Page découverte
La musique en URSS(1922-1953)
En Union Soviétique, le compositeur occupe une place d’honneur. Il bénéficie de l’attention et de la sollicitude du peuple. Sa vie matérielle est assurée, il sait que son travail est nécessaire et hautement apprécié par la société. En outre, il a, bien entendu, profondément conscience de sa responsabilité devant la société, devant l’histoire, devant l’humanité.
Aram Khatchaturian
L’année 1922 est décisive pour l’Union soviétique. La guerre civileDepuis l’abdication de Nicolas II et la chute du tsarisme en 1917, une guerre civile oppose les bolcheviks (« l’Armée rouge ») qui ont pris le pouvoir à différentes factions, notamment les monarchistes (« l’Armée blanche ») partisans du régime tsariste. qui déchirait le pays depuis 1917 s’achève. Le 3 avril 1922, un certain Joseph Staline devient secrétaire général du Parti communiste de Russiefutur PCUS (Parti communiste de l’Union Soviétique) et parti unique à partir de 1923. Le 30 décembre de cette même année, la réunion de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), l’Ukraine, la Biélorussie et la Fédération soviétique de Transcaucasie (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan) donne naissance à l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Sur le plan artistique, cette décennie est celle d’une grande diversité de styles et d’innovations, les avant-gardes continuent à s’épanouir, prolongeant les courants révolutionnaires du symbolisme (les peintres Léon Bakst et Mikhaïl Vroubel), du suprématisme (le peintre Kasimir Malevitch) ou encore du futurisme (le compositeur Alexandre Mossolov).
Le crépuscule des libertés (1922-1936)
Les années 1920 en URSS sont incarnées par Anatoli Lounatcharski, le directeur du commissariat du peuple à l’Instruction (Narkompros), le ministère de la culture bolchévique. Amateur d’art éclairé, persuadé que la Révolution bolchévique de 1917 ne peut se faire sans une révolution des arts, Lounatcharski développe l’éducation artistique en URSS et place des artistes avant-gardistes à des postes de direction : le théâtre est dirigé par le metteur en scène Vsevolod Meyerhold, le peintre post-futuriste David Sterenberg s’occupe des arts plastiques quand le département musique est attribué à Arthur Lourié, un compositeur avant-gardiste à l’instar d’Alexandre Mossolov.
À l’opposé, l’organisation artistique et littéraire du Proletkult défend un art prolétaire débarrassé des esthétiques avant-gardistes considérées comme « bourgeoises » et de l’héritage classique de la musique savante. Elle prône une musique inspirée par des airs traditionnels et dont Aram Khatchaturian fut le grand ambassadeur.
Cette décennie correspond aussi à l’avènement de l’incontournable Dmitri Chostakovitch qui compose son premier opéra (Le Nez, 1928), ses premières symphonies et des ballets qui vantent le nouveau monde bolchévique : L’Âge d’or ou les péripéties d’une équipe de football soviétique piégée par un pays capitaliste et Le Boulon qui nous plonge en plein cœur d’une usine soviétique.
Certains compositeurs russes brillent aussi en dehors de l’URSS, la Révolution russe de 1917 ayant eu comme conséquence l’exil d’artistes de premier plan. Sergueï Rachmaninov est chassé par les soviétiques de sa propriété d’Ivanovka et quitte définitivement son pays natal le 22 décembre 1917. Il est suivi de près par Sergueï Prokofiev qui débute une tournée aux États-Unis en août 1918 avant de s’installer pendant plus de dix ans à Paris. Dans la capitale culturelle mondiale du moment, il rencontre un exilé de la première heure, Igor Stravinski, et compose plusieurs œuvres (Chout, Le Pas d’acier, Le Fils prodigue) pour la prestigieuse compagnie des Ballets russes de Sergueï Diaghilev. Lorsqu’il retourne définitivement en URSS en 1936, le pays qu’avait connu Prokofiev a changé de manière drastique. En effet, les années 1930 et la mise en place d’une politique esthétique autoritaire nommée le « réalisme socialiste » ont sonné le glas des libertés artistiques.
L’avertissement de Lady Macbeth de Mtsensk (1936)
Les années 1930 correspondent à l’avènement du totalitarisme stalinien et, avec lui, à la mise en place d’un régime de terreur avec les Grandes Purges et les Procès de Moscou entre 1936 et 1938. Après le premier congrès des écrivains soviétiques (1934), les artistes sont de plus en plus contraints de produire un art de propagande aux formes traditionnelles et peu novatrices censées plaire immédiatement à tous les soviétiques, une esthétique réactionnaire et académique connue sous le nom de réalisme socialiste ou encore de « jdanovisme »du nom d’Andreï Jdanov, homme politique proche de Staline qui a joué un rôle important dans la politique culurelle de l’URSS. En 1936, un article assassin de la Pravda, le journal officiel d’URSS, condamne Chostakovitch, considéré comme un ennemi du peuple, et son opéra Lady Macbeth de Mtsensk. En cause, une musique trop dissonante et surtout une histoire aux images crues, qui tourne en dérision les représentants de l’État et qui s’achève de manière pessimiste avec des prisonniers cheminant dans le froid. Dans le contexte de déportation massive de citoyens russes dans des goulags de Sibérie, cet opéra est jugé dangereux par Staline et censuré sur le champ. Si le plus grand musicien russe de l’époque, Chostakovitch, est contesté, alors personne n’est à l’abri. Chaque compositeur doit désormais se soumettre à la doctrine esthétique du réalisme socialiste, tenter d’exister et de s’épanouir malgré les exigences de la propagande stalinienne et la surveillance permanente.
Il faudra attendre la mort de Joseph Staline en 1953 pour assister à un assouplissement progressif de cette mainmise du pouvoir sur les artistes. Dans un rapport secret rédigé en 1956, le successeur de Staline, Nikita Khrouchtchev, condamne les purges staliniennes, le culte de la personnalité du dictateur ainsi que son utilisation politique de l’art. Un dégel relatif et éphémère puisqu’il s’achève avec l’arrivée au pouvoir de Léonid Brejnev en 1964 et le retour d’une politique de censure artistique.
Auteur : Max Dozolme