Eddy Louiss (1941-)
L’un de ses disques les plus réussis s’intitulait simplement Orgue. Pendant longtemps en Europe, Eddy Louiss a dominé l’instrument de sa personnalité au point de rendre marginale toute concurrence. Et pourtant, ses talents sont loin de se limiter à ce seul instrument.
Organiste de talent
Né le 22 mai 1941 à Paris, fils d’un musicien d’origine martiniquaise (le trompettiste Pierre Louiss), Eddy a reçu des leçons de piano dès l’âge de cinq ans. Très jeune, il chante et joue dans l’orchestre de son père tous les étés. Sa curiosité pour le jazz le pousse à s’essayer à différents instruments : la trompette, le vibraphone et l’orgue qu’il découvre grâce à Lou Bennett. C’est comme pianiste qu’il se fait d’abord connaître dans les clubs parisiens, et comme chanteur dans le groupe vocal des Double Six avec lequel il enregistre notamment en compagnie de Dizzy Gillespie et des arrangements de Quincy Jones. Libéré de ses obligations militaires, il peut mener une double carrière, un pied dans la variété (il accompagne Nougaro et Nicole Croisille), l’autre dans le jazz. En 1966, à l’orgue, il forme le trio HLP avec Daniel Humair (batterie) et Jean-Luc Ponty (violon) qui fait les beaux soirs du Chat qui pêche et enregistre trois disques qui feront date par l’originalité de la formule et l’intensité des interprétations. Son association avec les batteurs américains expatriés Art Taylor et surtout, à partir de 1968, Kenny Clarke, dans un trio avec guitariste (Jimmy Gourley, Pierre Cullaz ou René Thomas) le place au cœur d’une formule grâce à laquelle peut transparaître toute la faconde irrésistible de son talent et se manifester sa sensibilité sur un instrument dont il sait exploiter à merveille toutes les ressources expressives. De tous les organistes, il est probablement celui qui s’est démarqué le plus du « père » américain, Jimmy Smith.
Apogée d’une carrière
Accompagnant Johnny Griffin pendant neuf mois au Jazzland à Paris, il atteint l’un des sommets de sa carrière lorsque Stan Getz l’engage ainsi que son groupe (René Thomas à la guitare, Bernard Lubat à la batterie) après les avoir entendus à l’Apollo en juin 1970, époustouflé par les qualités d’Eddy Louiss sur un instrument pour lequel il avait jusque-là une profonde aversion. Malgré une évidente empathie, l’aventure tourne court, cependant, malgré les déclarations de Getz qui se dit prêt à reprendre sa carrière américaine en leur compagnie. Il subsiste fort heureusement une trace enregistrée d’un concert au Ronnie Scott’s à Londres (Dynasty). À son retour en France, Louiss est au centre du Porgy and Bess arrangé par Ivan Jullien, dans l’orchestre duquel il a abondamment joué quelques années plus tôt. Il enregistre deux albums en quartet ainsi qu’un disque avec Stéphane Grappelli en 1972 mais l’essentiel de son temps est consacré à la variété.
Multicolor Feeling
Moins présent sur la scène parisienne depuis qu’il s’est installé dans le Poitou en 1978, il constitue des orchestres réunissant des musiciens venus d’horizons différents, signe d’un intérêt grandissant pour les musiques et les rythmes du monde à la manière d’un Joe Zawinul : le saxophoniste guinéen Jo Maka, le batteur Paco Séry qu’il « découvre » en Côte d’Ivoire en 1986, le percussionniste sénégalais Abdou M’Boup, les bassistes Sylvin Marc et Julio Rakotonanahary (malgaches tous les deux), le batteur Mokhtar Samba… Son groupe au personnel variable prend d’ailleurs en 1986, le nom de Multicolor Feeling, et se transforme l’année suivante à la faveur d’un concert au théâtre de la Ville à Paris, en une fanfare exceptionnelle d’une cinquantaine de musiciens, à mi-chemin du big band et de l’harmonie, où se côtoient musiciens amateurs et professionnels. Cet orchestre à géométrie variable (de quarante à cent musiciens) où prédominent les saxophones emmenés par Daniel Huck continuera d’exister au gré des engagements dans les festivals. En août 1988, il a l’occasion de jouer en duo avec Michel Petrucciani, ébauche d’une conversation qui, sous le titre de Conférence de presse, se matérialise superbement en 1994 par l’enregistrement en public d’un double album. L’année suivante, il enregistre en Louisiane avec des musiciens de La Nouvelle-Orléans un album ancré dans le rhythm’n’ blues. En 2001, son duo avec Richard Galliano le ramène au devant de la scène. À la mort de Claude Nougaro, il participe avec d’anciens accompagnateurs du chanteur (Maurice Vander, Luigi Trussardi, Bernard Lubat) à un hommage à celui qui lui avait dédié une chanson, « C’est Eddy ».
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juillet 2005)