’Olympe. Et ce n’est pas non plus sans esprit que John Lennon, « artiste révolutionnaire » selon ses propres dires, choisit l’hymne français pour ouvrir le premier direct en mondovision des Beatles, le 25 juin 1967. Les Beatles interrompent bientôt La Marseillaise après quelques mesures par des « love, love, love » langoureux… Le geste anti-militariste n’échappe à personne alors que la guerre du Vietnam fait rage ; tandis que la contre-culture hippie est en plein essor, All you need is love devient l’hymne du Summer of Love à venir.
Une Marseillaise multiculturelle ?
En 1979, une reprise de La Marseillaise provoque une polémique autrement plus importante que celle qui avait pu toucher Grappelli et Reinhardt trente ans plus tôt : revisitant l’hymne national avec des rythmes reggae nonchalants, Serge Gainsbourg choque certains de ses auditeurs. Contrairement à ce qui est reproché à l’artiste avec une virulence rare teintée d’antisémitisme, Aux armes et cætera n’est cependant pas une insulte à l’hymne national. Gainsbourg a sollicité les meilleurs musiciens jamaïcains dans leur pays et a voulu rendre à l’hymne son caractère révolutionnaire par une originalité musicale renouvelée : Je suis un insoumis qui a redonné à La Marseillaise son sens initial !
, s’écrie-t-il face à son public, à Strasbourg en 1980. Le chanteur entonnera l’hymne seul pour apaiser les esprits et la polémique s’épuisera au bout de quelques mois, ouvrant la voie à de nombreuses relectures multiculturelles de La Marseillaise : Jean-Loup Longnon en proposera une version samba (en 1992), Henri Agnel une version arabe (en 1994)… Notre hymne national n’a pas fini de vivre et de revivre.
Auteur : Tristan Labouret