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Octuor à cordes op. 20Felix Mendelssohn
Carte d’identité de l’œuvre : Octuor à cordes op. 20 de Felix Mendelssohn |
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Genre | musique de chambre |
Composition | 1825 à Berlin |
Dédicataire | Eduard Rietz |
Création | création privée en 1825 au Recksche Palais création publique le 17 mars 1832 au Conservatoire de Paris par Pierre Baillot et son ensemble |
Forme | en quatre mouvements : I. Allegro moderato ma con fuoco II. Andante III. Scherzo IV. Presto |
Instrumentation | 4 violons, 2 altos et 2 violoncelles |
Contexte de composition
1825. Felix Mendelssohn et sa famille emménagent dans une nouvelle résidence, le Recksche Palais, située 3 rue de Leipzig à Berlin. Très vite, cette magnifique demeure va devenir un foyer culturel actif où se rencontrent des artistes de tous horizons. Cette atmosphère chaleureuse et animée stimule la créativité musicale du jeune homme qui, à tout juste 16 ans, est déjà l’auteur de plusieurs œuvres : des œuvres pour orchestre (des symphonies pour cordes, sa Symphonie n° 1), des pièces vocales de musique sacrée, des singspiele… En musique de chambre, après avoir abordé le quatuor à cordes, le quatuor avec piano (le Quatuor en ut mineur est son premier opus publié, en 1823), le sextuor, c’est tout naturellement que Mendelssohn songe à composer un octuor. L’idée lui vient peut-être de l’Octuor D. 803 (1824) de Schubert (pour cordes et vents), ou du Double Quatuor op.65 (1823) de SpohrSpohr composera quatre doubles quatuors : Opus 65 (1823), Opus 77 (1827), Opus 87 (1832-1833) et Opus 136 (1847).. Mais alors que ce dernier combine ses deux quatuors tantôt selon une écriture antiphoniqueChaque quatuor joue alternativement le thème. tantôt à l’unisson, Mendelssohn pense véritablement son octuor pour huit voix différentes et indépendantes, ce qui lui permet de varier à loisir les combinaisons instrumentales. Dans son Autobiographie, Spohr reconnaît l’originalité de la pièce : L’Octuor pour cordes de Mendelssohn Bartholdy appartient à un tout autre genre d’art, où les deux quatuors […] n’ont pas d’échanges en chœur l’un avec l’autre, mais où les huit instruments jouent ensemble d’un bout à l’autre.
Achevé le 15 octobre 1825, dédié au violoniste Eduard Rietz à l’occasion de son 23e anniversaire, l’Octuor est d’abord joué entre amis (et probablement par le dédicataire) dans la propriété des Mendelssohn. Puis il faut attendre sept ans, le 17 mars 1832, pour qu’il soit créé à Paris par Pierre Baillotvioloniste, professeur de musique de chambre de Mendelssohn et son ensembleBaillot, Sauzay, Urhan et Norblin, les meilleurs ici
, précise le compositeur à sa famille.. Plus tard, Mendelssohn lui-même jouera son œuvre (d’ailleurs couplée parfois avec l’un des doubles quatuors de Spohr) qu’il dirigera depuis sa place d’altiste.
La partition est éditée en 1833 par Breitkopf and Härtel, dans sa version pour octuor ainsi que dans un arrangement pour piano à quatre mains. Mendelssohn y renouvelle sa dédicace à Eduard Rietz , récemment décédéÀ l’annonce de son décès, Mendelssohn transformera le Menuetto de son Quintette en la op. 18 en un émouvant Intermezzo. Combien je soupire ici après son violon ! Combien je regrette ce jeu profond, que je sens passer mon âme
, déclare le compositeur.. Cette première édition met en avant le potentiel orchestral de l’œuvre : Cet octuor doit être joué par tous les instruments dans un style orchestral ; les piano et forte doivent être différenciés avec précision, et plus vivement accentués qu’il n’est d’usage dans les morceaux de caractère
, précise Mendelssohn dans la préface. D’ailleurs, le compositeur orchestrera le Scherzo en 1829 à Londres, pour remplacer le Menuet de sa Symphonie n° 1.
Considérée comme le premier chef-d’œuvre de Mendelssohn, l’œuvre fait l’admiration de Schumann, ami proche du compositeur : Ni dans les temps anciens, ni de nos jours on ne trouve une perfection plus grande chez un maître aussi jeune
, déclare-t-il. Après Mendelssohn, plusieurs compositeurs s’essayeront au genre de l’octuor à cordes : son ami Niels Gade (Oktett op. 17, 1848), Joachim Raff (Oktett op. 176, 1872), Georges Enesco (Octuor op. 7, 1900), ou encore Dimitri Chostakovitch (les Deux Pièces pour octuor à cordes op. 11, 1924-1925).
Déroulé de l’œuvre
En quatre mouvements, l’œuvre débute avec un Allegro moderato ma con fuoco de forme sonateLa « forme sonate » se divise en trois parties : une exposition qui oppose en général deux thèmes contrastés, le développement de ces thèmes, puis leur réexposition.. Le deuxième mouvement, Andante, est une douce rêverie mélancolique. Ernst Wolff, biographe de Mendelssohn, dit de lui que c’est un chœur d’anges aux voix tendres, qui évoquent le ciel dans une langue douce et claire, où passe un souffle de rêverie intime. Toutes les peines terrestres sont apaisées par la beauté divine
. La forme s’apparente à une forme sonate, dont l’exposition présente trois idées musicales différentes. Après un développement juxtaposant les première et deuxième idées, la réexposition débute avec l’occurrence de la troisième idée, avant le retour des deux premières. Le troisième mouvement est un Scherzo très vif et aérien, typique du style de Mendelssohn. Enfin, le quatrième mouvement, Presto, dévoile, par sa forme sonate fuguéeLes différentes voix entrent de manière successive sur le même thème, selon le principe d’imitation., la maîtrise du compositeur dans le style du contrepointLe contrepoint est l’art d’agencer plusieurs mélodies de façon à ce qu’elles soient harmonieuses individuellement et aussi jouées ensemble.. Le mouvement commence avec les entrées successives des instruments sur un thème sinueux, du grave vers l’aigu et de plus en plus rapprochées. Un second thème suit, joué fortissimo par tous les instruments à l’unisson/octave. Après le développement, la réexposition fait entendre quelques réminiscences du Scherzo.
Focus sur I. Allegro moderato ma con fuoco
De forme sonate, cet allegro débute avec un premier thème (1a) joué au violon 1, dans la tonalité principale de l’œuvre, soit mi bémol majeur. Il est construit sur un arpège énoncé trois fois, et qui se déploie sur un très large ambitus (trois octaves).
L’accompagnement fait de doubles croches et de syncopesUne note en syncope commence sur la seconde partie du temps (ou sur un temps faible) et se termine sur la seconde partie du temps suivant (ou sur le temps faible suivant). Cela crée un décalage des appuis rythmiques (qui ne sont donc plus sur les temps forts) et donne une impression de mouvement. donnent de l’allant à la mélodie. Les arpèges passent aux violoncelles et une transition s’opère vers une deuxième idée musicale (1b) : plus aérée dans sa texture, c'est un jeu de questions/réponses entre les instruments avec un premier motif en notes rapides (doubles croches) piquées auquel répondent des notes longues (noires) liées.
Cette idée se conçoit plutôt comme la suite du thème 1 que comme un nouveau thème : elle débute en mi bémol majeur (même si elle module rapidement en fa mineur) et son caractère se rapproche de l’esprit vif de la première idée 1a. Une reprise du début du thème 1 enchaîne immédiatement, et Mendelssohn en varie déjà le matériau : il le propose dans une tonalité mineure et lui apporte ainsi une couleur plus sombre. Une transition avec l’arpège de 1a, en si bémol majeur cette fois, conduit à une nouvelle idée musicale. Il s’agit bien ici du second thème : dans le ton de si bémol majeur (dominante de mi bémol majeur), son caractère est différent, plus lyrique grâce à ses valeurs longues jouées legato dans une nuance piano. La texture est très différente aussi, beaucoup plus épurée : le thème (d’abord aux violon 4 et alto 1) est soutenu par un accompagnement en notes tenues qui donnent une impression ethérée, à l’opposé de la densité du premier thème dont le violon 1 offre un bref rappel avec l’énoncé de l’arpège. Ce second thème est constitué de deux phrases, la deuxième découlant directement de la première par la répétition de sa dernière cellule mélodique.
Les notes piquées de la seconde phrase réalisent une transition parfaite avec le retour de 1b. La fin de l’exposition se déroule ainsi avec une nouvelle reprise du thème 1, un bref rappel du thème 2 dans la nuance forte et une formule cadentielle (codetta) sur les motifs du thème 1. Dans le développement qui suit, Mendelssohn reprend les thèmes et joue à les varier dans différentes tonalités. On retrouve l’arpège de 1a puis l’idée musicale 1b dont le compositeur développe particulièrement la réponse. Un diminuendo et une épuration de la texture (certains instruments se taisent) conduisent au retour du thème 2, la phrase entière puis seulement la tête. Un bref rappel de la réponse 1b précède le retour des syncopes du thème 1 qui relancent le mouvement. Une formule de fin en doubles croches, fortissimo et à l’unisson/octave, mène à la réexposition.
La réexposition est beaucoup plus courte que l’exposition : le thème 1 n’est énoncé qu’une seule fois (en mi bémol majeur), sans la seconde idée 1b puisqu’on enchaine directement avec le thème 2 (lui aussi en mi bémol majeur). On retrouve ensuite l’occurrence de 1b superposée avec 1a, avant la codetta.
Une coda, qui fait entendre une dernière fois les motifs du premier thème, termine le mouvement dans un grand fortissimo.
Focus sur III. Scherzo
Mendelssohn confie à sa sœur Fanny qu’il souhaite mettre en musique les vers du Faust de Goethe. Son Scherzo se rapporte aux derniers vers de La Nuit de WalpurgisLa Nuit de Walpurgis est un passage situé à la fin de Faust. Six ans plus tard, Mendelssohn compose une cantate intitulée La Première Nuit de Walpurgis, sur un poème éponyme de Goethe qui n’a rien à voir avec Faust. :
Wolkenflug und Nebelflor
Erhellen sich von oben,
Luft im Laub und Wind im Rohr
Und Alles ist zerstoben
Traînées de nuages et voiles de brouillard
S’éclairent par le haut,
L’air passe dans le feuillage, le vent dans les roseaux
Et tout s’évanouit !
D’un point de vue formel, ce scherzo ne ressemble pas aux habituelsLa forme habituelle du scherzo, ordinairement à trois temps, est scherzo – trio – scherzo da capo. du genre : à deux temps, il est construit sur une forme sonate, depuis laquelle Mendelssohn s’autorise néanmoins quelques libertés.
L’exposition présente deux thèmes qui, très proches de caractère, ne sont opposés que par leurs tonalités (respectivement en mi bémol mineur et si bémol majeur). Vient ensuite le développement qui introduit un nouveau matériau musical, tandis que la réexposition qui suit varie librement les deux premiers thèmes. La coda fait entendre tous les instruments à l’unisson/octave et le morceau se conclut sur une ultime envolée du premier violon.
Caractéristiques d’écriture
Ce mouvement est l’un des premiers exemples de « scherzo féérique » de Mendelssohn : dans un tempo très vif, soutenu par un flot ininterrompu de doubles croches, les notes fusent, passant d’un instrument à l’autre comme des êtres virevoltants. Le jeu des cordes, presque constamment pianissimo et staccato, donne une impression de légèreté, accentuée par les trilles qui viennent ponctuer régulièrement le discours musical (l’utilisation du trille fait même l’objet de toute une partie du développement). Mendelssohn réussit à transcrire avec brio le texte de Goethe. L’effet saisissant du Scherzo est rapporté par les propos de sa sœur Fanny : Félix m’a confié ce qu’il a voulu exprimer dans cette dernière œuvre. Le morceau se joue staccato et pianissimo ; les tremolos, les trilles, tout y est nouveau, étrange et néanmoins si éthéré qu’il semble qu’un souffle léger vous élève dans le monde des esprits. On serait tenté soi-même d’enfourcher le manche à balai d’une sorcière pour mieux suivre dans son vol la troupe aérienne. À la fin, le premier violon s’envole avec la légèreté d’une plume et tout s’évanouit.
On retrouve ce style d’écriture dès l’année suivante dans l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été .
Sources bibliographiques
- Brigitte François-Sappey, Felix Mendelssohn : la lumière de son temps, Éditions Fayard, 2008
- Guide de la musique de chambre, Éditions Fayard, 1993
- Grove Music Online
Auteure : Floriane Goubault