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Le Voyage à Reims Gioacchino Rossini
Carte d’identité de l’œuvre : Le Voyage à Reims (Il Viaggio a Reims) de Gioacchino Rossini |
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Genre | opéra : dramma giocoso |
Librettiste | Luigi Balocchi, d’après le roman de Mme de Staël Corinne ou l’Italie (1807) |
Langue du livret | italien |
Composition | en 1825 à Paris |
Création | le 19 juin 1825 au Théâtre italien, à Paris |
Forme | opéra en un acte et 25 scènes |
Instrumentation | bois : 1 piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons cuivres : 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones percussions : timbales, grosse caisse, triangle cordes pincées : 1 harpe, 1 clavecin cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
Le détournement d’une commande officielle
Rossini, compositeur italien libéral et idéaliste, reçoit la commande d’une œuvre destinée à célébrer le couronnement du roi de France – pays dans lequel il vient de s’installer –, et donc le retour à la monarchie. Embarrassé, le compositeur ne veut pas décevoir les autorités politiques et artistiques de son pays d’adoption. Aussi, il teinte habilement son opéra d’ironie et, loin de magnifier l’événement, met en scène les péripéties de notables dans une œuvre légère, une comédie de mœurs faite de quiproquos et d’histoires sentimentales. En plus de deux heures, le roi ne fait que de la figuration… curieuse façon de louer son protecteur.
Réception et critique de l’œuvre
Le 19 juin, Charles X et la famille royale se rendent au Théâtre italien. Le journal Le Moniteurcité dans Imbert de Saint-Amand, La Cour de Charles X, 1892, E. Dentu, Paris, p. 138, rapporte : C’est un opéra dans un cadre qui, sous les formes de l’opera buffaL’opéra bouffe est un genre d’opéra italien au sujet comique., offre quelques idées qui ne sont pas dénuées de comique, et dans lequel, un juste hommage d’amour et de respect est quelquefois présenté avec un art que le goût français ne pourrait désavouer. […] Le compositeur est M. Rossini. Les morceaux sont dignes de ce maître célèbre.
Néanmois, les avis divergent sur l’œuvre. Le critique Castil Blaze écrit, dans le Journal des débats (21 juin 1825) : C’est une pièce de circonstance écrite en quelques jours. Le défaut d’action fait paraître l’opéra encore plus long qu’il n’est réellement.
À l’opposé, StendhalL’écrivain, amoureux et défenseur de la musique italienne, écrit Vie de Rossini en 1823. déclare dans le Journal de Paris (21 juin 1825) : Voici enfin un opéra tel que depuis longtemps nous le demandons à Rossini. Ce grand compositeur vient de nous donner de la musique faite pour les voix que nous possédons à Paris, et nous voyons pour la première fois peut-être, depuis que le Théâtre italien existe, tous les premiers sujets chanter ensemble. Rendons grâce à l’administration de ce pas immense fait dans la carrière musicale.
Malgré son succès, Rossini enlève l’ouvrage de l’affiche après quatre représentations. Il en réutilisera de larges passages dans un autre opéra, Le Comte Oryson avant-dernier opéra (1828). Pour entendre à nouveau l’œuvre originale, il faut attendre 1848 à l’occasion de la célébration de la Révolution, puis 1854 à Vienne pour le mariage de l’empereur François-Joseph et Elisabeth de Bavière. Aucune représentation n’est ensuite donnée jusqu’aux travaux de recherche d’un musicologue en 1970, et la représentation en 1984 sous la baguette de Claudio Abbado.
L’argument
À quelques kilomètres de Reims, l’ambiance à l’Auberge du Lys d’orallusion à la monarchie est enflammée. Les hôtes, une multitude de personnages de toutes nationalités, venus suivre des soins thermaux, attendent le lendemain pour se rendre au couronnement du nouveau roi. Mais très vite, ils vont se trouver coincés : plus un seul cheval disponible ! Pour passer le temps, ils vont se raconter des histoires. Sous les yeux de Madame Cortese la propriétaire de l’hôtel, la comtesse de Folleville, une élégante parisienne, va croiser le baron de Trombonok, commandant allemand à la retraite passionné de musique et Don Profondo, féru d’antiquités. Le comte de Libenskof, un général russe, défie en duel l’Espagnol Amiral Alvaro : tous deux sont épris d’une jeune veuve polonaise, la marquise Melibea. L’Anglais Lord Sidney se meurt d’amour pour Corinne, une poétesse romaine qui improvise une ode de fraternité accompagnée de sa harpe. Mais il doit affronter son rival, le chevalier Belfiore, un séducteur français caricatural, et Don Profondo, un autre admirateur. Finalement, tous décident de célébrer l’événement à leur façon, et organisent une fête à l’auberge le soir même.
Les personnages et les voix
L’Italie, berceau des arts, est représentée par Corinne, célèbre improvisatrice romaine, poétesse douce et idéaliste, qui tente de calmer les esprits en parlant d’amour et de joie. Elle incarne avec sa voix de soprano à la fois la poésie et l’harmonie. Lors de la première, le rôle échoit à la diva Giuditta Pasta, encore au plus haut de son art.
Don Profondo, ami de Corinne, savant fou d’antiquités et membre de plusieurs académies, est doté d’une voix de basse bouffebasse spécialisée dans des rôles comiques, qui requiert de la virtuosité.
Don Prudenzio, le médecin, doit inspirer confiance et sagesse, d’où sa voix de basse posée et grave, et le choix de son nom. Mais son attitude et son langage pseudo-médical le rendent ridicule.
Madame Cortese est une dame spirituelle et aimable, née dans le Tyrol, femme d’un négociant français qui voyage, et maîtresse de l’hôtel thermal. Dès son premier solo, sa voix de soprano s’envole dans de légères vocalises, des guirlandes de notes haut perchées et un grand lyrisme.
Le chevalier Belfiore, appelé « Bellefleur » dans l’édition de 1825, est un jeune officier français, gai, élégant, qui fait la cour à toutes les dames. C’est un séducteur caricatural qui courtise Corinne et la comtesse de Folleville de sa voix de ténor héroïque.
La comtesse de Folleville a une voix aiguë de soprano, aussi légère que son personnage est frivole. Jeune veuve remplie d’esprit et de vivacité, folle des modes, elle incarne la France superficielle, que l’on retrouve dans son nom.
Le baron de Trombonok, major allemand fou de musique, symbolise la culture germanique et le sérieux. Sa voix grave de basse sert son personnage dont le nom rappelle celui du trombone. C’est lui qui propose l’harmonie entre les peuples (un clin d’œil à la Symphonie n° 9 de Beethoven ?), ironiquement prémonitoire des événements de 1870.
La marquise Melibea est une dame polonaise, veuve d’un général italien mort le jour même du mariage dans une attaque imprévue de l’ennemi. Sa voix de contraltovoix de femme dont la tessiture est la plus grave semble inspirer le respect dû à son deuil… bien qu’elle soit l’objet de jalousies entre deux amoureux qui iront même jusqu’à s’affronter en duel :
- D’un côté, le comte Libenskof clame son amour d’une voix de ténor aiguë, qui marque son caractère jeune et fringuant. C’est un général russe, d’un caractère vif et jaloux à l’excès.
- De l’autre côté, Don Alvaro, grand d’Espagne et officier général de marine, un peu hautain, affronte son rival de sa voix de basse.
Quant à l’excentrique Lord Sidney, colonel anglais raffiné et courtois, il ne peut déclarer sa flamme à Corinne qu’il aime en secret. Sa réserve s’exprime avec une voix de basse non destinée à briller ou à mettre son personnage en avant.
Une forme singulière
Le Voyage à Reims doit faire référence à un événement exceptionnel, grandiose, mais semble être en réalité une comédie banale qui enchaîne les rebondissements insignifiants. L’opéra est un dramma giocosoune sorte d’opéra burlesque en un acte et 25 scènes qui se succèdent à la manière de querelles entre des personnages pittoresques, des aristocrates venus de toute l’Europe : France, Allemagne, Pologne, Espagne, Angleterre, Russie, Italie… Dans ce rassemblement sur scène d’aristocrates cosmopolites, on peut percevoir l’union des monarques d’Europe, mobilisés pour célébrer le retour à la monarchie après des périodes si troublées politiquement.
À Paris, Rossini dispose d’une troupe de remarquables chanteurs, les meilleurs du Théâtre italien dont la moitié a l’envergure de solistes. Il prévoit pour chacun un air qui le met en valeur, sans supplanter les autres. Pas de rôle-titre, pas un soliste mais des solistes, et chacun brille à travers des ariasou « airs », mélodies expressives qui privilégient la beauté de la voix et des ensembles : des duos, un sextuor, et même un surprenant ensemble à 14 voix a cappella. À défaut de glorifier le roi, il rend hommage aux plus grands interprètes parisiens du moment.
Rossini utilise aussi bien le recitativo seccoou « récitatif sec », dans lequel l’accompagnement instrumental se compose d’une basse continue, ici au clavecin et le recitativo accompagnatoou « récitatif accompagné », sorte de commentaire de l’orchestre qui ponctue le texte du soliste. L’orchestre, renforcé par celui de l’Opéra, doit jouer une partie instrumentale difficile. Une manière pour Rossini de montrer son talent auprès de ses commanditaires ?
Le chant chez Rossini : le bel canto
Héritée du XVIIIe siècle italien, cette expression désigne un style de chant où la voix déploie des capacités techniques poussées à l’extrême. La voix fascine les spectateurs, friands d’exploits. Quelles sont ses caractéristiques ? La longueur du souffle, la souplesse de la ligne mélodique, une expression legato (des notes liées), la légèreté, une articulation parfaite afin de bien faire comprendre le texte, une préférence pour le registre aigu, l’agilité… en un mot, la virtuosité (des notes piquées, répétées, tenues, puissantes, des arpèges, des ornements...). On trouve dans le bel canto rossinien toutes les formules qui peuvent éblouir, qui mettent la voix en valeur. Pour Rossini, l’expression de la musique n’est pas celle de la peinture, […] elle ne consiste pas à peindre sur le vif les effets extérieurs des émotions de l’âme mais à les susciter chez qui l’écoute
. On ne cherche donc pas une approche de la vérité, ce qui adviendra plus tard avec Verdi.
Focus sur...
L’ouverture
Contrairement à la plupart des opéras de Rossini, l’ouverture du Voyage à Reims est très courte. On y retrouve néanmoins certaines caractéristiques propres aux ouvertures rossiniennes : après une introduction qui suscite l’attente (entrée progressive des instruments sur une pédale de sol, crescendo menant vers un tutti annonçant l’agitation à venir, transition modulante), un thème se fait entendre, virevoltant, où les violons virtuoses dialoguent avec les bois. Un grand crescendo, caractéristique de Rossini, mène vers une coda fortissimo enchaînant directement avec le premier air.
N.B. : il existe une Ouverture du Voyage à Reims, indépendante de l’opéra, qui est en réalité un morceau composé ultérieurement et constitué d’airs de danse extraits du Siège de Corinthe de Rossini (1826).
L’air de Lord Sidney (n° 4 scène XII)
Rossini est l’un des premiers à populariser au sein de l’opéra l’air en deux parties « cantabile – cabalette ». Ce type d’air prend place dans ce qu’on appelle la solita forma, une structure musicale composée de plusieurs éléments successifs :
- un récitatif, dans lequel l’action dramatique avance ;
- la première partie de l’air, le cantabile, dans un tempo plutôt lent et qui développe l’expression des sentiments énoncés dans le récitatif ;
- une partie centrale intermédiaire, appelée tempo di mezzo, qui provoque un rebondissement dans l’action dramatique ;
- la seconde partie de l’air, la cabalette, dans un tempo rapide.
Dans Le Voyage à Reims, l’air de Lord Sidney illustre cette forme particulière de structure musicale. La scène commence avec un récitatif, dans lequel le personnage se lamente sur son amour secret et malheureux pour Corinne. L’air qui suit, le cantabile, développe l’expression de ses sentiments, auxquels il tente en vain de se soustraire, et la volonté de les taire à l’élue de son cœur. L’arrivée du chœur de jeunes filles annonce le tempo di mezzo et bouleverse les résolutions de Lord Sidney : les fleurs qu’apportent les femmes le rappellent à son amour pour Corinne, qu’il proclame en lui jurant fidélité dans la cabalette.
Auteure : Sylvia Avrand-Margot