Page découverte
Pierre et le Loup Sergueï Prokofiev
Carte d’identité de l’œuvre : Pierre et le Loup de Sergueï Prokofiev |
|
Genre | musique symphonique : conte musical avec récitant |
Auteur du texte | Sergueï Prokofiev |
Langue du texte | russe |
Composition | 1936 à Moscou |
Création | 2 mai 1936 à Moscou |
Instrumentation | voix : un récitant bois : 1 flûte, 1 hautbois, 1 clarinette, 1 basson cuivres : 3 cors, 1 trompette, 1 trombone percussions : timbales, cymbales, caisse claire, grosse caisse, triangle, tambour de basque, castagnettes cordes : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
En 1935, lors d’un voyage à Moscou, Sergueï Prokofiev assiste à des spectacles donnés par le Théâtre Central pour Enfants de Moscou. Ceux-ci lui inspirent la composition de Douze Pièces enfantines pour piano op. 65. L’année suivante, en 1936, la directrice du Théâtre Central, Nathalie Satz, lui propose de composer un conte symphonique pour enfants. Prokofiev, immédiatement séduit par ce projet, écrit à la fois la musique et l’histoire de Pierre et le Loup en seulement une semaine ! Pierre et le Loup est un cadeau non seulement pour les enfants de Moscou mais aussi pour les miens
, déclare le compositeur, dont le plus jeune fils est alors âgé de 7 ans. L’œuvre est jouée pour la première fois au Théâtre Central le 2 mai 1936 et rencontre tout de suite un succès immense qui perdure toujours. Entre 1936 et 1939, Prokofiev enrichit de nouveau le répertoire de l’enfance avec ses chansons La Bavarde (une petite écolière qui se parle à elle-même), Chansonnette sucrée (un générique de publicité pour la vente de bonbons au Théâtre Central pour Enfants), et Les Petits Cochons.
L’argument
Un matin, le jeune Pierre se promène dans le pré côtoyant sa maison et rencontre un oiseau, un canard et un chat. Inquiet, le grand-père de Pierre somme le garçon de rentrer immédiatement, craignant que le loup ne surgisse. Il ramène Pierre dans le jardin dont il ferme la barrière à clé. Une fois son grand-père rentré, Pierre aperçoit effectivement le loup qui arrive et avale le canard ! Grimpant dans un arbre dont l’une des branches s’étend jusqu’au mur du jardin, le jeune garçon, aidé de l’oiseau, parvient à capturer le loup avec une corde et un nœud coulant. Lorsque les chasseurs paraissent, Pierre leur annonce qu’ils arrivent trop tard et qu’il a déjà capturé le loup. Tous conduisent la bête au jardin zoologique en une marche triomphante.
Le langage musical
Pierre et le Loup est à la fois un conte musical et une œuvre pédagogique : elle a pour but d’aider les enfants à connaître et reconnaître les instruments de musique de l’orchestre, en les associant à des personnages et des animaux. Prokofiev explique cela très clairement dans la préface de l’œuvre :
Chacun des personnages de ce conte est représenté par un instrument de l’orchestre : l’oiseau par la flûte, le canard par le hautbois, le chat par la clarinette staccato dans un registre grave, le grand-père par le basson, le loup par des accords de trois cors d’harmonie, Pierre par le quatuor à cordes, les coups de feu des chasseurs par les timbales et la grosse caisse. Avant l’exécution, il est préférable de présenter ces divers instruments aux enfants et de leur jouer des leitmotivs. De cette façon, ils apprendront sans effort à identifier les différents instruments de l’orchestre.
L’histoire, écrite par Prokofiev lui-même, est donc construite en ce sens :
- Dans la première partie, l’auditeur peut entendre la présentation des personnages qui apparaissent dans cet ordre : Pierre (les instruments à cordes), l’oiseau (la flûte traversière), le canard (le hautbois), le chat (la clarinette), le grand-père (le basson), le loup (les cors). Seuls les chasseurs, représentés par les percussions, n’apparaissent qu’à la fin du conte.
- Dans la partie centrale se noue l’action, déclenchée par l’arrivée du loup : il brise l’harmonieux équilibre que formaient les animaux dans le pré. Le drame s’amplifie au moment où le loup avale le canard, et où Pierre montre son ingéniosité pour attraper la bête.
- Enfin, l’arrivée des chasseurs permet à Prokofiev d’illustrer sa morale : le courage et l’habileté de Pierre, qui n’est qu’un enfant, ont prévalu sur la violence des adultes chasseurs. L’histoire se termine par une marche triomphale sur le thème musical de Pierre, joué de façon magistrale par tout l’orchestre.
Le texte intégral de Pierre et le Loup est à retrouver ici (PDF - 656Ko).
Prokofiev n’a jamais eu peur de choquer avec sa musique : même s’il maîtrise parfaitement les codes classiques, il souhaite par-dessus tout créer son propre style ne ressemblant à aucun autre. Pourtant, au moment de la création de Pierre et le Loup, son état d’esprit est un peu différent. Après plusieurs années d’exil (ayant fui la Russie et la guerre civile en 1918), il envisage alors un retour définitif en URSS et s’attache à se rapprocher de l’esprit soviétique. Il souhaite donc que son langage musical puisse être compris de tous : l’œuvre utilise des harmonies simples, des thèmes musicaux très identifiés, mais reste fidèle à ses domaines de prédilection que sont le rythme comme moteur de la phrase ainsi que la multiplicité des thèmes. Les mélodies composées par Prokofiev dans Pierre et le Loup correspondent à la mission pédagogique que le compositeur s’est donnée : elles caractérisent fortement les différents personnages, sont écrites dans un langage musical très clair, mais néanmoins sans trahir le style incomparable du compositeur.
Focus sur les thèmes
Le thème de Pierre est joué par les cordes : la mélodie, au violon, est accompagnée par les autres cordes qui donnent une impression de légèreté. C’est une musique entraînante, joyeuse. Les rythmes pointés et les notes piquées évoquent l’enfant qui marche en sautillant. La phrase musicale, chantante, est facile à retenir.
Le thème de l’oiseau est donné à la flûte traversière, qui joue d’abord complètement seule. La mélodie, dans l’aigu et très rapide, est émaillée de petites notes (appoggiatures) qui, associées au timbre de l’instrument, accentuent la ressemblance avec un chant d’oiseau. La deuxième partie du thème évoque l’animal qui volette d’une branche à l’autre.
C’est le hautbois qui joue le thème du canard : son timbre « nasillard » rappelle les « coin-coin » de l’animal. La mélodie, écrite dans la tessiture grave de l’instrument, est lente et mélancolique. Les notes longues et les mouvements chromatiques (par demi-ton) donnent l’impression d’une plainte. Clarinette, basson et altos accompagnent la mélodie, dans un registre grave également.
Le chat est représenté par la clarinette, uniquement accompagnée des pizzicatos de la contrebasse puis de toutes les cordes. Le timbre feutré de l’instrument évoque le pas de velours de l’animal, tandis que la mélodie en notes piquées, qui monte et descend sans cesse, rappelle son agilité.
Le thème du grand-père est donné au basson dont le timbre sombre, dans son registre grave, donne l’impression d’un bougonnement. Le côté menaçant est rendu par les accents répétés, tandis que le rythme caractéristique court-long évoque le boitement du grand-père. Le basson est accompagné des cordes en notes incisives et de la grosse caisse qui ponctuent la marche pesante du personnage.
Le loup est représenté par trois cors jouant ensemble, apportant de la profondeur au thème. Celui-ci commence sur un accord long et posé, qui donne un effet théâtral saisissant. Le motif répété (quatre doubles + deux croches), joué en crescendo, est très menaçant. L’accompagnement des cordes en trémolos, dans lequel se fond un roulement de cymbale, accentue le côté dramatique.
Enfin, les chasseurs sont évoqués par la timbale soliste, dont le roulement en crescendo est accompagné par la caisse claire afin d’amplifier l’effet dramatique. Les coups de fusil sont figurés par les accents et les notes rapides du motif suivant le roulement.
L'essentiel
- Prokofiev a composé Pierre et le Loup en 1936, à la demande de la directrice du Théâtre Central pour Enfants de Moscou.
- Prokofiev a écrit le texte et composé la musique (version piano) en une semaine. La pièce a rencontré un immense succès.
- Pierre et le Loup est à la fois un conte musical et une œuvre pédagogique pour présenter les instruments de l’orchestre aux enfants.
- Il y a sept personnages, tous représentés par un instrument (ou une famille d’instruments) de l’orchestre.
Auteure : Bérénice Blackstone