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Diables et démons dans la musique
Le Diable hante les récits sacrés et folkloriques, les contes fantastiques, les poèmes médiévaux ou romantiques. Ange du mal qui charme et manipule les faibles humains pour les attirer à lui, on l’appelle aussi Satan, Lucifer, Belzébuth, Méphistophélès, le Malin ou le Démon… Mais quels que soient son nom et sa forme, de tous temps, le Mal a entretenu un rapport étroit avec la musique.
Des musiques diaboliques
De nombreux écrits et créations artistiques témoignent des usages et des goûts musicaux considérés comme diaboliques, de l’Antiquité à nos jours.
Au Moyen Âge, dans l’Europe chrétienne, la musique profanec’est-à-dire composée à une fin autre que le culte religieux est mal vue par les autorités religieuses. Les ménestrels, musiciens ambulants, sont mis au ban de l’Église et considérés comme des serviteurs du Diable introduisant le vice dans les âmes par les oreilles et par les yeux
[1]. Ainsi, toute musique qui ne glorifie pas Dieu ou jouée hors des églises est souvent considérée comme celle du Diable.
De même à partir du XIIIe siècle, sous l’influence de la pensée religieuse, les instruments de musique sont divisés en deux catégories. On oppose symboliquement les « bas » instruments (produisant un son de faible volume) aux « hauts » instruments (à la forte puissance sonore). La douceur des instruments à cordes, de la flûte à bec ou de l’orgue, favorisant l’élévation spirituelle, est privilégiée pour accompagner les prières et les chants dans l’intimité des églises ou des demeures. Les instruments bruyants – fifres, hautbois, cornemuses, cors, trompes, percussions… – évoquant parfois les clameurs de la géhenne mais également la gloire divine, sont réservés à une utilisation en extérieur, lors de fêtes ou cérémonies officielles. Les ménestrels, portant des masques les jours de Carnaval, accompagnent ainsi leur charivari de cornemuses, de tambours et de cymbales.
Une musique cacophonique ou discordante est souvent considérée comme l’œuvre du Diable, destinée à épouvanter les âmes perdues aux portes du gouffre infernal. Au XVIe siècle, le compositeur et théoricien Michael Praetorius la décrit comme des hennissements et des aboiements, des miaulements et des glapissements, avec des claquements de dents, cette triste musique épouvantable des cris douloureux du chœur incandescent de l’Enfer
[2].
À la même époque, une autre conception s’ajoute à cette description : la musique du diable serait celle des voix de femmes ou, plus largement, une musique enchanteresse et sensuelle serait la manifestation de la séduction des esprits mise en œuvre par le Diable. Le lien entre musique et péché est très présent dans la mentalité chrétienne et l’on trouve souvent des instruments « diaboliques », comme le cor, dans les représentations de la luxure.
Durant le XIXe siècle romantique, la vitesse excessive ou la fureur du jeu instrumental ont aussi été associées au Mal : on parle encore de nos jours de « rythme endiablé » ! Certains musiciens, dont la virtuosité semble surhumaine et qui sont soupçonnés, par conséquent, d’être aidés par Satan, sont considérés comme le Diable incarné. La technique extraordinaire du violoniste Niccolò Paganini, notamment l’introduction de pizzicatos à la main gauche, fut ainsi souvent qualifiée de diabolique. Franz Liszt jouit également d’une réputation de pianiste « démoniaque », car il est sans doute le seul, avec le Diable, à pouvoir exécuter les morceaux techniquement redoutables qu’il compose : quatre Mephisto Walzer, des Études d’exécution transcendante, des Grandes Études de Paganini, une Totentanz pour piano et orchestre, et de nombreuses autres pièces brillantes.
Dans les compositions musicales, l’intervalle de « triton » – autrement dit l’écart de trois tons, par exemple entre les notes fa et si – représentait un diabolus in musica à bannir dans la mélodie et les accords qui l’accompagnent. En effet, cet intervalle était considéré comme le vice même, car le plus éloigné de la perfection d’autres intervalles comme l’octave ou la quinte. De nombreux compositeurs, tels que Monteverdi, Bach, Mozart, Beethoven ou Wagner, ont introduit cet intervalle de triton dans leurs œuvres pour symboliser le Mal. Saint-Saëns ouvre ainsi son poème symphonique intitulé Danse macabre sur le triton la-mi bémol, joué par la Mort accordant son violon « à la manière du Diable »…
Le Diable, danseur et musicien
Le Diable utilise traditionnellement le pouvoir de la musique et de la danse pour séduire et dominer les âmes humaines.
Dans de nombreuses civilisations, des danseurs se costument et portent des masques de démons ou d’animaux monstrueux représentant le péché. Au Moyen Âge, en Europe, cette pratique est peinte dans les manuscrits, mise en scène dans des mystères, un genre dramatique fabuleux, et sculptée jusque sur les portails des églises et des cathédrales. Les monstres ont cédé la place aux diables et aux démons qui, par leur musique, entraînent les humains dans une danse infernale vers leur perte.
Au XVe siècle, la terreur suscitée par les guerres et les épidémies s’exprime à travers des textes et images de danses macabres, ou danses des morts. Ces sarabandes de damnés de toutes conditions sociales sont entraînées en enfer par des démons, ou par la Mort elle-même qui prend très souvent la forme d’un squelette instrumentiste conduisant la procession des pécheurs avec sa musique. Ces représentations rappellent à ceux qui n’obéissent pas aux lois divines la menace d’une fin apocalyptique, loin du paradis offert aux humains qui auront mené une vie terrestre exemplaire.
Dans certains récits ou contes populaires, le Diable envoûte les humains en les obligeant à danser indéfiniment, les torturant ainsi jusqu’à l’épuisement complet. Lorsque le Diable lui-même danse, c’est souvent pour fêter son triomphe. Mais il n’est pas toujours vainqueur : dans l’opéra de Dvořák inspiré d’un conte tchèque, Le Diable et Catherine, la jeune femme, ayant désiré danser avec le Diable, finit par épouvanter ce dernier ! Dans L’Histoire du Soldat de Stravinski, pris à son propre piège, c’est le Diable lui-même qui danse jusqu’à s’effondrer de fatigue, dans une fausse happy-end toutefois provisoire.
À partir du XVIIIe siècle, l’instrument préféré du Diable virtuose est le violon. Tartini, célèbre violoniste et compositeur de cette époque, aurait vu en songe le Diable jouant du violon avec une prodigieuse virtuosité, et aurait retranscrit la musique entendue dans sa sonate Le Trille du Diable. Cette légende, entretenant l’imaginaire du Diable musicien incarné par le ménestrel du Moyen Âge, a inspiré de nombreux contes et œuvres musicales. On y rencontre des diables jouant du violon pour apporter le malheur sur terre et martyriser les humains, ou s’emparant de l’âme d’un violoniste qu’ils veulent amener en enfer. C’est ainsi que, par avidité, le personnage imaginé par Stravinski et Ramuz dans L’Histoire du Soldat échange son violon contre un mirage de fortune et devient la proie du Diable.
Les compositeurs et la figure du diable
Bien avant les croyances religieuses de l’ère chrétienne, enfers et démons peuplaient déjà la mythologie antique. Aussi, la légende d’Orphée, racontant la descente du musicien aux enfers afin d’en ramener la défunte Eurydice, est un thème de prédilection constant pour les compositeurs : Peri (Euridice), Monteverdi (Orfeo), Gluck (Orfeo ed Euridice) ou encore Offenbach (Orphée aux Enfers) en ont fait la trame d’opéras célèbres. Beaucoup d’autres œuvres « infernales » empruntent leur argument à la légende de Faust, un vieux savant pactisant avec le Diable pour retrouver la jeunesse et l’amour. Cette histoire a notamment inspiré des opéras à Berlioz (La Damnation de Faust) et à Gounod (Faust) et une Faust Symphonie à Liszt.
La ronde du sabbat, qui parodie un rituel religieux et réunit dans une messe noire les sorciers et sorcières, instruments de Satan sur terre, inspire également les compositeurs. Le dernier mouvement de la Symphonie Fantastique de Berlioz, intitulé Songe d’une nuit de sabbat, est l’une des plus célèbres évocations musicales de ce bal diabolique. Les entrées instrumentales successives d’une fugue figurent les sinistres participants se joignant à une danse grotesque, qui s’achève dans une orgie démoniaque où résonne le Dies Irae, mélodie grégorienne évoquant le « Jour de la Colère de Dieu ». Composé par Moussorgski, le poème symphonique Une nuit sur le mont Chauve est une autre transcription musicale de cet imaginaire du sabbat, rendue célèbre par le film Fantasia de Walt Disney.
Chez Stravinski, le Diable est l’un des protagonistes principaux de l’opéra The Rake’s Progress (Le Libertin), dans lequel il apparaît sous les traits du personnage de Nick Shadow. Comme dans L’Histoire du Soldat, il avance masqué, faisant miroiter la fortune aux êtres qu’il pervertit.
Ce thème du Diable n’a pas fini de séduire et les superstitions héritées du Moyen Âge ressurgissent dans les œuvres de compositeurs et d’artistes proches de nous : les opéras Le Paradis Perdu de Penderecki et Le Grand Macabre de Ligeti, le rock’n roll des années 50, puis le hard rock et la punk music, jusqu’à la chanson populaire actuelle, en témoignent.
Sources principales
- Nigel WILKINS, La musique du diable, Éditions Mardaga, coll. Musique-Musicologie, Sprimont (Belgique), 1999
- Livre-CD L’Histoire du Soldat, commentaires d’Agnès Terrier, Éditions Didier Jeunesse, Paris, 2011
Références des citations
Auteure : Hélène Schmit
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Morceau choisi : la peur
Une sélection par le détail d’œuvres du Musée de la musique sur le thème de la peur.