Exposition du 19 octobre 2002 au 12 janvier 2003 - Musée de la musique, Paris
Introduction
Cette exposition organisée en collaboration avec l’Experience Music Project, musée-temple du rock à Seattle, célèbre le soixantième anniversaire de la naissance de Jimi Hendrix, comète du rock qui voulait « embrasser le ciel » et qui embrasa la scène musicale avant de s’éteindre brutalement le 18 septembre 1970, à 27 ans. A côté de son fascinant investissement scénique (près de 530 concerts entre octobre 1966 et septembre 1970) que le public peut voir et entendre à travers des images d’archives dont certaines inédites, cette exposition, grâce à des documents personnels prêtés par sa famille (Experience Hendrix LLC, Seattle), est également conçue comme une invitation à aller au-delà du spectacle, à entrer dans les coulisses de la vie d’Hendrix, à travers ses débuts, sa prime passion pour Elvis, l’élaboration d’une discographie courte et fondatrice (Are you experienced ? Axis : Bold As Love, Electric Ladyland, Band Of Gypsys) pour en mesurer la force et l’originalité.
Celui qui révolutionna l’usage de la guitare en transcendant un blues originel en symphonies « bruitistes », où s’entrecroisent « douleur et jubilation, rage et sensualité, sexe et spiritualité », annonce les évolutions psychédéliques, jazz-rock, hard rock ou fusion des futures décennies et laisse place à un héritage sans cesse grandissant.
L’exposition tente d’abord d’approcher l’enfance de ce voodoo child passionné de dessin et d’astrologie, qui puise auprès de sa grand-mère paternelle d’origine cherokee, Nora, l’énergie primordiale et mystique qui devait faire de lui un guitar hero, le dieu d’un culte encore vivant aujourd’hui.
Très tôt, la musique est un refuge dans un climat familial bancal et précaire, une nécessité pour cet enfant prodige dont les premières guitares ne sont encore qu’un simple balai ou un élastique tendu sur une boîte à cigares en attendant les mythiques Fender Stratocaster ! Une enfance, puis une adolescence baignées dans le jazz et le rhythm’n’blues (Duke Ellington, Count Basie, Chuck Berry, Buddy Holly, Little Richard, Bill Haley, Muddy Waters...), ponctuées par de trop rares concerts, au cours desquels la musique, alors écoutée sur la console hi-fi familiale, prend corps.
Jimi persuade son père de lui acheter une guitare, ce sera une Supro Ozark blanche. Volée, elle sera remplacée par une Danelectro que Jimi peindra en rouge. Jimi en possèdera près d’une centaine, sans aucun fétichisme.
Autant seront données, volées ou perdues... et parfois sauvegardées, comme cette guitare Gibson Les Paul noire datant de 1955, rescapée des années du chitlin circuit, tournée . Au cours de ces années « sur la route », qui ne ressemblent alors en rien à celle de la célébrité, il partage l’affiche avec Curtis Knight, Ike et Tina Turner, Lonnie Youngblood, les Isley Brothers, Little Richard, avant d’atteindre Greenwich Village, et l’envolée européenne.
L’enfance
Johnny Allen Hendrix naît le 27 novembre 1942 à Seattle de Lucille Jeter et de Al Hendrix. L’enfant est trimbalé de nourrice en nourrice, passe des vacances chez sa grand-mère maternelle, Nora, qui a des origines cherokee, et qui, par ses récits de vieilles légendes indiennes, marque l’esprit de Jimi.
De retour de guerre, Al reprend l’éducation de son fils en main. Il divorce de Lucille en 1950. Remariée, elle meurt, huit ans plus tard d’une cirrhose du foie. Jimi est très affecté par la mort de sa mère et intériorise sa douleur. Rebaptisé James Marshall - dit Jimi - Hendrix en 1946, il vit au côté de son jeune frère Leon (né en 1948) une enfance rude (Al perd beaucoup au jeu), dans le dénuement.
La musique devient rapidement un échappatoire pour Jimi, et la guitare devient son instrument de prédilection.
Devant la motivation du fils, Al se résout à lui acheter une guitare sèche à cinq dollars. Jimmy travaille alors son instrument sans relâche, en autodidacte, apprend, expérimente et établit un rapport charnel et passionnel avec sa guitare jusqu’à en devenir inséparable. Elle symbolise une extension de son corps, de son esprit, le lien avec son âme, sa raison de vivre, sa voix secrète.
Jimi assimile la musique de sa jeunesse. Amateur de rock’n’roll (Buddy Holly, Elvis Presley, Little Richard ou Chuck Berry, de jazz et de rhythm’n’blues (Joe Turner, Roy Milton), Jimi s’imprègne également des disques de son père, le blues primitif à l’intensité surnaturelle de Muddy Waters, le blues novateur de B.B.King, le boogie lourd, hypnotique et saturé de John Lee Hooker, le toucher tout en slide d’Elmore James, le jeu précis d’Albert King, le blues électrique, orageux et incantatoire de Howlin’ Wolf.
Derrière toutes ces influences, apparaît un dénominateur commun, Robert Johnson, dont le destin tragique et la vie tumultueuse révèlent des similitudes troublantes avec la comète Hendrix. Issu comme lui, d’une famille éclatée, le blues rocailleux et âpre de Johnson marque Jimi.
Les débuts
Jimi acquiert une guitare électrique Supro Ozark, joue dans quelques clubs (Spanish Castle) et peut commencer sa carrière à la fin des années 1950.
Au début des années 1960, il joue, accompagné d’une Danelectro dans d’innombrables formations de rhythm’n’blues où il acquiert une expérience déterminante. Empruntant ce qu’on appelait à l’époque le chitlin circuit (« Route des tripes de porc »), réservé aux artistes noirs, il commence à élaborer son jeu de scène et à faire parler de lui, notamment par des acrobaties avec sa guitare.
Toujours plus soucieux de se frayer sa propre voie musicale, il crée début 1966 son propre groupe, sous le nom de Jimmy James and The Blue Flames (avec le futur guitariste et fondateur de Spirit, Randy California et Jeff Baxter, futur guitariste de Steely Dan).
Décomplexé par l’écriture poétique et visionnaire de Bob Dylan et ses images métaphoriques, (Highway 61), Jimi fait ses premières armes en tant que chanteur, en s’accompagnant d’une Stratocaster Fender blanche. C’est aussi l’époque des expériences tentées sous l’emprise du LSD. Il se produit régulièrement dans le Greenwich Village au Café Wha? Très vite, des échos favorables autour de son nom circulent, et il devient l’attraction musicale de New-York en créant un mur du son englobant larsens et feedbacks et en poussant le volume sonore à des niveaux jamais atteints. Hendrix est repéré par l’ancien bassiste des Animals devenu producteur, Chas Chandler. Guidé par son nouveau protecteur, la vie du guitariste va alors complètement changer.
Jimi et Elvis
Le 1er septembre 1957, Jimi Hendrix assiste au de l’une de ses grandes idoles, Elvis Presley, qui se produit au Sticks Stadium de Seattle. Le King arrive sur scène en Cadillac et demande au public de se lever sur l’hymne national, Star Spangled Banner, avant de saisir sa guitare et d’attaquer furieusement Hound Dog.
Douze ans plus tard, Hendrix livre une version mémorable de l’hymne américain au festival de Woodstock, imitant le bruit des bombes avec sa guitare, en pleine guerre du Viêtnam. Cette attitude rebelle de l’enfant chéri de l’Amérique blanche et puritaine, ainsi que le charisme d’Elvis sur scène, exercent un impact considérable sur le jeune Jimi, qui immortalise les titres de chansons entendues à Seattle dans un dessin et interprétera régulièrement des morceaux issus du répertoire du King (Blue Suede Shoes, Hound Dog qu’on peut entendre dans une version iconoclaste et délirante, enregistrée pour la BBC en octobre 1967).
Ambiance saturée d’électricité, c’est le temps de Jimi Hendrix, guitar hero sur scène. La bande-son change de registre : exploration de la matière sonore, voix de Jimi, saturation et distorsion. Le son est un laboratoire qui génère sur scène d’intenses performances.
Guitares et destruction
Enfant, Jimi Hendrix se fabrique des guitares avec le peu de moyens dont il dispose. Son père lui donne un ukulélé et Jimi se fait offrir sa première guitare acoustique en 1958.
Hendrix est né gaucher. Il acquiert sa première guitare électrique, une Supro Ozark blanche fabriquée en 1957, qu’il se fait voler en 1960 et remplace par une Danelectro blanche de 1956 qu’il repeint en rouge.
Au début du chitlin circuit (1962), Hendrix s’achète une guitare Les Paul de 1955. Mais sa guitare de prédilection, c’est bien sûr la Stratocaster Fender, modèle sur lequel il joue à partir de 1964 et qui l’accompagne jusqu’à sa mort.
Jimi a toujours préféré les modèles pour droitier, car il aimait avoir les boutons de réglage en haut, ce qui l’obligeait à recorder son instrument et à inverser le sillet pour que la chanterelle soit en bas. Il effectuait lui-même les réglages de chevalet et du micro, et passait des heures à tordre ses leviers de vibrato pour les rapprocher le plus possible du corps de la guitare.
Dans la logique métaphorique de Jimi Hendrix, la destruction d’une guitare symbolisait l’anéantissement d’une partie de soi-même pour mieux renaître, à l’image d’une chrysalide. Des guitares, Hendrix en a maltraité, -voire brûlé- (comme à Monterey) des dizaines, tant est si bien qu’à l’arrivée, elles étaient souvent un assemblage hybride de diverses pièces d’instruments hors d’usage, bricolé par Eric Barrett, responsable de son matériel à partir de 1968.
Au terme d’un show survolté, Jimi fracasse sa Stratocaster Fender de 1965, guitare qu’il a peinte en rouge et décorée d’arabesques, lors du final Are You Experienced.
Concerts
Du 13 octobre 1966 au 6 septembre 1970, Jimi Hendrix donne le nombre impressionnant de 527 concerts. C’est d’abord sur scène que Jimi Hendrix met le feu aux poudres et commence à faire parler de lui.
A chaque prestation, Jimi crée l’événement en jouant de la guitare derrière la tête, entre les jambes, et surtout entre les dents. Ces mimiques, voire gimmicks, qui deviendront sa « marque de fabrique », ne sont pas de son invention. Elles appartiennent à des guitaristes tels Charlie Patton, Guitar Shorty, T-Bone Walker. Ses innovations sonores, son jeu de guitare flamboyant et stratosphérique mêlés au caractère habité des compositions lui permettent de se faire remarquer des puristes et du public, et de se produire le 18 octobre 1966 à l’Olympia, en première partie de Johnny Hallyday.
Une usure provoquée par la fréquence des tournées, déjà perceptible à Woodstock, a gagné Jimi, et, le 30 août 1970, le festival de l’île de Wight sonne comme un chant du cygne Enfin, le ton et l’atmosphère de l’album sont plus introspectifs, amers, désenchantés et rageurs, comme si Jimi avait capté par ses notes l’enlisement de la guerre du Vietnam et la résurgence du problème des droits civiques des minorités raciales aux Etats-Unis.
Jimi, guitariste qui voulait être un orchestre à lui tout seul, dans la solitude des studios, cherche de nouveaux horizons musicaux. Inventeur de la guitare électrique pour certains, Jimi Hendrix est universellement reconnu comme un grand découvreur d’un « champ des possibles » immense de sons et timbres produits par la guitare électrique : suramplification à outrance, effets en tous genres (larsens, trémolos, saturation des micros et des amplis, pédale wah-wah.), virtuosité hallucinante, abolition de la frontière entre bruit et son.
Studio et expérimentation
Dans l’univers de Jimi Hendrix, le studio d’enregistrement est l’antre de la création, le laboratoire d’expérimentation, le havre de paix et de recueillement contrastant avec le rythme effréné de la scène. Il effectue ses premières séances à Londres avec The Experience. Ce n’est qu’en juillet 1967 que Jimi Hendrix Experience enregistre pour la première fois aux Etats-Unis, au Mayfair Recording Studio Inc de New York, où l’essentiel de Electric Ladyland est enregistré. Excepté quelques séances aux studios T.T.G. de Holywood et au Hit Factory de New York, Hendrix s’installe durablement au Record Plant, avant de réaliser son rêve : s’offrir son propre studio, sa première vraie maison.
Souhaitant enregistrer à toute heure du jour et de la nuit et collaborer librement avec les musiciens de son choix, Jimi est frustré par les impératifs des plannings. Il se fait construire les studios Electric Lady à New York, dont il ne profitera que très peu (de juin à août 1970), ce qui ne l’empêchera pas d’enregistrer une vingtaine de morceaux pour son ultime projet, First Rays Of The New Rising Sun. Le studio permet à Jimi d’être le premier à saisir l’interaction entre guitare et amplificateurs et à en jouer (à des volumes élevés, l’ampli répond créant ses propres sons).
Jimi songwriter
La vie trépidante menée par Jimi Hendrix ne lui laisse que de rares moments de répit. Le musicien écrit dans l’urgence, dès la moindre accalmie, le plus souvent sur le papier à en-tête des hôtels ou des compagnies aériennes. Dans ce contexte, il est surprenant, voire miraculeux, que ses écrits aient survécu. Mais le plus étonnant, c’est la maîtrise parfaite de la composition, émergeant d’une écriture fine raffinée et poétique, nourrie par son imaginaire et généralement axée autour du thème obsessionnel de Jimi, son credo, sa religion : la liberté.
Crédits de l’exposition
Commissaires : Emma Lavigne ; Jim Fricke
Scénographie : Jean-Jacques Bravo, Marianne Klapisch et Mitia Claisse
C’est à un défilé d’œuvres d’art, d’éléments scéniques, de costumes, d’instruments de musique, de clips et d’images du corps en scène que nous invite l’exposition Electric Body.
La médiathèque propose une sélection de ressources autour des principaux thèmes abordés tout au long du parcours de l’exposition Jimi Hendrix Backstage.