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Aria John Cage
Carte d’identité de l’œuvre : Aria de John Cage |
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Genre | musique vocale |
Composition | en 1958 à Milan |
Dédicataire | Cathy Berberian |
Création | le 5 janvier 1959 au Teatro Eliseo, à Rome, par Cathy Berberian |
Forme | pièce en un seul mouvement |
Instrumentation | voix seule |
Cathy Berberian et Luciano Berio : vers la « Nouvelle Vocalité »
Aria de John Cage se présente comme un portrait vocal de Cathy Berberian, cantatrice exceptionnelle qui inspira de nombreuses pièces aux compositeurs contemporains à partir de 1950.
Tout commence à Milan en 1950, lorsque la chanteuse américaine nouvellement installée dans la ville italienne rencontre le jeune compositeur et chef d’orchestre Luciano Berio : Arrivée en Europe, j’ai trouvé la voix, un mari, une carrière… et à la fin, une nouvelle carrière parce qu’au travers de Berio, j’ai rencontré la musique contemporaine.
(Cathy Berberianpropos recueillis dans Au chat qui pouffe, France Culture, 28 février 1972). De son côté, Luciano Beriocitation extraite de Music Is the Air I Breathe, de Carrie de Swaan, 1994 ne tarit pas d’éloges sur le talent exceptionnel de la cantatrice : Elle avait cette voix incroyable. Mais l’esprit qui allait avec l’était également, d’autant plus que l’on ne rencontre pas cela en Italie. Les chanteurs y choisissent une direction à laquelle ils se tiennent toute leur vie. Elle était spéciale.
Cathy Berberian et Luciano Berio se marient le 1er octobre 1950. Le compositeur italien écrit Opus Number Zoo, dont Cathy Berberian créera la première versionLa pièce est alors pour deux clarinettes, deux cors et voix déclamant un texte de Cathy Berberian. En 1970, Opus Number Zoo deviendra un quintette à vent (flûte, hautbois, clarinette, cor et basson) sans récitant, mais où les musiciens eux-mêmes énoncent un texte de Rhoda Levine inspiré de celui de Cathy Berberian. en 1952. Ensemble, ils participeront grâce à de nombreuses pièces à ce que nommera Luciano Berio plus tard, la « nuova vocalità », la « nouvelle vocalité », qui culminera avec sa Sequenza III pour voix (1965-1966). Suivront de nombreuses pièces de nombreux compositeurs, désireux de mettre à profit la voix multiple et virtuose de Cathy Berberian : John Cage (avec Aria, 1958), Sylvano Bussotti (avec Letture du Braibanti, 1960), Henri Pousseur (avec Phonèmes pour Cathy, 1966), Bruno Maderna (avec Invenzione su una voce, 1960), Stravinski (avec Elegy for J.F.K., 1964) et Cathy Berberian elle-même (avec Stripsody, 1966).
John Cage à Milan
En septembre 1958, le compositeur américain John Cage expose ses thèses sur la musique aléatoire et indéterminée devant la jeune génération de compositeurs réunis à DarmstadtKarlheinz Stockhausen, Pierre Boulez, Luciano Berio, Bruno Maderna, etc.. Il vient de créer aux États-Unis son Concerto pour piano et orchestre, provoquant ainsi un scandale historique : œuvre indéterminée manifeste, ce concerto propose treize parties instrumentales et un solo de piano qui n’ont entre eux aucune relation de coordination
. Une version du Concerto se situe quelque part entre un minimum d’activités et un maximum : Le Concerto peut ainsi être joué en entier ou en partie, avoir n’importe quelle durée ou nombre d’interprètes, en solo, ensemble de musique de chambre… Toute hiérarchie entre compositeur, chef d’orchestre, interprète est abolie.
(John Cagecitation extraite de John Cage de Jean-Yves Bosseur, Paris, Minerve, 1993)
Luciano Berio, fasciné et intrigué par le personnage hors-norme de John Cage, décide de l’inviter à Milan. John Cage loge alors pendant quatre mois chez une riche veuve, la signora Fontana, à qui il rendra hommage en intitulant Fontana Mix la pièce réalisée au Studio de musique électronique de Milan et dédiée à Luciano et Cathy Berio. Très rapidement, Cathy Berberian et John Cage se lient d’amitié. Le compositeur américain apprécie particulièrement chez la cantatrice cette envie de chanter dans tous les registres sans craindre d’abîmer sa voix. Il repère tous les domestic clownings de Cathy Berberian lorsqu’elle chante chez elle en privé et décide de combiner toutes les facettes de sa personnalité vocale en une œuvre : [Cathy Berberian est] quelqu’un qui sait oublier, qui s’est débarrassé de toute idée de goût ou de dégoût, qui ne cherche pas à "construire".
(John Cagecitation extraite de Jazz Magazine, n° 282, janvier 1981)
Aria : un portrait vocal de Cathy Berberian
Dans Aria, John Cage utilise les cinq langues que parle Cathy Berberian : l’arménien, le russe, l’italien, le français et l’anglais. Prenant des bribes de textes, il juxtapose des styles vocaux et des modes d’émissions sonores associés librement à une gamme de couleurs par l’interprète. Cathy Berberian choisit les associations suivantes :
- rouge = contralto / contralto lyrique
- noir = dramatique
- pourpre = Marlene Dietrich
- jaune = colatura et colorature lyrique
- vert = populaire
- orange = couleur orientale
- brun = son nasillard
- bleu foncé = jazz
- bleu clair = baby-voice
John Cage choisit une notation musicale graphique : chaque geste vocal est associé à une courbe en ligne continue ou pointillée. Dans l’espace de la partition, le registre est indiqué par l’emplacement de cette courbe dans le plan vertical. La durée, dans le plan horizontal. Outre ces juxtapositions de voix totalement différentes sans texte signifiant, John Cage indique des carrés noirs correspondant à des sons laissés au choix de l’interprète : « utilisation non musicale de la voix », « percussions auxiliaires » et utilisation d’un « dispositif mécanique ou électronique ». La partition est constituée de vingt pages, chaque page représentant trente secondes de musique. Aria peut être exécutée en même temps que Fontana Mix et des bribes du Concerto pour piano et orchestre.
Avec Aria, John Cage révolutionne la vocalité du XXe siècle et marquera durablement les compositeurs de la génération de Luciano Berio. Lors de la création à Rome, à l’Eliseo, le 5 janvier 1959, le public est consterné et en état de choc. Cathy Berberian reprendra Aria avec Fontana mix à Milan, le 11 avril 1959. Le musicologue Heinz Klaus Metzger déclare à l’issue du concert : La révolution de la technique vocale introduite par Cage est absolue !
Auteur : Clément Lebrun