DESCRIPTION GENERALE | |
La forme comme structure spatio-temporelle | |
La colotomie influe sur la texture de l'ensemble Les diverses formules colotomiques différencient et nomment les formes musicales. Quelques exemples parmi des dizaines : formes Lancaran, Ladrang, Gangsaran (Java), Gilak, Tabuh Kutus (Bali), Sekar Alit (Sunda), etc... [A2.6 formes concentriques à mélodies] [applications du gamelan mécanique] D'autres aspects que la colotomie sont d'ordre structurel Il y a corrélation entre la formule colotomique choisie (jouée par les timbres isolés) et le traitement du temps dans toute la texture, y compris dans les strates mélodiques (claviers et carillons). Concernant simultanément l'épaisseur et le déroulement, la forme est donc d'ordre spatio-temporel, espace et temps étant d'ailleurs une seule et même dimension dans la culture. De plus, la forme régit (plus ou moins selon les cas) le positionnement des degrés mélodiques dans le temps, elle assujettit donc en partie la mélodie à la structure temporelle. Niveaux de subdivision du cycle La frappe du gong (initiale et finale) délimitant l'entité mesurée globale, chaque timbre secondaire est associé à un niveau de subdivision binaire du temps : à la demie, au quart, au huitième, etc. Imaginez une horloge, dont les différents timbres sonnent respectivement les heures, les demies, les quarts. Si l'on file la métaphore, parmi les strates mélodiques, certaines marqueraient les minutes, d'autres, plus aiguës, les secondes, etc. |
|
DESCRIPTION GENERALE | |||||||||||||||||||||||||||||
Formules colotomiques | |||||||||||||||||||||||||||||
_ |
Principes Les formules colotomiques sont des variations sur le principe de base de l'association d'un timbre à un niveau de subdivision par 2. Chaque formule colotomique est un mètre constitué par :
Un exemple de formule colotomique Voici la formule colotomique de la forme javanaise Lancaran à quatre timbres. Les onomatopées imitent les différents timbres et nomment les instruments. |
||||||||||||||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||||||||||||||
_NB : u= ou |
Formule colotomique de la forme Lancaran identique à celle du proto-gamelan martial Carabalen |
||||||||||||||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||||||||||||||
Un découpage différent du temps : binaire Il y a toujours, comme dans l'exemple de la forme Lancaran, 8 "heures", en contraste avec notre cadran horaire, qui en compte 12, et avec les nombreuses divisions ternaires du temps occidental. Cela est en adéquation avec la conception locale traditionnelle du temps (dans laquelle, d'ailleurs, l'horloge n'existait pas), en quatre quarts (soleil montant, soleil descendant, lune montante, lune descendante), comme de l'espace, car : cadran solaire= rose des vents.
Voici le découpage de l'espace-temps, auquel correspond celui de la musique de gamelan: |
|||||||||||||||||||||||||||||
|
|||||||||||||||||||||||||||||
_ |
Cadran solaire (et spatial) hindou-javano-balinais |
||||||||||||||||||||||||||||
Exemple de la forme Lancaran : sur ce cadran horaire hindou-javano-balinais, sa colotomie place :
Un temps diversifié Il n'y a pas de numérotation des heures, ni des jours (cf. le calendrier javano-balinais Pewukon), ni des temps de la musique; ils ne sont pas comptés, car il ne sont pas en série ordinale. Chaque élément de temps (comme chaque point cardinal de l'espace, auquel il est associé) est une entité individualisée ayant son propre caractère, une valeur cardinale :
Ce sont ces conjonctions qu'il faut entendre dans la musique pour se repérer, plutôt que compter les temps. Nature du temps On remarquera que la notion de durée n'est pas évoquée, car on a affaire à une collection de points - moments en tant que conjonctions caractérisées kala et marqueurs de temps en tant que piliers saka - comme dans l'espace (les murs, non porteurs, sont d'ailleurs facultatifs dans l'architecture). Cela est en accord avec l'utilisation de percussions plutôt que d'instruments à son entretenu dans les musiques dont il est question ici. Un temps pluri-cyclique, à cycles superposés Ces conjonctions sont l'effet de la superposition de plusieurs cycles décalés tournant simultanément :
Une organisation globale : emploi de l'espace-temps Chaque point du temps et de l'espace ayant son propre caractère et par là ses propres auspices, il est associé à un certain type d'activité humaine, tandis que d'autres activités y sont interdites ou déconseillées. Ainsi la tradition règle :
Cette régulation de l'espace-temps, c'est le rôle de la forme, surtout de la colotomie, en musique. Caractère des formules colotomiques En musique, chaque forme (colotomique) traditionnelle possède son propre caractère (ses kala), son propre effet, ainsi que son propre équilibre et sa propre fonction (comme les bâtiments), car chacune est une organisation spécifique de l'espace-temps sonore [divers exemples de formules colotomiques]. Plus ou moins équilibrées, régulières, stables, aérées ou au contraire irrégulières, mouvementées, denses, porteuses de tensions et résolutions, ce sont ces métriques qui, avant toute chose, ont un effet psychologique sur les Indonésiens, comme les signalétiques (cloches, sirènes en Europe, codes métriques percussifs en Indonésie) qui informent la population des événements heureux ou malheureux (cérémonie, incendie, décès, crime...). Les origines du gamelan pourraient d'ailleurs être en lien avec ces codes [A2.4.b : Gong et signalétique sonore] Disposition des sons dans le temps La comparaison entre les gongs/timbres et les astres est très éclairante. Pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer, il pourrait s'agir d'une véritable analogie, d'une symbolique des sphères, d'un aspect astronomique de la musique (lié traditionnellement à l'astrologie et à la magie). Le gong Il est la tête, le chef, l'instrument sacré. Sa place semble être au centre de la circonférence, comme l'aiguille d'un cadran solaire.
La musique, comme la terre autour du soleil, tourne sur elle-même autour du gong. La frappe du gong marque le levant du cycle; l'ouverture qui précède la première frappe du gong est d'ailleurs nommée buka en javanais "lever de soleil", pangkat, mise en route, départ en sundanais, kawitan, origine, en balinais. La musique est frappée par la vibration/lumière sonore du gong, puis s'en éloigne, et enfin rencontre à nouveau cette lumière (frappe du gong) après 8 périodes, quand elle retrouve sa position de départ. Le cycle musical est à l'image d'un "jour sonore". Plus condensé dans le temps que celui que sonnent nos cloches et nos horloges. Le kempul En ce qui le concerne, l'analogie avec la lune est presque explicite dans les musiques des trois régions [B2.c : exemple balinais] :
|
|||||||||||||||||||||||||||||
|
Le système a probablement été
conçu globalement, avec une correspondance son-positionnement -nom, comme
dans la symbolique [A2.3.d : système symbolique]. Ainsi
à Sunda, les noms de goong et kenong (qui sont par ailleurs
des instruments de musique) sont donnés à des points-pivots situés
aux subdivisions du temps, ainsi qu'à deux degrés des échelles
mélodiques. [A2.5.c : pivots et symétries] Règle de symétrie Aux deux extrémités d'un diamètre (midi-minuit, 9h-9h, 6h-6h, 3h-3h) , il ne doit pas y avoir deux timbres différents l'un de l'autre. Seule une horloge anarchique sonnerait ainsi...mais symboliquement on peut imaginer pire : un kempul à midi face à un kenong à minuit, ce serait comme un dérèglement planétaire catastrophique, une planète se mettant à tourner irrégulièrement. |
|
Divers exemples de formules colotomiques *Colotomie modèle à Sunda Goong Pul - Pul - Pul Pul Pul Goong * Colotomie de la forme Gangsaran (Java) Gong - - - Nong tuk Pul - Nong tuk Pul - Nong tuk Pul - Gong *Exemples de formules colotomiques balinaises Tabuh Pat (pat = 4), répertoire cérémoniel Lelambatan ("lent") issu de l'ancien et grand gamelan Gong Gedé Gong- - - Pur - - -Pli - - - Pur - - -Pli - - -Pur - - -Pli - - - Pur - - - Gong Tabuh telu (dense, mouvementé, en fin de grande pièce cérémonielle ou dans la musique de scène pour les scènes d'action ou dans la musique Kebyar) : Gong- Pli - Pli Pur Pli Pur Gong Bapang, de caractère viril, version ancienne au Gong Gedé : Gong - - - Pur - - - Gong Disposition spatiale La colotomie suit la rose des vents, qui se superpose au découpage du temps dans le système de correspondances symbolique : kenong aux points cardinaux, kempul aux intermédiaires. Disposition architecturale La disposition des points marqués par la colotomie donne le carré dans la croix, plan de base de l'architecture traditionnelle hindou-javanaise et balinaise. |
||
|
|
||
|
|
||
svastika hindouiste |
La forme modèle, spatio-temporelle en giration La disposition sur la croix hindoue svastika résume les trois précédentes : croix en giration, elle ajoute à l'espace (9 points : rose des vents et centre) le mouvement et le temps. De même le son est à la fois en expansion vibratoire dans l'espace et en déroulement dans le temps. Le svastika est la représentation culturellement juste de l'organisation spatio-temporelle de la musique et de l'univers. NB : La symbolique de cette roue de la vie et de la prospérité n'a aucun rapport avec sa perversion dans la croix gammée nazie, d'ailleurs penchée (signe de folie, en Indonésie), quoique tournant dans le même sens.
|
||
DESCRIPTION GENERALE | |||||
Quelques notions d'analyse structurelle | |||||
Cycle et gong au sens autochtone "fonctionnel" La forme est le traitement de l'ensemble de la texture musicale dans l'espace-temps circulaire et strictement mesuré délimité par la frappe du gong, initiale et finale. C'est cette fonction de présidence [A2.4 : Gong et conception de l'univers], plus que l'aspect de l'instrument, qui vaut son nom au gong et qui explique que bien d'autres objets sonores qu'un rond de métal sont parfois des gong. Avec le retour du gong, la même conjonction de timbres et la même disposition mélodique verticale qu'à la première frappe de gong est rétablie, si bien qu'un cycle est accompli par un retour du gong (alpha=omega). Tout comme une année, un jour, sont accomplis par le retour d'une disposition planétaire. Distinction entre cycle et répétition Le cycle est pris ici au sens de structure temporelle ou spatiale fermée (circonférence, ou polygone). On différenciera le cycle, de la répétition d'une série : cette dernière produit un effet cyclique, mais il s'agit d'une simple récurrence. Sans le retour de son premier élément, la série n'est pas un cycle. 12345678 n'est pas un cycle; 123456781 suffit en revanche à former un cycle au sens de forme fermée. Cycle et variété des réalisations musicales Bien que la colotomie forme toujours un cycle, les mélodies ne sont pas toujours cycliques; certaines - issues notamment de répertoires vocaux - commencent après le gong. Mais toutes doivent se terminer sur la frappe du gong. Il existe une variété de réalisations musicales cycliques :
|
|||||
Equilibre du cycle : pair et impair Entités impaires, dotées d'un centre En système binaire - celui de toutes les musiques de gamelan traditionnelles- la série d'éléments est en nombre pair, donc le cycle est impair (série plus retour du premier élément). Il possède un point médian, ce qui ne serait pas possible avec un cycle pair. De division en division (division du cycle global de gong à gong, division de sa moitié, puis de son quart, etc.) [A2.2 : formule colotomique de la forme Lancaran], les milieux/centres sont des points pivots, hiérarchisés comme des diamètres de poutres sur une charpente, qui équilibrent toute la structure. La cohérence de cette structure sonore sera souvent renforcée par des symétries autour de ces pivots. [A2.5.c : pivots et symétries] Alternance binaire Par ailleurs le système binaire du gamelan utilise l'alternance de ce que nous appelons temps "fort" et temps "faible", qui sont désignés par Dong et ding (respectivement posé et levé), sans effet d'accentuation dans le jeu instrumental. Motif des crapauds et construction en forme d'arborescence Le motif "des crapauds", ding Dong ding, est typiquement un équilibre d'entité impaire dans le système binaire, une figure de pivot au milieu-centre de deux points symétriques. Il consiste à placer un même son de part et d'autre d'un son pivot. Le pivot, point cardinal, génère les deux autres points, comme une branche d'arbre qui se divise. Ce principe est une loi d'expansion dans la conception de l'univers, d'un Un générant deux éléments. |
|||||
motif des crapauds A Java, le motif des crapauds est fabriqué par deux timbres : tuk Nong tuk- tuk Nong tuk... mais aussi, tuk Pul tuk- tuk Pul tuk... et encore, pyang tuk pyang- pyang tuk pyang... Le motif est exécuté non seulement avec deux timbres, mais aussi fréquemment avec deux degrés mélodiques [A2.5.c : pivots et symétries] Appliqué d'une strate à l'autre, le motif produit une arborescence allant du timbre doté de la plus longue résonance vers la plus courte résonance, donc le plus souvent du grave à l'aigu (voir par exemple la forme javanaise Ladrang A2.6.b : formes concentriques à mélodie). arborescence par motif des crapauds |
|||||
Remarque : le motif des crapauds s'avère donc fertile. Nous l'avons nommé ainsi parce qu'il rappelle les chants alternés des crapauds-buffles | 1|. Mais par la suite, d'autres informations sont venues consolider l'association entre colotomie, son du bronze, gamelan et crapauds, des animaux qui symbolisent la fertilité des rizières obtenue grâce à la pluie. D'ailleurs, la percussion de la pluie et les instruments de gamelan ont en commun la racine ricik. A Bali, des formes plus complexes, asymétriques (comme les cris des vrais crapauds) sont utilisées dans le Gilak Balaganjur | 2|, ici une version simple (gong en gras) : Nang - nung nang Nung nang - nung Nang etc... Le visuel et le corporel au secours de l'écoute Les points cardinaux de l'espace global sont traditionnellement les points de repère de toute orientation (plutôt que droite et gauche) : à Bali, une mélodie va d'ouest en est, ou d'amont en aval, selon l'orientation des instruments, et le musicien qui se trompe peut être réellement accusé "d'être à l'ouest". La notion de centre rayonnant, premier point cardinal générant les autres, est au coeur de la conception globale de l'univers entretenue dans les royaumes concentriques [A2.3 : une harmonie universelle] Il est évidemment bien plus facile de visualiser que d'entendre une structure concentrique, très évidente en géométrie décorative ou architecturale. Elle échappe à l'écoute et à l'analyse si l'on ne fait, dans la musique, que suivre une course linéaire du temps. C'est par son lien au champ visuel (constructions matérialisées) et corporel (symétries de notre corps et symétries de gestes sur les instruments) qu'une musique a pu être géométriquement conçue, dans un espace-temps, sans pour autant passer par l'écriture. |
|||||