Exposition du 9 mars au 24 juin 2007 - Musée de la musique, Paris
Introduction
Le Musée de la musique présente la première exposition consacrée à l'œuvre vidéo de Christian Marclay, un parcours à travers neuf installations et projections vidéo du début des années quatre-vingt à nos jours. « La musique est un matériau » : tel est le leitmotiv qui rythme l’œuvre de Christian Marclay, artiste new-yorkais d’origine suisse né en 1955.
Dans une trajectoire reliant Marcel Duchamp au Pop Art et à Fluxus, celle-ci révèle aussi une énergie nourrie du punk et de la performance qui renforce sa dimension subversive. Tout en multipliant les concerts en tant que DJ expérimental, Marclay compose depuis plus de vingt-cinq ans une œuvre plastique qui met la musique au cœur de ses enjeux et de son esthétique.
De la litanie de sonneries de téléphone à l’exploration des archives du cinéma hollywoodien, des hurlements de guitare à la virtuosité d’un quatuor de platines, des salves de coups de feu à la chorégraphie silencieuse en langage des signes, le parcours que propose cette exposition met en scène l’incarnation toujours renouvelée de la musique à l’écran.
On ne pense pas nécessairement à la musique comme réalité tangible explique Marclay. Dans mon œuvre, je me mesure constamment à la contradiction entre la réalité tangible de l’objet d’art en tant qu’objet et son intangibilité potentielle.
Christian Marclay fait de l’arme à feu l’instrument de percussion privilégié de Crossfire. Les coups de feu de Pulp Fiction de Quentin Tarantino dialoguent avec le pétaradant final de Scarface de Brian De Palma ; Terminator de James Cameron avec A Bullet in the Head de John Woo… Si Crossfire, avec ses allures de jeu vidéo géant, assouvit d’emblée une soif de grand spectacle, l’œuvre n’offre aucune échappatoire : les protagonistes visent littéralement le spectateur pris au piège.
Au-delà de la fascination pour les armes, puissant ressort de l’industrie cinématographique hollywoodienne et dont l’artiste joue avec humour et glamour, c’est une critique de la société contemporaine et de l’escalade de la violence qui se fait jour derrière ces images à la séduction ambiguë.
4 projections vidéo synchronisées, couleur, son 14 minutes
Ecran de 12 mètres de long divisé en 4 projections de 3 mètres de base.
Le cinéma sert ici de répertoire potentiellement infini de pratiques musicales, de la comédie musicale au concert classique, du solo de jazz aux percussions. Agencés subtilement, ces fragments de films fusionnent et transforment le dispositif visuel en nouvelle oeuvre musicale.
Christian Marclay propose ainsi une approche renouvelée de la musique et de ses représentations. Ce détournement de scènes connues fait appel à notre mémoire collective et offre un jubilatoire jeu de reconnaissance : des visages de Burt Lancaster, Dustin Hoffman ou Elvis Presley aux extraits de Casablanca, The Sound of Music ou Macadam Cowboy.
Cette vidéo met en scène un acteur sourd, Jonathan Hall Kovacs, qui interprète en langue des signes des transcriptions sonores de critiques musicales, riches en métaphores et en images : Le morceau est d’une dissonance pénétrante, la texture sonore de toile d’araignée squelettique se change en masse de bouquets denses, puis en constellation pointilliste, Couleur, rythme, dynamique, articulation forment une construction angulaire, difficile à pénétrer….
Les expressions et gestes de l’interprète donnent corps à une musique réduite au silence. Celle-ci devient pleinement incarnée et se mue en chorégraphie éloquente.
La guitare électrique est l’unique protagoniste de Guitar Drag. Le bruit assourdissant de cette solid body se fracassant sur le sol du désert texan est diffusé par un ampli puissant. L’instrument hurle. Le face à face avec l’image est oppressant. Guitar Drag n’est pas une performance Fluxus, malgré sa filiation avec Violin to be Dragged on the Street (1961-1975) de Nam June Paik. Ce « sacrifice » renvoie au corps à corps enragé de Jimi Hendrix, des Who, des Sex Pistols ou de Clash avec leurs instruments.
Nourrie de la rudesse du blues, l’œuvre évoque le lynchage d’un Afro-Américain mis à mort après avoir été traîné par un camion dans un Texas en proie au racisme.Marclay fait de la guitare électrique un manifeste et le prolongement émouvant du corps humain.
Gestures capte la main de Christian Marclay qui scratche, raye, contrarie la vitesse de rotation des disques posés sur des platines. Ses gestes altèrent la nature analogique de l’enregistrement et transforment les vinyles en véritables instruments de musique.
Je veux rompre nos habitudes d’écoute. Quand un disque déraille ou saute, ou que l’on entend le bruit de la surface, nous essayons d’en faire abstraction le plus possible afin que le flux musical ne soit pas rompu. J’essaie de rendre les gens conscients de ces imperfections, de les accepter comme de la musique ; l'enregistrement est une sorte d’illusion alors que la rayure sur le disque est plus réelle.
Les vinyles noirs sont découpés, collés, « préparés » au sens où l’étaient les pianos de John Cage et composent un patchwork multicolore, toile de fond de ce quatuor visuel et sonore.
Les images du film Blow-Up (1966) de Michelangelo Antonioni sont privées de leur bande son remplacée par celle de Blow Out (1981) de Brian De Palma.
Du dialogue inattendu entre les deux œuvres, qui mettent en scène un photographe de mode joué par David Hemmings et John Travolta dans la peau d’un ingénieur du son, surgissent des correspondances et dissonances visuelles ou sonores, qui s’inscrivent dans le droit fil des opérations de hasard convoquées par John Cage.
Telephones propose un collage de brefs extraits de films. Tous les personnages — certains immédiatement reconnaissables : Cary Grant, Tippi Hedren, Ray Milland, Meg Ryan, Humphrey Bogart — accomplissent des actions semblables, en apparence anodines : composer un numéro, décrocher, écouter, converser, raccrocher… Cette succession révèle cependant des émotions multiples : surprise, désir, colère, incrédulité, peur, excitation, ennui.
Associées, ces images disparates donnent le sentiment d’une seule et même conversation. Elles sont unifiées par l’humour et la dimension narrative du montage, qui fait dialoguer images en noir et blanc et en couleur, sonneries, bips et voix, sauts temporels, ruptures de ton, créant une nouvelle composition visuelle et sonore.
Dès son arrivée à Boston en 1979, Christian Marclay est davantage attiré par la performance que par la musique. Ne jouant pas d’instrument, il invente un instrument hybride, le Phonoguitar, tourne-disque dont il joue comme d’une guitare portée en bandoulière, ce qui lui permet de parodier les stars du rock.
Ghost (I Don’t Live Today) est un hommage à Jimi Hendrix. Cette platine portable me permettait de bouger et de m’approprier les mouvements d’Hendrix. J’ai toujours aimé la façon dont il repoussait les limites de son instrument, recherchant de nouveaux sons, même si cela voulait dire brûler sa guitare.
Dès les premiers concerts avec son groupe The Bachelors, even, Christian Marclay désacralise l’acte musical lors de performances extrêmement physiques : il coupe du bois à la hache, brise des miroirs ou des néons, fait exploser des postes de télévision sur scène. Pour lui, la destruction fait partie intégrante du processus de composition : « casser, c’est faire un son » confirme-t-il.
Les musiciens de Record Players détruisent des disques de façon rythmique. À cette époque, le support principal de l’enregistrement musical était le disque vinyle. C’était un objet fragile que l’on devait manipuler avec soin. J’agissais à l’encontre de la fragilité du disque afin de libérer la musique de sa captivité.
Fast Music illustre l’impact de l’esthétique du punk et du body art sur le travail de Christian Marclay : en dévorant un vinyle, l’artiste fait de son corps le matériau et le réceptacle de l’oeuvre, au cours d’un simulacre de performance digne de l’humour transgressif des Monty Python.
Le mouvement punk, avec son énergie, son non-conformisme, son volume sonore très élevé, a eu sur lui une influence libératrice, sensible dès ses premières performances en 1979 : Son côté amateur et improvisé m’a donné le courage de faire de la musique sans jamais en avoir fait l’étude.
La musique est une expérience populaire, à travers laquelle tous peuvent communier. Elle est beaucoup plus populaire que la peinture. Quoi qu’il en soit, dans une performance, le spectateur a le producteur de sons sous les yeux. Dans mon œuvre, je me mesure constamment à la contradiction entre la réalité tangible de l’objet d’art en tant qu’objet et son intangibilité potentielle. D’une certaine façon, l’intangibilité est l’état parfait, la résultante naturelle de l’éphémère. En musique, cet aspect de l’intangibilité est très libérateur. L’idéal serait que j’exerce un art invisible.
Au centre de l’exposition, un studio d’écoute propose au visiteur un parcours à travers cet « art invisible » de Christian Marclay, son œuvre musicale extrêmement inventive, afin d’en saisir la diversité. Très présent sur la scène musicale new-yorkaise, jouant des platines et se présentant comme « turntablist » ou DJ expérimental, Christian Marclay se produit régulièrement en concert. Il manie en virtuose le découpage et le collage sonore. Ses improvisations aux platines explorent un spectre très large, du bruitisme au minimalisme. Ses enregistrements en solo, du début des années 1980 à nos jours, ou en collaboration avec Lee Ranaldo, Thurston Moore, Alan Licht, Yoshihide Otomo, Fred Frith, David Moss, Elliott Sharp, John Zorn ou djTRIO, révèlent une recherche musicale polymorphe.
Crédits de l’exposition
Commissaires : Emma Lavigne, conservatrice au Musée de la musique, Cité de la musique, Paris
La médiathèque propose une sélection de ressources autour des principaux thèmes abordés tout au long du parcours de l’exposition Christian Marclay : Replay.