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Petrouchka Igor Stravinski
Carte d’identité de l’oeuvre : Petrouchka d’Igor Stravinski |
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Genre | ballet |
Argument | Alexandre Benois et Igor Stravinski |
Composition | en 1910-1911, révision en 1946-1947 |
Création | le 13 juin 1911 au Théâtre du Châtelet à Paris, par les Ballets russes de Serge Diaghilev, sur une chorégraphie de Michel Fokine, des décors et costumes de Alexandre Benois et sous la direction de Pierre Monteux |
Forme | scènes burlesques en quatre tableaux : Tableau I : La Foire de la Semaine grasse Tableau II : Chez Petrouchka Tableau III : Chez le Maure Tableau IV : La Foire de la Semaine grasse (la nuit) |
Instrumentation | bois : 2 piccolos, 4 flûtes, 4 hautbois, 1 cor anglais, 4 clarinettes, 1 clarinette basse, 4 bassons, 1 contrebasson cuivres : 4 cors, 2 trompettes, 2 cornets à pistons, 3 trombones, 1 tuba percussions : timbales, cymbales, grosse caisse, triangle, tambour de basque, tambour militaire, tam-tam, xylophone, célesta, glockenspiel claviers : 1 piano cordes pincées : 2 harpes cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Trois Mouvements de Petrouchka, transcription pour piano d’Igor Stravinski | |
Genre | musique pour instrument seul |
Composition | en 1921 |
Dédicataire | Arthur Rubinstein |
Création | le 26 décembre 1922 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, par Jean Wiener au piano |
Forme | pièce en trois mouvements : I. Danse russe II. Chez Petrouchka III. La Semaine grasse |
Instrumentation | piano seul |
Contexte de composition et de création
Pendant l’été 1910, après le succès de sa première œuvre pour les Ballets russes, L’Oiseau de feu, Stravinski commence à composer un Konzerstück pour piano et orchestre. Il raconte d’où lui est venue l’inspiration :
En composant cette musique, j’avais nettement la vision d’un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel, à son tour, lui réplique par des fanfares menaçantes. Il s’ensuit une terrible bagarre qui, arrivée à son paroxysme, se termine par l’affaissement douloureux et plaintif du pauvre pantin. Ce morceau bizarre achevé, je cherchai pendant des heures, en me promenant au bord du Léman, le titre qui exprimerait en un seul mot le caractère de ma musique et, conséquemment, la figure de mon personnage. Un jour, je sursautai de joie. Petrouchka ! L’éternel et malheureux héros de toutes les foires, de tous les pays ! C’était bien ça, j’avais trouvé mon titre !
(Igor Stravinski, Chroniques de ma vie, Paris, 1935).
Le directeur des Ballets russes, Serge Diaghilev, encourage Stravinski à adapter ce concerto en ballet, en développant le thème des souffrances du pantin.
Fin 1910, le compositeur se rend à Saint-Pétersbourg pour montrer sa musique au décorateur Alexandre Benois et au chorégraphe Michel Fokine.
Lors de la création à Paris en 1911, deux étoiles de Saint-Pétersbourg interprètent les rôles principaux : Vaslav Nijinski et Tamara Karsavina. C’est un triomphe. Cependant, la critique musicale, désarçonnée par les nombreuses innovations musicales du jeune compositeur, qualifie l’œuvre de « fragile », « ridicule », « grossière ».
L’argument
La partition est divisée en quatre tableaux. Les Ier et IVe se passent dans la rue, les IIe et IIIe dans le monde irréel des pantins, à l’intérieur du théâtre de foire.
Tableau I. L’action se passe à Saint-Pétersbourg en 1830 pendant une fête populaire. La foule se presse à la foire, et au milieu de multiples attractions, un magicien attire l’attention. Il joue de la flûte et donne vie à trois pantins, Petrouchka, la Ballerine et le Maure, qui entament une danse russe.
Tableau II. Après le spectacle, les trois poupées retournent à leur vie de simples pantins, reclus dans un petit théâtre. Dans sa cellule, Petrouchka, doté de sentiments humains, se lamente sur son sort que seul adoucit son amour pour la Ballerine. Mais celle-ci le rejette.
Tableau III. Dans la chambre du Maure, la Ballerine cherche à séduire le pantin en dansant. Petrouchka, jaloux, tente d’attaquer le Maure qui le met dehors.
Tableau IV. Le soir, la fête populaire bat son plein. Mais soudain, Petrouchka surgit, poursuivi par le Maure qui le tue. Le magicien cherche à calmer les esprits en rappelant que ce n’était qu’un pantin. Alors que la foule se disperse, le fantôme de Petrouchka apparaît.
Les personnages principaux
Petrouchka, l’âme sensible
Petrouchka est rêveur, sensible, amoureux et malheureux. Il est présent dans chaque tableau, en particulier tout au long du IIe, tiré du Konzertstück initial. À chacune de ses apparitions, on entend un motif dissonant, joué par deux clarinettes, où se reflète sa douleur.
Le Maure, le méchant ridiculisé
Le Maure est bête, méchant mais d’aspect somptueux
. Dans le tableau III et dans Le Combat entre le Maure et Petrouchka du tableau IV, Stravinski ridiculise le personnage à travers une musique excessivement tragique. Son origine arabe se manifeste à travers des instruments souvent utilisés pour évoquer l’Orient : clarinettes, bassons, cor anglais et percussions.
La Ballerine, jolie poupée naïve
La Ballerine n’est là que pour plaire au public de la foire et au Maure. Ses gestes sont raides, sans âme. Elle est une parodie de la danseuse étoile du ballet classique. Dans la Danse de la Ballerine (tableau III), la musique jouée par la trompette et la caisse claire illustre les pas mécaniques de la marionnette.
Une plongée dans le folklore russe
Petrouchka se déroule en pleine fête de la Semaine grasse. Cet événement, aussi appelé Maslenitsa, est une fête folklorique russe qui célèbre la fin de l’hiver et l’entrée dans le carême. Pour restituer cette tradition et son ambiance, dans les tableaux I et IV, la chorégraphie autant que les décors et la musique intègrent des éléments de folklore russe. Quatre-vingts personnages apparaissent et sont représentés musicalement : Foule de promeneurs, gens du peuple, gens du monde, des groupes d’ivrognes embrassés ; des enfants, des femmes se pressent autour des échoppes.
Plusieurs danses populaires se succèdent : Danse des nourrices, Le Paysan et son ours dansant, Danse des cochers et des palefreniers, etc. Le décor original restitue une grande roue, des baraques d’attraction. Stravinski compose ces tableaux comme s’il se promenait au milieu de ce rassemblement festif, tel qu’il l’a connu dans son enfance. Il introduit des chansons populaires russes, un air français à la mode, imite la sonorité d’un orgue de barbarie.
Une adaptation pour piano seul
Dix ans après la création du ballet, Arthur Rubinstein, très grand pianiste de l’époque et grand ami de Stravinski, demande au compositeur d’adapter Petrouchka pour piano seul. Stravinski accepte, moyennant 5000 francs, mais précise qu’il ne s’agira pas d’une « transcription »Réécriture d’une œuvre pour une autre instrumentation en respectant parfaitement la partition originale. Par exemple, passer d’une écriture pour orchestre à une écriture pour piano solo. mais d’une « adaptation ». En effet, selon lui, le piano seul ne peut imiter l’orchestre. Il décide donc d’écrire une toute nouvelle pièce à partir des mélodies et thèmes du ballet. D’une grande richesse rythmique, mélodique et harmonique, elle permet aux interprètes – comme le souhaitait Stravinski – de faire preuve d’une très grande virtuosité. Elle demeure l’une des œuvres les plus difficiles du répertoire pianistique.
Pour son adaptation, Stravinski choisit trois épisodes bien distincts, issus de son ballet :
- I. Danse russe : elle est caractérisée par un thème dansant, sur cinq notes seulement qui montent et descendent conjointement, et dont le rythme tournoie sur lui-même.
- II. Chez Petrouchka : cette partie frappe par la diversité de ses ambiances. Petrouchka semble passer par divers états, du plus méditatif au plus agité. L’harmonie se fait moins évidente, plus dissonante, et traduit le double aspect de Petrouchka : pantin de chiffon, et être animé, doté d’une âme.
- III. La Semaine grasse : tout d’abord habité de mouvements répétitifs qui semblent dépourvus de mélodie, ce finale comporte des thèmes qui surnagent en transparence au-dessus des accords incessants, ou qui surgissent au milieu d’un paysage coloré. Le caractère populaire des thèmes évoque la fête de la Semaine grasse.
Le compositeur ne conserve aucune pièce concernant l’intrigue dramatique qui lie les personnages du ballet. Le Maure et la Ballerine ne sont évoqués que par la Danse russe, dans laquelle les personnages étaient présentés. En réalité, en dehors de Petrouchka, c’est la foire et son ambiance que Stravinski choisit de mettre en avant.
Face à cette musique nouvelle et virtuose, l’oreille est constamment déstabilisée par des changements de rythmique, de mesure, de tempo, par des accents qui se déplacent ou disparaissent. Dès que l’auditeur pense avoir saisi un repère, Stravinski s’amuse à le briser, afin de provoquer une surprise permanente. En dehors de l’aspect rythmique très présent, le compositeur écrit sa musique de façon très « compacte ». Il est difficile, sans avoir la partition sous les yeux, de savoir ce qui appartient à la main droite ou à la main gauche. Les accords sont très riches mais permettent toujours à la mélodie de ressortir.
Auteurs : Bruno Guilois, Pierre Albert Castanet et Bérénice Blackstone