GONG ET CONCEPTION DE L'UNIVERS
Le gong souverain et la hiérarchie des sons
 
_ Hiérarchie dans le gamelan

Les sons les plus graves sont valorisés dans l'idéologie des royaumes concentriques.
leur expansion est théoriquement infinie dans l'espace-temps,
leur son est multiple, parce qu'il fait entendre beaucoup d'harmoniques.

En UN, le son grave est TOUT. Et ce UN rayonne très loin, comme un soleil (Dieu Suprême, Surya-Siwa Raditya) sonore.
Sons et instruments de musique sont hiérarchisés du plus grave, qui est le plus noble (grand),
au plus aigu (petit). Les musiciens qui tiennent les parties musicales à haute responsabilité (comme le gong) sont plus respectés (et parfois mieux payés) que d'autres, dont les parties semblent pourtant plus virtuoses.

Réseau sémantique autour du mot gong

Dans les langues mortes littéraires (plusieurs catégories de javanais ancien), se trouve toute une constellation de significations autour du mot gong.
Gong = goong; les apparentés sont gung et geng :
onomatopée, son retentissant, grondement, bourdonnement
son caverneux
son grave qui se répand
gong (instrument de musique)
long, grand
largeur, force
qui se balance, oscille, tremble, vibre
en grande expansion, prospère, débordant
élastique, distendu, séparé
tout, toujours
un entier, un total
qui contient tout, complet
multiple, nombreux
fondamental.

Grand
= gung, agung, ageng, apparentés au mot gong.
Gung Binatara
: Dieu, souverain (Java).
Agung : titre de souverain, de haute noblesse (Bali surtout)
Dérivés de agung et ageng :
celui qu'on ne peut oublier, le seul à qui l'on pense, celui que l'on porte, entretient, nourrit, vénère, celui à qui l'on se rend, se soumet, que l'on ne quitte pas, vers qui on retourne, celui à qui est suspendue la vie.
synonyme parfois de bwat: lourdeur, charge, pesant, sévère, grave.
 

 

Le son Om du Centre
et les armes des divinités hindoues de la rose des vents.
Dessin : I Gusti Nyoman Winarta


La voyelle "O", le son "ong", sa lettre ongkara, alias le Om sacré indien, c'est le son multiple originel (AUMm...), qui va du grave à l'aigu, des entrailles aux lèvres, qui est à la fois "le principe, le milieu et la fin [...] symbole beaucoup plus complet que l'alpha et l'omega" (René Guénon). Quintessence des sons associés aux points cardinaux, il est placé au centre du système de correspondances, avec le bronze, le Dieu suprême (alliance Siwa-Buda) et tout ce qui symbolise l'Axe du monde. Il est prononcé au début - "Om Suastiastu" - et à la fin -"Om Santi, Santi, Santi, Om" -, des incantations hindouistes, des courriers et même des cérémonies officielles "profanes", à Bali. Le son du gong, qui ouvrait et fermait ces cérémonies officielles avant d'être réservé à leur clôture [Voir Contraste des visions], est l'équivalent d'un Om instrumental.
Le dieu Iswara, manifestation de Siwa au levant, a pour arme la clochette, origine de la musique pélog heptatonique balinaise; le dieu Mahadéwa, manifestation de Siwa au couchant, possède la flèche et le serpent (ou dragon), lequel est lié à la royauté et au symbole de l'axe du monde, dans différentes cultures.
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GONG ET CONCEPTION DE L'UNIVERS
Gong et signalétique sonore
 

Deux mythes musicaux

Gamelan divin
A Java, on raconte que le pre
mier gong appartenait aux dieux. Il leur servait de signal, au même titre que la cloche en Occident. Ensuite, les dieux ont rajouté d'autres gongs et instruments à percussion, pour composer des signaux plus complexes. Ainsi naquit la musique et le gamelan Lokananta, proche d'un des antiques carillons rituels des palais de Java, le proto-gamelan appelé Munggang, voix du tigre. [A2.6.a : anciennes musiques rituelles]
 
La musique dans la clochette divine
Selon certains textes ésotériques conservés à Bali,
la clochette en bronze contient l'essence de la musique. Cet objet est
l'arme du dieu Iswara, le Siwa du levant [Schémas et gongA2.2.c : formules colotomiques]
la clochette des prêtres, agitée selon une stricte codification symbolique;

les deux principales catégories de grands prêtres, qui officient souvent ensemble, sont Siwa (Shiva) et Buda (Bouddha), et Siwa-Buda,
l'alliance/alliage divin au centre du système de correspondances symbolique.
La forme pyramidale de la cloche serait elle-même symbolique.
[A2.5 : principes concentriques généraux]
[B2.c : exemples balinais]


Clé de la signalétique sonore ?

Même si le mythe ci-dessus est soupçonné être de création récente, la signalétique sonore pourrait être une clé aussi utile que les correspondances avec des représentations visuelles et temporelles [Schémas A2.2.c : formules colotomiques
]
L'hypothétique développement du gong au gamelan fait pendant à celui des sonneries de cloches aux musiques de carillons, en Europe et en Chine :
gongs des palais, bourdons des beffrois, cloches des églises, cloches et tambours de bronze des temples chinois... au coeur des localités, au centre du pouvoir politique et spirituel, on trouve le son du bronze, qui englobe l'espace social où s'affirme ce pouvoir,
gong signifie bourdonnement, un bourdon est une énorme cloche de bronze,
les cloches européennes sonnent le découpage du temps quotidien, la colotomie des gongs un temps microcosmique.

C'est avec des sonneries codifiées que l'on rassemble, alerte, impressionne au quotidien, que l'espace géographique est acoustiquement socialisé, et que l'on crée le son principal et spécifique de chaque rituel. Les formules colotomiques, qu'on aurait pu appeler "sonneries", ne sont pas éloignées de cette idée.

GONG ET CONCEPTION DE L'UNIVERS
Le bronze, matériau suprême
 

Alliage puissant

Le bronze figure au centre du système de correspondances symbolique, c'est-à-dire au point cardinal d'origine, de par ses vertus :
d'alliage, qui réunit les qualités de plusieurs métaux purs (placés, eux, aux points cardinaux);
de métal donnant la meilleure diffusion sonore;
de métal pour les armes, dont beaucoup sont sacrées et supposées chargées de pouvoirs surnaturels.

Certaines recettes des maîtres fondeurs, pour les gongs et les armes, passent pour être des secrets alchimiques. Le maître fondeur de gong javanais porte le nom du héros de la littérature hindou-javanaise, Panji Sepuh, et tous ses assistants, des noms des proches de ce prince.
[ Panji B2.c : exemples balinais]








Trésors sacrés

Les tambours de bronze et
les gong sont estimés comme des trésors en Asie du Sud-Est et en Chine ancienne.
A Java, certaines familles possèdent un gong révéré, qui porte un nom et un titre de "Vénéré maître". Dans les gamelan, le grand gong est sacré; après la fabrication, le fondeur a invité un esprit à s'y installer. Cet esprit est nourri d'offrandes avant que le gong ne soit frappé une première
fois, et alors seulement la musique peu commencer...


Fertilité, bronze et crapauds

Dans le champ sémantique autour du mot gong figurent aussi
le crapaud-buffle (ngo, ngung, enggung) et sa voix;
les guimbardes gènggong (percussions) et les lames vibrantes à vent enggung, qui imitent respectivement les choeurs de grenouilles et les crapauds-buffles. Elles sont jouées en solo ou, à Bali, en groupe, accordées sur l'échelle sléndro, en instrument collectif/gamelan.


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