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Le fuke shakuhachi du Japon
Considéré comme forme de méditation à l’égal de la récitation des soutras, le fuke shakuhachi fut l’apanage de la secte du bouddhisme zen du même nom, depuis son instauration officielle en 1677 jusqu’en 1871 (date de dissolution des guildes de musiciens). Il est cependant vraisemblable que l’instrument ait été introduit au Japon depuis la Chine dès le XIIIe siècle, bien avant la structuration de l’ordre.
La légende du moine Fuke
Personnage réputé fantasque dont la vie est entourée de légendes, le moine Fuke allait dit-on par les chemins, récitant des textes en s’accompagnant d’une clochette. Il se serait évanoui dans les airs en ne laissant pour seule trace que sa résonance, que des moines auraient tentée de reproduire sur la flûte shakuhachi. Selon la tradition, c’est le religieux Kakushin (1206-1298) qui en propagea l’enseignement à travers les trois pièces fondamentales du répertoire : Kyorei, « la cloche du vide », qui décrit l’éveil spirituel du Bouddha à la vérité sous l’arbre de la méditation ; Mukai, « la mer de brume », image du chemin difficile pour atteindre l’illumination de la vérité ; et Kokû, « vacuité », état de l’être ayant atteint l’illumination.
À partir du XVIIe siècle, certains « faux moines », en réalité des vagabonds ou d'anciens guerriers désœuvrés, usent parfois de violence pour obtenir l’aumône, sous couvert d’appartenance à un ordre bouddhique (l’aumône étant un acte sacré dans le bouddhisme). Grâce à l’habit traditionnel du joueur de shakuhachi, qui comporte une haute coiffe de jonc à claires-voies renversée sur la tête, ils bénéficient du privilège de se déplacer librement. Le gouvernement des shoguns Tokugawa aurait alors établi les règles de la secte Fuke afin de contrôler les activités de ces individus. Dès lors, les moines de la secte ne sont plus recrutés que parmi des personnes de confiance, et sont désormais seuls habilités à enseigner le shakuhachi et à quêter en échange de leur prestation. Ces privilèges sont abolis par le gouvernement Meiji en 1871, et à partir de 1883, le fuke shakuhachi peut de nouveau être enseigné, cette fois sans exclusivité.
Un instrument de méditation
Prototype du shakuhachi moderne, le fuke shakuhachi s’en distingue par plusieurs caractéristiques :
- le tube de bambou qui le constitue est d’un seul tenant (il pouvait à l’occasion servir d’arme défensive sur les chemins), tandis que l’instrument moderne est en deux parties emboîtées au milieu ;
- son diamètre intérieur n’est pas égalisé et les nœuds du bois n’en ont pas été retirés, ce qui donne à l’instrument une grande variété de timbres ;
- son biseau, orienté vers l’extérieur, plus court que celui de l’instrument moderne, permet de subtiles variations de sonorités, obtenues en variant l’angle du menton par rapport à l’embouchure ;
- son volume sonore est moindre, et l’instrument n’est pas destiné à être entendu d’une large audience, mais se pratique en pièces solistes comme méditation.
Rattachée au bouddhisme zen, la secte Fuke propose une recherche de la vérité en pratiquant le suizen (zen du souffle). Il ne s’agit pas d’un divertissement mais d’une voie d’accès à l’illumination (satori) par la recherche du shinne (« son veritable »), qui exprime le but suprême de tout interprète de fuke shakuhachi. Les titres des œuvres rappellent cette recherche de vérité que résume cet énoncé proposé aux disciples : « par un seul son, atteindre l’illumination ».
Auteure : Véronique Brindeau