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Histoires d’instruments : harpes d’Afrique et d’Asie
Originaire d’Asie mineure, la harpe s’est répandue en Afrique, plus particulièrement le long de certains grands fleuves au cœur du continent.
Instrument de l’intime en Afrique, accompagnant les chants ou transmettant la parole des anciens, la harpe a aussi pris place dans des orchestres de musique traditionnelle, en Birmanie par exemple.
Une tradition de harpe de type occidentale s’est développée aux Philippines, introduite par les espagnols au XVIe siècle.
Histoire de l’instrument
El Pan de la aflicion
El Pan de la aflicion, Anonyme séfarade (tradition orale de Salonique), Andrew Lawrence-King, harpe médiévale et arpa doppia
L’existence des harpes est attestée depuis des millénaires. Les plus anciennes ont été retrouvées en Asie mineure à l’époque des premières dynasties sumériennes (cimetière royal de Ur, 2500 avant notre ère).
Sur le continent africain, plus précisément en Égypte, plusieurs types de harpes sont représentés sur de nombreux reliefs dès l’Ancien Empireconsidéré comme l’âge d’or de la civilisation de l’Égypte antique, l’Ancien Empire couvre une période de cinq siècles (d'environ 2700 avant J.-C. à 2200 avant J.-C.) et s’étend sur quatre dynasties. C’est à cette époque que sont construites les grandes pyramides (Saqqarah, sous le règne du roi Djéser ; Khéops, Khéphren et Mykérinos, éponymes des trois pharaons). et se développent durant le Moyen empirecouvre une période de plus de deux siècles (d’environ 2033 avant J.-C. à 1786 avant J.-C.) et a connu deux dynasties. et le Nouvel Empire période la plus prospère de toute l’histoire de l’Égypte antique qui couvre plus de de cinq siècles (d’environ 1500 avant J.-C. à 1000 avant J.-C..). Trois dynasties se succèdent, dont certains personnages sont illustres (Hatchepsout, Akhénaton, Toutânkhamon, Ramsès, Sethi) en une grande variété de formes aux proportions parfois imposantes. Elles figurent également sur des peintures rupestres du massif saharien de l’Ennedi, situé au nord-est du Tchad et dont les plus anciennes représentations remontent au IVe millénaire.
Dans les îles cycladiques, Thera, Naxos et principalement l’îlot de Keros, ont été retrouvées huit petites figurines de marbre, datées 3200 à 2800 avant J.-C., représentant des harpistes assis jouant une harpe triangulaire dont la structure est fort différente des harpes arquées sumériennes ou égyptiennes de la même époque.
L’apparition des harpes, postérieure à celles des idiophones (percussions sans peau) et des instruments à vent, marque un développement notoire dans l’histoire de la musique : elle permet au musicien d’expérimenter l’univers de la mélodie, de s’accorder à l’autre instrument qu’est la voix.
Morceau au Ngombi
Ethnie Ngbaka : morceau au ngombi, Gabriel Ngotombe, ngombi (harpe à dix cordes), accompagné par Nicolas Masse Moboko à la cloche double
Les harpes du continent africain sont regroupées en deux régions : en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Guinée, Burkina Faso, Côte d’Ivoire) et en Afrique centrale (Ouganda, République Démocratique du Congo, République centrafricaine, Tchad, Cameroun, Gabon).
Elles se sont propagées sous une grande variété de formes et de dimensions, adoptant, selon les régions, des appellations différentes pour nommer le même instrument ou, à contrario, un même nom pour désigner des harpes aux formes distinctes. Certaines caractéristiques organologiques communes méritent d’être mentionnées, dont une propre à la famille des harpes (et qui la distingue des lyres) : la disposition du plan des cordes qui est toujours perpendiculaires à celui de la table d’harmonie.Partie supérieure de la caisse de résonance, en bois ou constituée d’une membrane, sur laquelle les cordes sont tendues. Elle amplifie par ses propres vibrations celles des cordes.
La harpe arquée, prépondérante en Afrique, est jouée horizontalement ou verticalement, rarement avec un plectre.Pièce d’écaille, d’os, de plume ou de métal qui remplace le doigt ou l’ongle du musicien pour mettre la corde en vibration.
Les harpes d’Afrique de l’Ouest :
la plupart des harpes de cette région, que les spécialistes désignent sous le nom de « harpes-luths », présentent une caisse de résonanceC’est « l’enceinte acoustique » de l’instrument. hémisphérique en calebasse, prolongée par un manche droit ; les cordes reposent sur un chevaletPièce de bois dur posé sur la caisse de résonance sur laquelle passent les cordes et qui transmet leurs vibrations à la caisse. C’est également un élément décoratif. vertical et leur nombre est très variable selon les régions.
- Les harpes bolon des SenoufoPopulation présente au Burkina Faso, dans le sud du Mali et au Nord de la Côte d’Ivoire possèdent trois ou quatre cordes tandis que les grandes kora du Sénégal sont munies d’un faisceau de vingt et une cordes.
- Les harpes à la caisse en bois rectangulaire sont fabriquées plus au sud, dans la zone forestière.
- Les harpes ardin de Mauritanie, sont jouées par les femmes : le chevalet horizontal, qui fait aussi office de cordier, relie la base du manche à l’extrémité de la caisse.
Les harpes d’Afrique centrale :
Elles sont réparties au sein d’une vaste étendue se déployant depuis la région des grands lacs jusqu’au Gabon et leur distribution géographique longe certains des grands fleuves qui traversent le cœur du continent.
Elles sont constituées le plus souvent d’une caisse en bois ovale, naviforme ou rectangulaire, recouverte d’une peau cousue sur le dos de l’instrument.
Nombre de ces harpes possèdent cinq cordes, accordées selon un système pentatonique largement répandu en Afrique subsaharienne. En Ouganda et au Gabon, elles en ont huit, tandis que dans le sud tchadien, comme au Cameroun, elles peuvent en compter jusqu’à douze.
Trois types principaux peuvent être distingués en fonction des différents modes de fixation du manche à la caisse :
- Les harpes ennanga de l’Ouganda : le manche prend appui dans le fond de la caisse. Ce type ne s’est pas diffusé.
- Les harpes kundiDésigne un type de harpe qui se rencontre au sein de nombreuses populations de la République centrafricaine et du nord de la République démocratique du Congo. : les harpes kundi les plus nombreuses et les plus anciennes proviennent des populations ZandePopulation à la frontière du Congo et de la République centrafricaine. et Nzakara. Leurs dimensions et leurs formes sont très variées et elles sont réputées pour leur qualité de fabrication : elles sont munies de cinq cordes et le manche est emboîté dans la caisse. Elles se rencontrent au sein de nombreuses populations de la République centrafricaine et du nord de la République démocratique du Congo (Zandé, Nzakara, Banda, etc.). Elles existent aussi sous d’autres noms au Tchad comme au Cameroun. En République centrafricaine et République démocratique du Congo, la caisse en bois épouse des formes variées
- Les harpes ngombiAu Gabon, terme générique pour désigner la harpe. Plus généralement, la harpe ngombi est propre à l’Ouest de la République centrafricaine. : le manche repose sur le sommet de la caisse, relié à une protubérance, sculptée ou non. Ce type ne se rencontre qu’à l’ouest de la République centrafricaine et au Gabon où la harpe possède de sept à huit cordes.
Deux types de harpes se sont répandus sur le continent asiatique : les harpes arquées et les harpes angulaires. Les premières se localisent dans le Sud et le Sud-Est de l’Asie où elles sont toujours jouées ; les harpes angulaires, qui ont pratiquement disparu, étaient à l’ouest du continent.
Toutes deux se jouent à la verticale - les cordes sont alors pincées - ou à l’horizontale, le plectre venant frapper les cordes.
La harpe arquée :
Originaire de Mésopotamie (3e millénaire avant J.-C.), elle apparaît en Inde vers le IIe siècle avant J.-C. et se propage vers le sud-est et la Birmanie en suivant l’expansion du bouddhisme.
La harpe classique birmane appelée Saung-Gauk, est attestée dès le VIIe
Pourvue d’une dizaine de cordes de soie, sa caisse de résonance naviforme est prolongée par un manche en bois dont la courbure fortement accentuée évoque la queue relevée d’un poisson. Caisse et manche sont souvent rehaussés de feuilles d’argent ou d’or ornementées. Elle prend toujours place au sein de l’orchestre classique birman.
La harpe angulaire :
Les représentations les plus anciennes proviennent de Mésopotamie et datent du deuxième millénaire avant J.-C. Constituée de deux parties distinctes, elle se caractérise par l’ajout d’une colonne de soutien parallèle aux cordes.
La harpe Chang, héritière des harpes sumériennes, occupa une place prépondérante en Iran pendant deux millénaires avant de disparaître au XVIIe siècle. Une de ses cousines, la harpe Changi, apparut en Géorgie vers le Xe siècle après J.-C.. Comme la harpe Chang, cette dernière était taillée dans une seule pièce de bois, et était munie de 6, 10 ou 11 cordes de soie. Elle était tenue verticalement sur les genoux. Elle possède de nos jours de 16 à 23 cordes et figure dans les orchestres folkloriques.
La harpe angulaire est parvenue en Asie centrale, probablement en suivant la Route de la Soie pour se répandre en Chine, sous la dynastie Han (111 après J.-C.) puis en Corée (les premiers bas-reliefs datent de l’époque Silla, 668-935 de notre ère) et au Japon (vers le VIIIe siècle ) sous le nom de Konghu ou Konghou. Elle est encore jouée de nos jours au sein des orchestres nationaux de musique classique.
Chant de femmes avec Npiti
Chant de femmes avec Npiti (harpe), Pygmées Aka
La harpe a joué un rôle important dans toutes les cultures africaines. Elle fut en Inde l’instrument de référence pour expliquer la théorie musicale ancienne. Inhérente au mode de vie traditionnel dans la plupart des régions du continent africain, elle est investie d’une fonction rituelle ou récréative en de nombreuses occasions qui rythment l’existence de l’individu ou du groupe. La harpe arquée s’y est essentiellement développée en Afrique centrale au sein des traditions musicales variées.
En Ouganda, la harpe ennanga accompagne les chants et récits relatant les épopées guerrières comme les louanges du roi. Elle occupait une place prépondérante à la cour. La harpe kundi est investie d’un rôle reconnu au sein du peuple zandé : elle n’est pas l’apanage des hommes. On la joue, seule ou en dialogue, pour soi ou pour un public restreint, quelquefois pour accompagner un rituel ou une danse.
Au Gabon, la fonction rituelle et religieuse prédomine : elle préside aux rituels d’initiation (bwiti) et aux cérémonies de guérisons collectives. Jadis instrument des populations forestières (Ngbaka),Vaste groupe linguistique d’Afrique centrale (environ trente cinq mille personnes), vivant dans la forêt semper virens (toujours verte) située entre les fleuves Lobaye et Pama, et dans la région de Libenge en République démocratique du Congo. la harpe ngombi accompagnait les rites de chasse et honorait les génies de la forêt.
Instrument roi de la musique mandingue, la kora, est l’instrument de musiciens professionnels, les griots. Etroitement associé aux clans royaux, le griot jouissait autrefois de privilèges qui donnaient à sa parole une autorité incontestée.
Tous ces exemples illustrent le rôle et le statut privilégiés du harpiste africain, qui, le plus souvent, est à la fois musicien et luthier.
En Asie, la tradition musicale de la harpe est aujourd’hui moins affirmée et contrairement à la harpe africaine, elle est jouée en orchestre. La harpe arquée saung-gaunk de Birmanie fut l’instrument de prédilection des dynasties royales ; de nombreux princes, hauts dignitaires et musiciens de cour participèrent à son développement. Elle y est encore jouée au sein d’orchestre
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Termes techniques, civilisations, peuples
Glossaire
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