Batteur parmi les plus prolifiques de la scène new-yorkaise dans sa version downtown, Jim Black s’est distingué par un jeu constamment mobile et provocant dont la frénésie percussive a fourni son énergie à plusieurs groupes à l’influence capitale des années 1990. Hyperactif à la fois dans son approche de la batterie et dans activité professionnelle, il est devenu l’un des musiciens les plus en vue d’une certaine scène du jazz « alternatif » (comme on le dit du rock) qui cultive l’expérimentation et ignore les frontières musicales.
Apprentissage et premiers groupes
Jim Black est né le 3 août 1967 à Dallas City (Californie, États-Unis). Ayant grandi entre les banlieues de San Francisco et de Seattle au gré des déplacements professionnels de son père, il découvre le plaisir de la percussion sur une batterie de fortune encore enfant. Sans véritablement suivre de cursus, il se retrouve à quatorze ans dans un big band adolescent dans lequel il rencontre des musiciens avec lesquels, vingt ans plus tard, il jouera encore à New York : Chris Speed, Andrew D’Angelo, Brad Shepik, et John Silverman. Ces derniers élargissent son horizon musical en lui faisant découvrir Ornette Coleman, Miles Davis et Weather Report. Un ouvrage du batteur Bob Moses contribue à son approche intuitive et spontanée du jeu de batterie. En 1985, il intègre la Berklee School of Music à Boston où il restera quatre ans. C’est une période décisive pendant laquelle, tout en formalisant sa technique, Jim Black forme le groupe Human Feel avec Chris Speed, Andrew D’Angelo (saxophones et clarinette), John Silverman (basse) et Rick Peckham puis Kurt Rosenwinkel (guitare) qui pratique l’improvisation collective et, par son travail sur les textures sonores, préfigure plusieurs des groupes dans lesquels le batteur s’est impliqué depuis.
Des rencontres déterminantes
En 1991, Jim Black déménage à Brooklyn. Fréquentant les jam sessions plutôt straight-ahead, où il joue avec Roy Hargrove et Antonio Hart, il suit les conseils de Jeff Tain Watts et Jeff Hamilton qu’il assimile à sa manière. Son intérêt se porte très vite vers des musiciens plus avant-gardistes. Plusieurs rencontres déterminantes interviennent alors : avec le guitariste Ben Monder, le saxophoniste Tim Berne, le trompettiste Dave Douglas ou encore le saxophoniste Ellery Eskelin qui occupent régulièrement la scène de la Knitting Factory ou du Tonic de John Zorn. Avec chacun d’entre eux, le batteur se retrouve dans des contextes inédits au sein desquels il peut développer sa singularité : Déménager à New York a été comme retourner à l’école : je me retrouve au milieu de gens qui composent, travaillent, arrivent à être eux-mêmes, à vraiment trouver leur musique
. Dans le Tiny Bell Trio de Dave Douglas (avec Brad Shepik, depuis 1991), il multiplie les petites percussions comme des touches de couleurs et, sollicitant tout le corps de son instrument, joue avec facétie un répertoire marqué par les musiques balkaniques et klezmer. Avec le trio d’Ellery Eskelin (depuis 1994), que complète l’accordéoniste Andrea Perkins, il retrouve l’énergie du rock grunge de son adolescence et s’attache à explorer les textures et les climats décalés que produit l’association des timbres instrumentaux. Avec le Bloodcount de Tim Berne, c’est l’improvisation libre et son sens des couleurs qui sont mis en avant.
Un style éclectique
Comme un croisement de l’influence de Max Roach, Paul Motian et Sunny Murray, il prolonge de façon radicale le style de Joey Baron et de Han Bennink auxquels il ressemble par une sorte de capacité à ne jamais se répéter, à jouer des dynamiques extrêmes et à varier inlassablement les timbres, à éclater ses frappes dans un foisonnement électrique et délibérément cahotant qui n’est pas dénué d’humour. Suggéré, esquissé, sous-jacent, le tempo, pour autant, n’est jamais oublié et Jim Black fascine par son habileté à difracter la pulsation : son jeu est un feu d’artifice permanent fait de précipités et de blocages, d’envolées et de chutes, de digressions et d’exclamations qui forment un accompagnement éruptif et disloqué : Je ne travaille plus la batterie comme avant. Ce qui m’importe, c’est d’élargir ma palette sonore, d’avoir des idées ingénieuses, et surtout une raison pour la moindre note que j’émets
. Ses propres groupes sont le reflet de cette approche éclectique et spontanée, toujours sur le qui-vive, qu’il s’agisse de AlasNoAxis très ancré dans le son du rock, les distorsions et l’énergie binaire, ou de Pachora, dont le répertoire est à base de rythmes des Balkans. Au sein du Yeah No! de Chris Speed, il développe, en outre, l’utilisation de l’ordinateur comme séquenceur et sampleur.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juin 2005)