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C’est l’une des apostrophes les plus célèbres de la chanson française au point qu’elle a passé dans le langage courant : ce « Chauffe Marcel ! » que lance Jacques Brel dans Vesoul, c’est à Marcel Azzola, l’un des plus emblématiques accordéonistes français qu’il s’adressait. Des figures de la chanson, Azzola en aura accompagnées plus d’une : Yves Montand, Barbara, Georges Brassens, Edith Piaf, Juliette Gréco… Si sa carrière l’a longtemps maintenu auprès des vedettes et sur les antennes de radios populaires, son goût pour le jazz en a fait l’un des précurseurs de l’émancipation de l’accordéon vers les libertés du jazz. Né le 10 juillet 1927 à Paris, fils d’un joueur de mandoline italien ayant fui le fascisme, Marcel Azzola commença à Pantin par étudier le violon mais sur les chantiers, son père devenu maçon fréquentait des compatriotes qui influèrent sur ce choix premier.
De la musique populaire...
Très tôt, les premières leçons débouchèrent sur des engagements professionnels : guinguettes, bals musette, dancings… l’accordéon dans l’immédiat après-guerre est destiné à faire tourner les têtes. Mais Marcel Azzola ne reste pas sourd au jazz dont la diffusion s’est accrue en France dans le sillage de la Libération. Son ami d’adolescence, Didi Duprat, guitariste qui fréquentait les manouches et adulait Django Reinhardt, lui a déjà fait découvrir les joies de l’improvisation. Et lui-même n’a pas manqué de s’intéresser au travail de défricheur de Gus Viseur, son aîné. S’il fréquente en amateur les clubs de jazz de la capitale où il lui arrive de faire le bœuf, son chemin professionnel passe alors par la musique de genre, l’accompagnement des chanteurs, les musiques pour le cinéma et le circuit de la variété. Chez Barclay, à partir de 1953, il enregistre d’innombrables titres de musique à danser : paso doble, tangos, boléros, musette, chansons « typiques » et des adaptations d’airs classiques. Le jazz lui est interdit par des producteurs qui veillent à ce que sa musique demeure « accessible » au plus grand nombre. Ses années auprès de Jacques Brel et son intervention mémorable dans Vesoul resteront longtemps attachées à son nom.
...au monde du jazz
C’est seulement à l’orée d’une retraite dorée que Marcel Azzola connaît une seconde carrière qui survient à un moment où l’accordéon, longtemps victime de son image populaire, se débarrasse d’une partie des préjugés qui l’entourent, notamment sous l’impulsion de Richard Galliano. Partenaire de différents jazzmen, Marcel Azzola n’est pas pour rien lui non plus dans cette renaissance. Avec Stéphane Grappelli, Christian Escoudé, Dany Doriz, Toots Thielemans, il peut enfin donner libre cours à ses talents d’improvisateur longtemps dissimulés. Le trio qu’il forme avec Patrice Caratini et Marc Fosset (dans l’album Trois temps pour bien faire, 1982) propose l’un des plus élégants équilibres entre la poésie de la musique populaire et le swing entraînant du jazz. Deux albums en 1993 marquent cette renaissance, l’un en hommage à Edith Piaf, L’accordéoniste, avec Grappelli et Stéphane Belmondo ; l’autre en duo, Musique à la mode, fruit d’une longue complicité avec la pianiste Lina Bossatti. On le retrouve aussi avec Florin Niculescu et Jacques Vidal. Depuis, Marcel Azzola continue de défendre la richesse de ce « piano à bretelles » qu’il aime passionnément (c’est un grand collectionneur d’instruments), notamment en duo avec son confrère Marc Perrone.
(mise à jour : août 2005)
Marcel Azzola décède le 21 janvier 2019, à 91 ans.
Auteur : Vincent Bessières