La notion de « Neuvième Symphonie » va prendre après Beethoven un sens symbolique et désigner « l’œuvre grandiose », « l’aboutissement d’une vie de compositeur ». Elle pourra même générer une sorte de superstition : Mahler hésitera à nommer Neuvième Symphonie l’œuvre composée après la Huitième…
Cet « aboutissement grandiose » était particulièrement (et paradoxalement) apprécié des régimes totalitaires, en Allemagne, en URSS. Vers la fin de 1944, un musicien affirma que Chostakovitch, qui avait achevé sa magnifique Huitième Symphonie, n’allait pas tarder à écrire une symphonie en l’honneur de la victoire soviétique. Chostakovitch répondit : Oui, je songe déjà à ma prochaine symphonie, la neuvième. Si je pouvais trouver un texte qui me convienne, j’aimerais ne pas la composer pour orchestre seul mais ajouter un chœur et des solistes. Je crains cependant que l’on ne puisse me soupçonner d’analogies immodestes
. La référence à Beethoven est explicite.
Au cours de l’été 1945, la presse annonça la création de la Neuvième Symphonie de Chostakovitch, une œuvre dédiée à notre grande victoire
. La symphonie était en mi bémol majeur, tonalité « héroïque » de la Troisième Symphonie de Beethoven. Tous les éléments semblaient réunis pour donner naissance à un évènement musical majeur : une Neuvième Symphonie soviétique.
Ce fut le contraire qui se produisit. Chostakovitch présenta une œuvre singulièrement modeste, légère, pleine d’humour et d’ironie. Les commentaires furent négatifs : Nous nous attendions tous à une nouvelle fresque symphonique monumentale, et nous découvrîmes quelque chose de tout à fait différent, quelque chose qui nous choqua d’emblée par sa singularité
. Chostakovitch n’a pas surmonté son scepticisme ironique
.
De la part du compositeur, il s’agit, sous une apparence de fausse naïveté, d’un acte de résistance : il avait suffisamment souffert des violences du régime pour admettre toute forme de victoire dudit régime. Chostakovitch a ici composé une « anti » Neuvième Symphonie.