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Histoires d’instruments : les vièles d’Orient
Originaire vraisemblablement d’Asie centrale, les vièles se sont propagées aux quatre coins du monde. Leur morphologie et leur usage ont favorisé leur diffusion : légères, peu encombrantes et robustes, elles ont de tous temps accompagné le chant et la parole.
Les vièles forment ainsi, au gré de leur implantation, une large famille regroupant des types d’instrument de formes et de noms très diversifiés : Kamanche, kemançe, rabab, sarangi, sarod, erhu...
Histoire de l’instrument
Kong shan niao yu
Concert enregistré à la Cité de la musique le 3 décembre 2000
Liu Tianhua, composition ; Ma Xianghua, vièle erhu Wang Chengyi
Les vièles appartiennent à la catégorie des instruments à cordes (cordophones) et plus précisément à celle des luths frottés à archet. Elles se caractérisent par une caisse de résonance qui est soit emboîtée soit traversée par un manche, sur laquelle est fixée une table d’harmonie en bois ou, le plus souvent, une peau (de serpent, de lézard, de chèvre, de mouton) ou une fine membrane de poisson, suivant les aires géographiques. Au cours d’une histoire qui reste encore énigmatique, leur foyer d’origine se situerait en Asie centrale. Elles sont aujourd’hui largement répandues depuis le monde arabe jusqu’en Extrême-Orient, sous des formes et des vocables très variées (kamancheEn persan, kamanche signifie « petite arc ». À l’origine, le kamanche était muni de 3 cordes (2 en soie, la troisième en laiton). Plus tard, suivant l’exemple du violon, une quatrième corde est rajoutée. Toutes sont désormais métalliques , rabab, sarangi, erhuVièle à deux cordes : er signifie « deux », hu « violon ». …). Parmi cette profusion d’instruments de tailles, de cordes, d’usages différents, quelques types fondamentaux peuvent être distingués :
- - les vièles à manche long à pique : instruments à long manche sans frettes, disjoint du corps et prolongé par une pique en dessous de la caisse de résonance, que l’on retrouve principalement au Moyen-Orient ou au Sud- Est asiatique.
Le kamanche, arméno- iranien est reconnaissable à la taille impressionnante de sa pique. Le saw-thaï de Thaïlande a une caisse ovale, bombée dans sa partie inférieure.
Le nom rababLe rabab d’Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc) désigne une petite vièle, monoxyle à la facture élaborée et stylisée, ou rebab, est source de confusion car il désigne à la fois des cordophones pincés ( les luths d’Afghanistan et d’Inde) et des cordophones frottés (les vièles d’Afrique du Nord mais aussi vièles à pique du Sud Est asiatique) : le rabab javanais par exemple témoigne d’un grand raffinement dans sa facture notamment son corps en forme de cœur et son long manche effilé. - - Les vièles à manche long sans pique : le kokyu japonais à la caisse de résonance carrée provient de la vièle chinoise erhu. L’instrument emblématique de la république de Mongolie est la vièle morin huurLe terme générique mongol huur désigne l’ensemble de la catégorie des instruments à cordes (ou cordophones) et >morin huur signifie plus précisément une vièle à tête de cheval. , ornée d’une tête de cheval.
- - Les vièles à manche court, monoxyle c’est-à-dire taillées dans une seule pièce de bois : le manche est une prolongation de la caisse de résonance. Ce type de vièles se décline en une famille d’instruments très diversifiés. Le sarangiSelon un mythe ancien, la vièle indienne sarangi doit son origine à Ravana, roi légendaire de Lanka, qui aurait extrait un tendon de sa propre main pour réaliser un instrument nommé ravanahasta ou « main de Ravana »., petite vièle d’Inde nord, se compose d’un chevillerExtrémité du manche où sont fixées les chevilles dont le nombre équivaut à celui des cordes. massif, d’un manche creux, rectiligne et d’un résonateur allongé et cintré en son milieu. Les vièles sorud et sarinda, aux caisses profondes à double échancrure, s’apparentent au sarangi.
Toutes les vièles se jouent avec un archet qui frotte les cordes. Il peut être plus ou moins courbe, ou même droit, semblable à l’archet du violon moderne. Certaines vièles à manche long ont une particularité : celles d’avoir un archet passé entre les cordes ; C’est le cas pour le tro-hu du Cambodge, le erh-hu et le hu-ch’in (ou Hou-k’in) chinois.
Traditionnel
Concert enregistré à la Salle Pleyel le 16 mai 2009
Sina Jahanabadi, kamanche
Les vièles se sont propagées aux quatre coins du monde. Leur morphologie et leur usage ont favorisé leur diffusion.
A travers le continent asiatique, elles empruntèrent les grandes voies de communication que furent la route de la soie et celle des épices. Elles s’établirent en de solides traditions depuis l’Asie mineure jusqu’en Extrême-Orient sous des noms et des formes d’une grande variété : kamanche, sarinda, sarangi, rabab, kamanche, morin huur, erhu, Dan nhi.
Moyen-Orient :
La vièle à pique kamanche est l’un des instruments importants de la musique persane. Le nom apparaît dès le Xe siècle ; l’instrument circule par l’Anatolie jusqu’à Bysance au XIe et XIIe siècle. Il apparaît en Iran autour du XVe siècle. Elle est présente sous des formes légèrement différentes en Turquie comme en Egypte sous le nom rababa, en Irak et dans le nord de l’Afghanistan elle est appelée Joze (ou djozé). Au cours de l’expansion de l’Islam, différents types d’instruments à cordes portant le même nom de rabab apparaissent dans le monde arabe.
Le rabab d’Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc) désigne une petite vièle, monoxyle à la facture élaborée et stylisée. Elle serait à l’origine de la vièle, ou rebec, qui a pénétré en Europe occidentale et domine les instruments à archet au Moyen Age.
La petite vièle à manche court appelée kemançe, proche du rabab arabe, s’est répandue largement en Turquie. L’instrument que l’on trouve à l’Ouest du pays est très proche de la lyra grecque.
Asie centrale :
Le terme générique mongol huur désigne l’ensemble de la catégorie des instruments à cordes (ou cordophones) et morin huur signifie plus précisément un Huur à tête de cheval. L’origine de cette vièle semble remonter à l’époque où Kubilaï Khan, le petit fils de Gengis Khan, devint Empereur de Chine et fonda la dynastie Yuan (1271-1368). Les peuples nomades de ces vastes régions qui jouaient principalement des instruments à cordes pincées, connurent alors un fort développement culturel et l’apparition des cordes frottées serait concomitante à ces transformations socio-économiques.
Le même type de vièle que le kamanche iranien s’est répandu en Arménie (K’amancha), dans les pays caucasiens, en Géorgie (kemanche) ainsi qu’en Azerbaïdjan (il est mentionné dans un texte de Nezami Ganjavi, 1141-1203). En Ouzbékistan comme au Kazakhstan ou encore au Kirghizistan, cette vièle est appelée ghichack.
Asie du Sud :
Les différents types de vièles que l’on rencontre sur le sous-continent indien, sont pour la plupart issus de traditions rurales autrefois essentiellement joués par des bardes itinérants et le plus souvent en marge des traditions savantes propres aux cours princières.
La sarinda, proche du sorud du Balouchistan, est connue jusqu’aux confins du Nord-Est de la péninsule et de la frontière birmane.
La vièle la plus répandue dans la moitié nord de l’Inde est probablement le sarangi. Le terme est mentionné pour la première fois dans une légende jaïn datée du XIe siècle. Comme toutes les vièles de cette région du monde, il a la particularité d’être taillé dans une seule pièce de bois.
Le groupe de cikara, petites vièles aux formes variées, se propage également aux quatre coins du sous-continent indien.
En Indonésie, le rebab désigne une petite vièle à pique jouée au sein d’orchestres principalement composés de gongs et de métallophones et plus connus sous le nom de gamelan.
Extrême-Orient :
La vièle à deux cordes de type erhu a été largement diffusée en Extrême-Orient et se décline en une famille d’instruments de tailles différentes. Son ancêtre directe, le xiqin, fut introduit dans la Chine Han probablement au début du Xe siècle. Sa présence est attestée à la même époque au Vietnam où il est appelé dan co ou dan nhi. Il existe également en Corée sous le nom haegum.
Chant
Concert enregistré à la Cité de la musique le 19 novembre 2011
Manzoor Ahmed Shah, chant, Abdul Rahim Shah, sarangi Ghulam Mahi-ud-din, râbabAbdal Rashid Shah, percussions gadda et tumbaknari
Aisément transportable et peu fragile lorsqu’elle est monoxyle, la vièle est l’instrument idéal pour accompagner le chant et la parole.
De facture modeste dans la plupart des cas, elle est issue le plus souvent de traditions rurales et s’épanouit principalement dans la musique populaire. A une exception près, le Kamanche, seule vièle à interpréter la musique traditionnelle classique d’Iran. En soliste au côté du santour ou du târ, ou dans un ensemble instrumental, ce dernier se joue à la verticale, la pique posée sur un genou. Le musicien fait pivoter l’instrument autour de l’archet.
Lorsque les bardes et des mendiants sillonnent l’Inde pour transmettre les paroles des grands poètes mystiques des temps médiévaux, ils s’accompagnent au sarangi. L’instrument est rarement présent dans les cours princières : ce sont des musiciens des castes inférieures qui le jouent et l’enseignent aux courtisanes, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Dans les pays d’Extrême-Orient, les vièles chinoises erhu ou vietnamiennes Dan Co (Dan nhi) jouent un rôle essentiel dans les orchestres de théâtre traditionnel.
Mais elles peuvent aussi occuper des fonctions sociales et rituelles. Le Dan nhi accompagne les chants d’aveugle, le Dan co les incantations chamaniques, tandis qu’en Mongolie, le morin huur possède aussi le pouvoir de préserver les troupeaux de la maladie et des mauvais esprits.
De nos jours, le morin huur est enseigné dans des écoles de musiques, à de nombreux pratiquants issus de toutes les couches sociales : il se décline en différentes tailles dont les registres correspondent aux tessitures alto, ténor et basse. Il se joue fréquemment lors des fêtes villageoises et des cérémonies familiales.