DESCRIPTION GENERALE
Caractéristiques de l'instrumentation
 

Allure générale

Les gamelan "au sens restreint" associent deux aspects, comme beaucoup de gamelan "au sens large" :
batterie collective pour la métrique (colotomie), c'est à dire des timbres en principe non accordés (gongs ou leurs substituts).
et un clavier en pièces pour la mélodie, c'est à dire des séries accordées de gongs (carillons) et/ou de lames (lamellophones).


Les gamelan les plus connus des trois régions
[gamelan mécanique] sont en quelque sorte l'alliance :
des anciens carillons rituels, d'origine palatine, qui apportent les principes cycliques, dont la structure colotomique
et des ensembles de lamellophones, plus populaires (application, sur le métal, des pratiques créées avec le bambou), dont le rôle est mélodique.


Ils incluent des tambours dont le statut particulier sera évoqué dans la partie
[B : instruments individuels].


Trois grandes sections fonctionnelles

Le concept de ga
melan "au sens restreint" désigne plus particulièrement les gamelan à gong et strates de tessitures, c'est à dire possédant les caractéristiques suivantes :

1 un gong
au sens autochtone - fonctionnel - du terme, qui est de donner la frappe initiale et finale délimitant la période (cycle) de temps mesuré.

2

plusieurs timbres secondaires dans des tessitures moins graves,
qui sont d'autres gongs (cette fois au sens organologique d'instrument de métal à bosse centrale) ou leurs substituts (en bambou, par exemple).
NB : dans l'actuel gamelan ageng javanais, ces timbres forment une série accordée, mais à l'origine chacun est unique (sauf le gong balinais, en couple mâle-femelle).
D'une frappe du gong à l'autre, les timbres secondaires sont frappés en alternance. L'ensemble définit le cadre temporel par une formule métrique : c'est ce qu'on appelle colotomy en anglais, ici colotomie.

3

des strates instrumentales de tessitures :
les carillons et/ou claviers mélodiques, accordés à l'octave les uns des autres, sont hiérarchisés du "grand" (grave, supérieur, central, stable) au "petit" (aigu, périphérique, mouvant), avec, schématiquement, des fréquences de frappe pro
portionnelles à leur fréquence sonore. C'est-à-dire que du grave à l'aigu le cycle est subdivisé en unités de plus en plus petites, comme dans notre solfège, des rondes aux double-croches | 9|.
Les strates de tessitures sont donc des strates fonctionnelles, associant un type d'instrument à un rôle précis et à un niveau de subdivision du temps.

DESCRIPTION GENERALE
La forme comme structure spatio-temporelle
 


La colotomie influe sur la texture de l'ensemble

Les diverses formules colotomiques différencient et nomment les formes musicales. Quelques exemples parmi des dizaines : formes Lancaran, Ladrang, Gangsaran
(Java), Gilak, Tabuh Kutus (Bali), Sekar Alit (Sunda), etc...
[A2.6 formes concentriques à mélodies]
[applications du gamelan mécanique]



D'autres aspects que la colotomie sont d'ordre structurel

Il y a corrélation entre la formule colotomique choisie (jouée par les timbres isolés) et le traitement du temps dans toute la texture, y compris dans les strates mélodiques (claviers et carillons). Concernant simultanément l'épaisseur et le déroulement, la forme est donc d'ordre spatio-temporel, espace et temps étant d'ailleurs une seule et même dimension dans la culture.

De plus, la forme régit (plus ou moins selon les cas) le positionnement des degrés mélodiques dans le
temps, elle assujettit donc en partie la mélodie à la structure temporelle.


Niveaux de subdivision du cycle

La frappe du gong (initiale et finale) délimitant l'entité mesurée globale, chaque timbre secondaire est associé à un niveau de subdivision binaire du temps : à la demie, au quart, au huitième, etc.
Imaginez une horloge, dont les différents timbres sonnent respectivement les heures, les demies, les quarts.
Si l'on file la métaphore, parmi les strates mélodiques, certaines marqueraient les minutes, d'autres, plus aiguës, les secondes, etc.

DESCRIPTION GENERALE
Formules colotomiques
 

_

Principes

Les formules colotomiques sont des variations sur le principe de base de l'association d'un timbre à un niveau de subdivision par 2.
Chaque formule colotomique est un mètre constitué par :
une sélection des instants qui seront sonnés,
le nombre et la série des timbres utilisés,
l'association de chaque timbre à un instant,
avec certaines constantes communes.



Un exemple de formule colotomique

Voici la formule colotomique de la forme javanaise Lancaran à quatre timbres. Les onomatopées imitent les différents timbres et nomment les instruments.
 

_NB : u= ou


Formule colotomique de la forme Lancaran
identique à celle du proto-gamelan martial Carabalen


[Nong tuk
(chut) tuk Nong tuk Pul tuk Nong tuk Pul tuk Nong tuk Pul tuk Nong]
[Gong
tu k (chut) tuk Nong tuk Pul tuk Nong tuk Pul tuk Nong tuk Pul tuk Gong]

Légende
Le gong préside en frappant l'ouverture et la fermeture de l'assemblée (tutti).
1er niveau de division en 2, axe médian : kenong, gong horizontal de taille moyenne;
2ème niveau, milieu de la moitié du cycle : kenong encore;
3ème niveau, milieu du quart de cycle : kempul, gong vertical, moins grave que le gong;
4ème niveau, milieu du huitième de cycle : ketuk, petit gong horizontal, plus grave que le kenong, mais à son bref et mat.

A ces points, le contour mélodique des Lancaran classiques associe également des degrés de l'échelle.
 
Un découpage différent du temps : binaire

Il y a toujours, comme dans l'exemple de la forme Lancaran, 8 "heures", en contraste avec notre cadran horaire, qui en compte 12, et avec les nombreuses divisions ternaires du temps occidental.
Cela est en adéquation avec la conception locale traditionnelle du temps (dans laquelle, d'ailleurs, l'horloge n'existait pas), en quatre quarts (soleil montant, soleil descendant, lune montante, lune descendante), comme de l'espace, car : cadran solaire= rose des vents.


Remarque pour mieux comprendre les raisons de cette conception du temps... Dans cette région du monde proche de l'équateur, au contraire de l'Europe :
- une journée est coupée en deux parties égales : jour et nuit sont d'égale durée (transitions à 6 heures du matin et 6 heures du soir), et cela tout au long de l'année;
- l'année aussi est partagée en deux grandes périodes égales : saison sèche et saison des pluies.


Voici le découpage de l'espace-temps, auquel correspond celui de la musique de gamelan:
 

_


Cadran solaire (et spatial) hindou-javano-balinais




NB : les heures sont empruntées au système occidental. Dans la tradition d'origine, non seulement il n'y a pas d'heures, mais le zéro (0h, notre minuit) n'existe pas, ni dans les langues locales, ni comme concept. Il y a seulement "être" et "non-être".


Exemple de la forme Lancaran : sur ce cadran horaire hindou-javano-balinais, sa colotomie place :
la frappe du kenong à midi, à minuit, au levant et au couchant (points cardinaux, temps/moments particulièrement forts),
le kempul aux intermédiaires (renforçant les temps "faibles").



Un temps diversifié

Il n'y a pas de numérotation des heures, ni des jours (cf. le calendrier javano-balinais Pewukon), ni des temps de la musique; ils ne sont pas comptés, car il ne sont pas en série ordinale.
Chaque élément de temps (comme chaque point cardinal de l'espace, auquel il est associé) est une entité individualisée ayant son propre caractère, une valeur cardinale :
un jour est une conjonction spécifique de forces naturelles et surnaturelles (les kala, "moment", "démon")
un instant dans la musique est une conjonction spécifique de sons, de forces vibratoires.

Ce sont ces conjonctions qu'il faut entendre dans la musique pour se repérer, plutôt que compter les temps.


Nature du temps

On remarquera que la notion de durée n'est pas évoquée, car on a affaire à une collection de points - moments en tant que conjonctions caractérisées kala et marqueurs de temps en tant que piliers saka - comme dans l'espace (les murs, non porteurs, sont d'ailleurs facultatifs dans l'architecture).
Cela est en accord avec l'utilisation de percussions plutôt que d'instruments à son entretenu dans les musiques dont il est question ici.


Un temps pluri-cyclique, à cycles superposés

Ces conjonctions sont l'effet de la superposition de plusieurs cycles décalés
tournant simultanément :
dans le calendrier Pewukon, un jour est fait de la conjonction de plusieurs cycles de longueurs différentes (chaque jour a au moins 10 noms à Bali);
dans la musique de gamelan, chaque timbre de la colotomie possède sa propre périodicité de frappe, son propre cycle; tous ces cycles tournent simultanément; dans les musiques très formelles, il en va de même pour certains degrés mélodiques placés aux points pivots, cardinaux au sens propre. [A2.5.c : pivots et symétries][A2.6.a : anciennes musiques rituelles]



Une organisation globale : emploi de l'espace-temps

Chaque point du temps et de l'espace ayant son propre caractère et par là ses propres auspices, il est associé à un certain type d'activité humaine, tandis que d'autres activités y sont interdites ou déconseillées.
Ainsi la tradition règle :
l'emploi du temps au quotidien, avec la journée découpée en 8 périodes (et sur l'année, avec le calendrier Pewukon des kala et le calendrier lunaire-solaire Saka mêlés de façon complexe)
l'emploi de l'espace, dans les maisons et la plupart des espaces traditionnels, construits selon le plan quadrilatère des points cardinaux autour du centre.

Cette régulation de l'e
space-temps, c'est le rôle de la forme, surtout de la colotomie, en musique.


Caractère des formules colotomiques

En musique, cha
que forme (colotomique) traditionnelle possède son propre caractère (ses kala), son propre effet, ainsi que son propre équilibre et sa propre fonction (comme les bâtiments), car chacune est une organisation spécifique de l'espace-temps sonore [divers exemples de formules colotomiques].
Plus ou moins équilibrées, régulières, stables, aérées ou au contraire irrégulières, mouvementées, denses, porteuses de tensions et résolutions, ce sont ces métriques q
ui, avant toute chose, ont un effet psychologique sur les Indonésiens, comme les signalétiques (cloches, sirènes en Europe, codes métriques percussifs en Indonésie) qui informent la population des événements heureux ou malheureux (cérémonie, incendie, décès, crime...).
Les origines du gamelan pourraient d'ailleurs être en lien avec ces codes
[A2.4.b : Gong et signalétique sonore]



Disposition des sons dans le temps

La comparaison entre les gongs/timbres et les astres est très éclairante. Pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer, il pourrait s'agir d'une véritable analogie, d'une symbolique des sphères, d'un aspect astronomique de la musique (lié traditionnellement à l'astrologie et à la magie).


Le gong
Il est la tête, le chef, l'instrument sacré. Sa place semble être au centre de la circonférence, comme l'aiguille d'un cadran solaire.
NB : ce n'est pas l'aiguille qui bouge, ni le soleil, mais la terre et la lune qui tournent, déplaçant l'ombre de l'aiguille.

La musique, comme la terre autour du soleil, tourne sur elle-même autour du gong. La frappe du gong marque le levant du cycle; l'ouverture qui précède la première frappe du gong est d'ailleurs nommée buka en javanais "lever de soleil", pangkat, mise en route, départ en sundanais, kawitan, origine, en balinais.
La musique est frappée par la vibration/lumière sonore du gong, puis s'en éloigne, et enfin rencontre à nouveau cette lumière (frappe du gong) après 8 périodes, quand elle retrouve sa position de départ.
Le cycle musical est à l'image d'un "jour sonore". Plus condensé dans le temps que celui que sonnent nos cloches et nos horloges.


Le kempul
En ce qui le concerne, l'analogie avec la lune est presque explicite dans les musiques des trois régions [B2.c : exemple balinais] :
le kempul appelle le retour du gong. Il serait aussi inconfortable de rester sur un kempul, que, dans les règles classiques du système musical occidental, de conclure sur une dominante sans résolution sur la tonique, ou de rester en levée sans une assise finale.
des omissions du kempul sont pratiquées; il est généralement plus présent dans la seconde partie du cycle, "nocturne" (voir exemples ci-dessous).
Règle de dualisme
Gong et kempul ne doivent pas se rencontrer et ne jamais être joués en même temps; les vibrations mêlées produiraient une sorte d'éclipse sonore. Le phénomène astrologique était autrefois très redouté, et combattu avec des bruits de percussion.
Les autres timbres :
- à un timbre est attribuée la frappe des principaux points d'assise, grands pivots, milieux de grandes subdivisions (en 2 et en 4) : kenong (Java), jengglong (Sunda), kempli (Bali).
- d'autres timbres ont comme le kempul un cycle décalé, étant sonnés au milieu de petites subdivisions du cycle (jamais avec le gong) : ce qui dans le système occidental équivaut à des parties "faibles" du cycle, donnant une impression de "levée" par rapport au gong (et au kenong). A Java, c'est généralement le cas du ketuk et du kempyang; à Bali du kelenang, par exemple. Dans le Lancaran (Java), il en va de même pour le carillon bonang.




_

Le système a probablement été conçu globalement, avec une correspondance son-positionnement -nom, comme dans la symbolique [A2.3.d : système symbolique]. Ainsi à Sunda, les noms de goong et kenong (qui sont par ailleurs des instruments de musique) sont donnés à des points-pivots situés aux subdivisions du temps, ainsi qu'à deux degrés des échelles mélodiques. [A2.5.c : pivots et symétries]


Règle de symétrie
Aux deux extrémités d'un diamètre (midi-minuit, 9h-9h, 6h-6h, 3h-3h) , il ne doit pas y avoir deux timbres différents l'un de l'autre. Seule une horloge anarchique sonnerait ainsi...mais symboliquement on peut imaginer pire : un kempul à midi face à un kenong à minuit, ce serait comme un dérèglement planétaire catastrophique, une planète se mettant à tourner irrégulièrement.




_



Divers exemples de formules colotomiques

*Colotomie modèle à Sunda
Goong Pul - Pul - Pul Pul Pul Goong

* Colotomie de la forme Gangsaran (Java)
Gong - - - Nong tuk Pul - Nong tuk Pul - Nong tuk Pul - Gong

*Exemples de formules colotomiques balinaises

Tabuh Pat (pat = 4), répertoire cérémoniel Lelambatan ("lent") issu de l'ancien et grand gamelan Gong Gedé
Gong- - - Pur - - -Pli - - - Pur - - -Pli - - -Pur - - -Pli - - - Pur - - - Gong

Tabuh telu (dense, mouvementé, en fin de grande pièce cérémonielle ou dans la musique de scène pour les scènes d'action ou dans la musique Kebyar) :
Gong- Pli - Pli Pur Pli Pur Gong

Bapang, de caractère viril, version ancienne au Gong Gedé :
Gong - - - Pur - - - Gong



Disposition spatiale

La colotomie suit la ros
e des vents, qui se superpose au découpage du temps dans le système de correspondances symbolique : kenong aux points cardinaux, kempul aux intermédiaires.




Disposition architecturale

La disposition des points marqués par la colotomie donne le carré dans la croix, plan de base de l'architecture traditionnelle hin
dou-javanaise et balinaise.


plan de base des temples hindou-javanais en pierre,
dit mandala architectural



forme de base d'un bâtiment à piliers (saka) et à charpente concentrique autour d'un faîte central : le nombre de piliers dépend de la fonction du bâtiment et du statut du maître des lieux. Comme la colotomie en musique ("piliers" du temps), les piliers font le caractère d'un bâtiment.

svastika hindouiste



La forme modèle, spatio-temporelle en giration

La disposition sur la croix hindoue svastika résume les trois précédentes : croix en giration, elle ajoute à l'espace (9 points : rose des vents et centre) le mouvement et le temps. De même le son est à la fois en expansion vibratoire dans l'espace et en déroulement dans le temps.
Le svastika est la représentation culturellement juste de l'organisation spatio-temporelle de la musique et de l'univers.
NB : La symbolique de cette roue de la vie et de la prospérité n'a aucun rapport avec sa perversion dans la croix gammée nazie, d'ailleurs penchée (signe de folie, en Indonésie), quoique tournant dans le même sens.



Mandala en mouvement
Tiré du manuscrit Prakempa, traduit et commenté par Dr. I Made Bandem (directeur des académies nationales universitaires de danse et de musique de Denpasar et Yogyakarta).
C'est sur ce mandala que se place le système de correspondances symbolique qui inclut les sons.

DESCRIPTION GENERALE
Quelques notions d'analyse structurelle





Cycle et gong au sens autochtone "fonctionnel"

La forme est le traitement de l'ensemble de la texture musicale dans l'espace-temps circulaire et strictement mesuré délimité par la frappe du gong, i
nitiale et finale.
C'est cette fonction de présidence
[A2.4 : Gong et conception de l'univers], plus que l'aspect de l'instrument, qui vaut son nom au gong et qui explique que bien d'autres objets sonores qu'un rond de métal sont parfois des gong.

Avec le retour du gong, la même conjonction de timbres et la même disposition mélodique verticale qu'à la première frappe de gong est rétablie, si bien qu'un cycle est accompli par un retour du gong (alpha=omega). Tout comme une a
nnée, un jour, sont accomplis par le retour d'une disposition planétaire.


Distinction entre cycle et répétition

Le cycle est pris ici au sens de structure temporelle ou spatiale fermée (circonférence, ou polygone). On différenciera le cycle, de la répétition d'une série : cette dernière produit un effet cyclique, mais il s'agit d'une simple récurrence.
Sans le retour de son premier élément, la série n'est pas un cycle. 12345678 n'est pas un cycle; 123456781 suffit en revanche à former un cycle au sens de forme fermée.



Cycle et variété des réalisations musicales

Bien que la colotomie forme toujours un cycle, les mélodies ne sont pas toujours cycliques; certaines - issues notamment de répertoires vocaux - commencent après le gong. Mais toutes doivent se terminer sur la frappe du gong.

Il existe une variété de réalisations musicales cycliques :
soit le cercle est répété, il y a plusieurs tours de roue/svastika, avec une mélodie
- tenant dans ce cercle (mélodie soit circulaire soit linéaire);
- ou courant sur plusieurs cercles;
soit un grand cercle est joué une seule fois, il y a un seul tour de roue (avec une mélodie soit circulaire, soit linéaire).




Equilibre du cycle : pair et impair


Entités impaires, dotées d'un centre
En système binaire - celui de toutes les musiques de gamelan traditionnelles- la série d'éléments est en nombre pair, donc le cycle est impair (série plus retour du premier élément). Il possède un point médian, ce qui ne serait pas possible avec un cycle pair.


De division en division (division du cycle global de gong à gong, division de sa moitié, puis de son quart, etc.)
[A2.2 : formule colotomique de la forme Lancaran], les milieux/centres sont des points pivots, hiérarchisés comme des diamètres de poutres sur une charpente, qui équilibrent toute la structure. La cohérence de cette structure sonore sera souvent renforcée par des symétries autour de ces pivots. [A2.5.c : pivots et symétries]


Alternance binaire
Par ailleurs le système binaire du gamelan utilise l'alternance de ce que nous appelons temps "fort" et temps "faible", qui sont désignés par Dong et ding (respectivement posé et levé), sans effet d'accentuation dans le jeu instrumental.



Motif des crapauds et construction en forme d'arborescence

Le motif "des crapauds", ding Dong ding, est typiquement un équilibre d'entité impaire dans le système binaire, une figure de pivot au milieu-centre de deux points symétriques.
Il consiste à placer un même son de part et d'autre d'un son pivot. Le pivot, point cardinal, génère les deux autres points, comme une branche d'arbre qui se divise. Ce principe est une loi d'expansion dans la conception de l'univers, d'un Un générant deux éléments.

motif des crapauds

A Java, le motif des crapauds est fabriqué par deux timbres :
tuk Nong tuk- tuk Nong tuk...
mais aussi,
tuk Pul tuk- tuk Pul tuk...
et encore,
pyang tuk pyang- pyang tuk pyang...

Le motif est exécuté non seulement avec deux timbres, mais aussi fréquemment avec deux degrés mélodiques
[A2.5.c : pivots et symétries]

Appliqué d'une strate à l'autre, le motif produit une
arborescence allant du timbre doté de la plus longue résonance vers la plus courte résonance, donc le plus souvent du grave à l'aigu (voir par exemple la forme javanaise Ladrang A2.6.b : formes concentriques à mélodie).

arborescence par motif des crapauds


Remarque : le motif des crapauds s'avère donc fertile. Nous l'avons nommé ainsi parce qu'il rappelle les chants alternés des crapauds-buffles
| 1|. Mais par la suite, d'autres informations sont venues consolider l'association entre colotomie, son du bronze, gamelan et crapauds, des animaux qui symbolisent la fertilité des rizières obtenue grâce à la pluie. D'ailleurs, la percussion de la pluie et les instruments de gamelan ont en commun la racine ricik.
A Bali, des formes plus complexes, asymétriques (comme les cris des vrais crapauds) sont utilisées dans le Gilak Balaganjur
| 2|, ici une version simple (gong en gras) :
Nang - nung nang Nung nang - nung Nang etc...


Le visuel et le corporel au secours de l'écoute

Les points cardinaux de l'espace global sont traditionnellement les points de repère de toute orientation (plutôt que droite et gauche) : à Bali, une mélodie va d'ouest en est, ou d'amont en aval, selon l'orientation des instruments, et le musicien qui se trompe peut être réellement accusé "d'être à l'ouest".
La notion de c
entre rayonnant, premier point cardinal générant les autres, est au coeur de la conception globale de l'univers entretenue dans les royaumes concentriques [A2.3 : une harmonie universelle]
Il est évidemment bien plus facile de visualiser que d'entendre une structure
concentrique, très évidente en géométrie décorative ou architecturale. Elle échappe à l'écoute et à l'analyse si l'on ne fait, dans la musique, que suivre une course linéaire du temps.
C'est par son lien au champ visuel (constructions matérialisées) et corporel (symétries de notre corps et symétries de gestes sur les instruments) qu'une musique a pu être géométriquement conçue, dans un espace-temps, sans pour autant passer par l'écriture.


_