Crédits de l’exposition
- Commissaires : Emma Lavigne ; Stéphane Roussel
- Scénographie : Lionel Guyon
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Expositions temporaires du musée de la musique
Farce funèbre et délirante, inspirée d’un texte des années 30 écrit par Michel de Ghelderode, Le Grand Macabre composé par György Ligeti de 1974 à 1977, est une « œuvre ouverte » aux forces de l’imaginaire, un collage débridé partageant avec l’univers de Bosch et de Breughel tout comme avec celui de Roland Topor ce goût truculent du quotidien qui masque la profondeur de leur réflexion sur le temps.
Plus qu’aucune de ses œuvres, Le Grand Macabre témoigne de la sensibilité de Ligeti aux autres disciplines artistiques et de sa capacité à s’en inspirer dans sa création musicale. Cette exposition rend sensible la richesse des sollicitations esthétiques, littéraires et musicales contenues en filigrane dans l’œuvre. Elle rendra par ailleurs visible, à travers esquisses et éléments de décors qu’en réalisa Topor pour l’Opéra de Bologne en 1978, la profonde connivence existant entre ces deux artistes qui surent transcender leur hantise du temps et de la mort, par le rire et la sensualité, le goût du merveilleux et de la farce, le sens de l’outrance, dans un mélange de lyrisme et d’ubuesque ironie.
Composé par György Ligeti entre 1974 et 1977, et créé à Stockholm en 1978, l’opéra Le Grand Macabre, inspiré de La Balade du Grand Macabre (1934) de l’auteur belge Michel de Ghelderode, apparaît comme un collage faisant appel à de nombreuses citations du domaine musical autant que de celui des arts visuels. Prenant pour thème principal le « Jugement dernier », l’œuvre s’apparente à une farce noire aux allures de danse macabre, à la fois tragique et totalement humoristique.
D’un point de vue stylistique, l’opéra s’approche de la dimension expérimentale du théâtre instrumental de Mauricio Kagel ou de pièces comme Aventures et Nouvelles Aventures, composées par Ligeti en 1962-1965. Mais il fait également référence à des modèles du genre lyrique traditionnel, à travers des citations de Monteverdi, Mozart ou encore Verdi. Le compositeur à ce propos de dire : Vous prenez un morceau de foie gras, vous le laissez tomber sur un tapis et vous le piétinez jusqu’à ce qu’il disparaisse, voilà comment j’utilise l’histoire de la musique et, surtout, celle de l’opéra.
La dimension visuelle prépondérante évoque quant à elle des univers aussi variés que ceux de Bosch, Breughel et Roland Topor, du Pop Art anglais de Peter Blake, du théâtre de marionnettes ou encore de la bande dessinée. Le livret co-écrit par Ligeti et Michael Meschke en quatre tableaux, fut conçu à l’origine en allemand.
En 1996, Ligeti propose une version révisée en anglais qui constitue désormais la référence, mais de manière générale, le compositeur souhaiterait une version dans la langue de chaque pays où l’ouvrage est représenté.
Le Grand Macabre, c’est Nekrotzar, l’ange, plutôt la bête de la mort. Par une nuit bien sombre, il sort de son tombeau comme le premier Nosfératu venu, et jure de mettre un terme à l’existence des infortunés habitants de Breughellande. Il va tirer le trait final, éteindre toute vie, qu’elle soit innocente ou pas, de la surface de ce malheureux pays. Rien ne parvient à l’attendrir : ni la passion de Spermando et Clitoria, les deux amants à la recherche d’un petit coin tranquille pour s’aimer, ni les hoquets de Piet, l’ivrogne. Il consent, pourtant, à laisser un répit aux amoureux et fait de Piet sa sinistre monture. La fin du monde est proche.
Chez Astradamors, l’intellectuel masochiste, Nekrotzar sera plus clément. D’abord, il se débarrasse de son encombrante épouse, Mescalina, l’inassouvie qui implore Vénus de lui envoyer un vrai mâle. Ensuite, il lui promet de le tuer en dernier, juste récompense de sa clairvoyance, puisque depuis longtemps Astradamors prédisait sa venue.
Le Grand Macabre arrive enfin à la cour du prince Go-Go, dérisoire souverain du pays de Breughellande, pris entre deux ministres, le Blanc et le Noir, dont les disputes continuelles cachent mal une connivence parfaite pour pressurer et manipuler un peuple remuant, mais bon enfant, que quelques paroles du prince suffisent à rendre docile.
Pourtant, le chef de la terrible police secrète Sisifar, a eu vent de la catastrophe prochaine. On ne l’a pas cru. Maintenant, il est trop tard. Le Grand Macabre clame sur tous les tons que la rigolade est terminée, que l’hécatombe va commencer. Il a soif de sang. Pris d’une inspiration qui n’a pour lui rien d’extraordinaire, Piet sert à boire. Du vin. Et la mort boit. Elle porte toast sur toast à la mauvaise santé des condamnés. Elle se régale de ce liquide vermeil qu’elle croit être le sang de ses victimes. Jusqu’au moment où Nekrotzar, ivre-mort, tombe du cheval en bois de Go-Go, sur lequel il s’était péniblement hissé.
Et le miracle se produit. Breughellande ne meurt pas. C’est la mort qui crève, pour avoir bu du vin, cet élixir de vie, qui n’a du sang que la couleur. Le vin capable de renvoyer la mort dans le néant. Les habitants de Breughellande ne comprennent pas tout de suite leur chance. Ils se croient trépassés et pleurent sur leur sort cruel. Mais ils ne tardent pas à constater leur méprise. La mort, pour l’instant, a disparu. Le Grand Macabre a perdu la partie, même si sa revanche n’est qu’une question de secondes. Alors pourquoi se lamenter ? Il faut boire et se réjouir d’être en vie. Voilà la morale de l’histoire.
Portrait
Travaillant sur le timbre et le rapport au temps, György Ligeti (1923-2006) compose des œuvres complexes et toujours très rigoureusement écrites, où la matière sonore est perpétuellement mouvante.
Ressources
La médiathèque propose une sélection de ressources autour des principaux thèmes abordés tout au long du parcours de l’exposition Le Grand Macabre.