Gary Burton fait partie de ces musiciens de jazz dont l’empreinte sur l’instrument est si forte que leur influence excède largement la sphère du jazz. Ayant développé une technique à quatre baguettes d’une virtuosité exceptionnelle, Gary Burton a ainsi contribué à renouveler en profondeur l’approche du vibraphone, développant un style d’improvisation différent de celui de ses principaux prédécesseurs, Lionel Hampton et Milt Jackson. Soliste précoce, remarquable par la complexité de son expression, il fut aussi l’un des pionniers du jazz-rock, un pédagogue d’importance doublé d’un découvreur de talents et, dès ses débuts, l’un des musiciens qui ont contribué à ouvrir le jazz à l’influence d’autres formes musicales populaires, de la country au tango.
Les premiers albums
Né le 23 janvier 1943 à Anderson (Indiana, États-Unis), Gary Burton apprend à jouer du vibraphone et du marimba en autodidacte dès l’âge de six ans, développant une technique inédite à quatre mailloches à partir de huit ans. Encouragé par ses parents, il se produit en public, offrant le spectacle d’un enfant prodige. Sa découverte du jazz à treize ans l’oriente sérieusement vers la profession de musicien. À dix-sept ans, il passe trois mois à Nashville, capitale de la country music, auprès du guitariste vedette Hank Ballard avec qui il enregistre un album, Jazz Winds from a New Direction, qui aura un impact durable sur des musiciens tels que George Benson. Par la suite, l’association du vibraphone à la guitare sera l’une des caractéristiques quasi constantes de ses groupes. Grâce à Chet Akins, il signe un contrat avec RCA qui lui permet de publier ses premiers albums : il enregistre ainsi son premier disque, New Vibes Man in Town, alors qu’il est étudiant à la Berklee School of Music à Boston (1960-61). Après deux années de scolarité, il met un terme à ses études et rejoint le quintet du pianiste George Shearing (1962-63) qui consacrera tout un album à ses compositions (Out of the Woods, 1963), puis le groupe de Stan Getz (1964-66) grâce auquel il se fait connaître en Europe où sa virtuosité frappe les esprits.
Une figure majeure du jazz-rock
En 1966, il retourne dans les studios de Nashville pour enregistrer Tennessee Firebird, à la croisée du jazz et de la country, disque précurseur des démarches qui, dans la seconde moitié des années soixante, tentent d’ouvrir le jazz à d’autres courants musicaux. Influencé par l'approche musicale des Beatles, avide d’éclectisme, Gary Burton en devient l’un des acteurs principaux en formant un quartet avec le guitariste Larry Coryell (qui sort de l’expérience du groupe Free Spirits), le contrebassiste Steve Swallow et le batteur Roy Haynes (par la suite remplacé par Bob Moses) qui sera un groupe essentiel dans l’émergence du jazz-rock. Les trois albums du groupe – Duster (1967), Lofty Fake Anagram (1967) et In Concert (1968) – sont des références du genre qui combinent des rythmes et des sonorités empruntées au rock avec une place prédominante faite à l’improvisation et une complexité harmonique qui relèvent du jazz. La popularité du groupe l’amènera à partager l’affiche avec des groupes de rock. En 1968, le vibraphoniste signe aussi A Genuine Tong Funeral, un « opéra sans parole » (sic) de Carla Bley, compositrice dont Burton sera l’un des défenseurs. L’année suivante, c’est avec Stéphane Grappelli qu’il enregistre à Paris. Il est alors reconnu comme un révolutionnaire de son instrument.
Une technique de jeu originale
D’abord influencé par Milt Jackson, Gary Burton développe une approche de type « clavier » inspirée des pianistes et des guitaristes. Peu usité avant lui, l’emploi simultané de quatre mailloches lui permet de développer des phrases nettement plus complexes et moins « horizontales » que la technique à deux baguettes ne l'autorisait et qui le distingue de ses prédécesseurs. Le vibraphoniste est ainsi en mesure de s’accompagner lui-même, de développer de véritables séquences harmoniques ou de jouer de superpositions d’accords qui rendent possibles les prestations en solo (ce qu’il fait dès 1970) ou en duo (comme avec Chick Corea à partir de 1972). Ce jeu nourri va de pair avec une absence de vibrato, une technique d’attaque de la lame et une sonorité cristalline qui lui confèrent une grande limpidité.
De multiples collaborations
À partir de l’automne 1971, Gary Burton intègre l’équipe pédagogique du Berklee College of Music et mène de front une carrière d’enseignant réputé (il deviendra vice-président de l’école en 1995) et des groupes dont le personnel est parfois constitué d’anciens étudiants ou de confrères. Passeront dans ses rangs les guitaristes Sam Brown (1970-71), Mick Goodrick (1973-1974), Pat Metheny (1974-77) – dont c’est le premier engagement d’importance, à 19 ans – et John Scofield (1977), les bassistes Tony Levin (1971), Abraham Laboriel (1973) et Steve Swallow, les batteurs Bill Goodwin (1969-71), Harry Blazer, Bob Moses (1974-75), Danny Gottlieb (1976), Mike Hyman (1979-87) et Adam Nussbaum, ainsi que le trompettiste Tiger Okoshi (1978), les saxophonistes Jim Odgren (1980-83) et Tommy Smith (1985-87) ou encore le pianiste Makoto Ozone (1983-1987). Son association avec le label ECM donne lieu à une importante production phonographique (seize albums), avec ses groupes réguliers mais aussi pour des duos de circonstance avec Steve Swallow, Ralph Towner et Chick Corea. Il collabore aussi épisodiquement avec le compositeur Mike Gibbs.
En 1998, sous contrat avec la firme GRP, Gary Burton enregistre une série de disques (pour lesquels il renoue avec des musiciens dont il a contribué à lancé la carrière, tels Pat Metheny et John Scofield, ou d’autres qui sont passés par les rangs de la Berklee comme leurs jeunes confrères Wolfgang Muthspiel et Kurt Rosenwinkel) et fait appel au compositeur Vince Mendoza. En 1992, le vibraphoniste codirige un groupe avec le clarinettiste Eddie Daniels qui modernise, sur scène et en studio, le répertoire de Benny Goodman et Lionel Hampton (Benny Rides Again). Cinq ans plus tard, il inaugure sa collaboration avec le label Concord par Departure, un album consacré aux standards, qu’il a peu joués jusqu’alors, et en enregistre un autre, Like Minds (1998) avec des musiciens de sa génération devenus, comme lui, des références sur leur instrument respectif : Pat Metheny, Chick Corea, Dave Holland et Roy Haynes.
Outre une collaboration avec le pianiste panaméen Danilo Perez (1996), il entretient une relation suivie avec le japonais Makoto Ozone avec qui, en 2002, il cosigne Virtuosi, série de variations sur des pièces de Brahms, Scarlatti, Ravel et Samuel Barber. Parallèlement, affirmant un goût pour le tango amorcé superbement en 1986 au festival de Montreux, par l’enregistrement de la Suite for Vibraphone and New Tango Quintet avec son auteur, Astor Piazzolla, il forme une « Astor Piazzolla Reunion » en 1998 puis, deux ans plus tard, publie Libertango qui se prolonge naturellement en 2005 à une collaboration avec l’un des héritiers du maître argentin : le français Richard Galliano.
Après avoir un temps cessé de diriger son propre groupe, et ayant pris sa retraite après trois décennies d’une carrière d’enseignant, il reconstitue en 2004 une formation qui, sous l’intitulé de « Generation », met en avant de jeunes musiciens issus de Berklee pour la plupart, dont il alterne les tournées avec les retrouvailles d’anciens partenaires (Pat Metheny en 2006 ; Chick Corea en 2007) qui incarnent comme lui, désormais, tout un pan de l’histoire du jazz.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : mai 2007)