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Opérette française et opérette viennoise
Aux origines de l’opérette
Le terme opérette désigne littéralement une « petite œuvre » – petit opéra – avec la particularité de faire alterner des dialogues parlés, du chant, et de la danse.
L’opérette apparaît en France au milieu du XIXe siècle et s’inscrit directement dans l’héritage de l’opéra-comiqueNé au XVIIIe siècle, l’opéra-comique désigne un genre lyrique où alternent parties musicales chantées et dialogues parlés. Le sujet n’est pas toujours comique, mais fait souvent référence à l’actualité ou la vie quotidienne. L’opéra-comique s’oriente vers le romanesque et la sentimentalité dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, puis vers le sérieux et le dramatique dans la deuxième moitié du XIXe, avant de tomber en désuétude à la fin du siècle. français du XVIIIe siècle associant les dialogues parlés de la comédie et le chant. Ainsi Saint-Saëns, cité par Reynaldo Hahn en 1926, définissait l’opérette comme une fille de l’opéra-comique, une fille qui a mal tourné
[1].
Dans le Paris du Second Empire, Hervé et Offenbach
On attribue à Louis-Auguste-Florimond Ronger (1825-1892), de son nom de scène Hervé, la paternité de l’opérette. Alors qu’il est organiste à la chapelle de l’hôpital Bicêtre qui accueille des patients « aliénés », il a l’idée de créer un vaudeville, L’Ours et le Pacha, faisant alterner théâtre et chant, interprété par ses patients.
Musicothérapeute avant l’heure, il avait remarqué que la musique les apaisait. Hervé a composé d’autres œuvres désormais qualifiées d’opérettes comme Don Quichotte et Sancho Pança en 1847. En 1854, il ouvre un théâtre sur le boulevard du Temple, Les Folies-Nouvelles, dans lequel il produira ses opérettes, ainsi que les premières de son principal futur concurrent Jacques Offenbach (1819-1880) (Oyayaye ou la Reine des îles en 1855). L’opérette est alors de petit format, adapté aux espaces réduits des théâtres : un seul acte, peu de personnages sur scène, peu de musiciens.
Après ses débuts au côté d’Hervé, Offenbach est propulsé sur le devant de la scène en 1855 en faisant jouer ses opérettes au Théâtre des Bouffes-Parisiens, nouvellement inauguré. Le succès est fulgurant, le public parisien et celui de l’Exposition universelle se bousculent pour y entendre ses œuvres. Offenbach, qui ambitionnait de fonder une compagnie d’assurances mutuelles contre l’ennui
[2], allait donner ses lettres de noblesse à ce nouveau genre.
En 1858, le gouvernement du Second Empire lève les contraintes de production des théâtres, favorisant ainsi l’émancipation de l’opérette. En effet, jusqu’alors, le nombre d’interprètes sur scène était réduit à trois et l’orchestre ne devait pas comporter plus de trente musiciens. Offenbach s’empare de cette liberté nouvelle pour développer ses opérettes en deux puis trois actes, composées pour un orchestre symphonique et un plus grand nombre de personnages. L’opérette s’étoffe et tend, dès lors, à prendre le nom d’opéra bouffe (même si les deux termes se confondent souvent et que les frontières des genres sont encore floues).
L’opérette, emblème culturel français
Contrairement aux opéras, dans les opérettes on ne meurt pas : le public vient y chercher le rire, les situations burlesques y font pleurer de joie. L’Olympe des dieux grecs, métaphore de la bourgeoisie parisienne, est parodié dans Orphée aux enfers (1858) par les librettistes Ludovic Halévy et Victor Crémieux puis dans La Belle Hélène (1864) du même Halévy et Henri Meilhac. Le public bourgeois, issu de la révolution industrielle, apprécie de se voir tourné en dérision et caricaturé.
Dans l’opérette, Offenbach intègre aussi la danse de cabaret, comme le cancan, conférant à ces spectacles une identité culturelle, véritable vitrine du Paris du Second Empire. En 1867, à l’occasion de l’Exposition Universelle, le directeur du Palais-Royal passe commande de La Vie parisienne au trio Offenbach, Halévy, Meilhac. L’œuvre va accompagner l’événement et parachever de faire de l’opérette un emblème culturel français envié de tous, dont un certain Johann Strauss fils, compositeur autrichien présent à Paris cette même année pour faire entendre son Beau Danube bleu à l’Exposition Universelle.
De Paris à Vienne, du cancan à la valse
Le succès d’Offenbach s’exporte dans toute l’Europe et particulièrement à Vienne où le SingspielÉquivalent de l’opéra-comique français, le Singspiel est un genre d’opéra mêlant chants et dialogues parlés. précède l’opérette. Ses œuvres sont régulièrement jouées (Les Deux Aveugles, 1856 ; Le Mariage aux lanternes, 1858 ; La Belle Hélène, 1865) dans la capitale autrichienne et donnent des idées aux compositeurs locaux. Le précurseur est Franz von Suppé (1819-1895). Chef d’orchestre dans différents théâtres, dont le Theater An der Wien, il s’inspire d’Offenbach en adaptant à la manière de l’opéra bouffe la farce musicale viennoise (Singspiel et Possenfarce avec chant). Suppé est concurrencé par un de ses cadets, Johann Strauss fils, dont le père avait donné ses lettres de noblesse à la valse. À 46 ans, en 1867, lorsqu’il découvre La Vie parisienne à Paris, Strauss fils a déjà 342 opus à son actif (valses, polkas, quadrilles). Le compositeur sait qu’il peut faire aussi bien qu’Offenbach et Suppé. Le public ne s’y trompe pas. En 1871 avec Indigo et les 40 voleurs, il est sacré « roi de l’opérette » à Vienne. Les succès s’enchaînent : Le Carnaval à Rome en 1873 puis La Chauve-souris en 1874.
Puisque l’opérette est le miroir parodié de la société, Strauss va y faire entendre la diversité culturelle de l’Empire austro-hongrois. La valse, la czardas, la polka vont cohabiter dans un esprit de fête illustrant cette période de déclin de l’Empire qualifiée de « joyeuse apocalypse » par le dramaturge autrichien Hermann Broch. Strauss avait porté la valse orchestrale au rang de joyau du patrimoine autrichien. En l’intégrant à l’opérette, il parvint à créer un genre en lui-même, l’opérette viennoise.
Ses successeurs sont nombreux tels qu’Oscar Straus (1870-1954) avec Die Lustigen Nibelungen, ou Emmerich Kálmán (1882-1953) avec Comtesse Maritza et Violette de Montmartre. En 1905, le Hongrois Franz Lehár (1870-1948), avec La Veuve joyeuse, attribue à la valse un rôle qu’elle ne s’était jamais vue attribuer jusqu’alors : le couple amoureux danse une valse sans se dire un mot, car la danse y remplace les aveux intimes que l’on a coutume de se confier par le langage...
[3].
Sources principales
- Olivier AGARD, « Jacques Offenbach ou l’archéologie de la modernité » dans Culture de masse et modernité sous la direction de Nia Perivolaropoulou et Philippe Despoix, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2005
- Camille CRITTENDEN, Johann Strauss and Vienna, Operetta and the Politics of Popular Culture, Cambridge University Press, New York, 2006
- Elfried JELINEK, « L’innocence persécutée » (opéra La Chauve-souris, Johann Strauss), dans 26 Lectures d’opéra, Christian Bourgeois Éditeur, Paris, 2006
- William M. JOHNSTON, L’esprit viennois, une histoire intellectuelle et sociale, 1848-1938, University of California, 1972
- Jacques ROUCHOUSE, Que sais-je. L’opérette, Éditions PUF, Paris, 1999
Références des citations
Auteur : Benoît Faucher