ASPECT MUSICAL
   
  Formes musicales instrumentales : dualité

Dans la diversité des instruments collectifs/gamelan au sens large, les formes musicales sont multiples.
 





FORMES MUSICALES

 

Dominante linéaire
Musique comme langage, discours musical.

Construction concentrique
Structure musicale du gamelan "au sens restreint" ou gamelan proprement dit :
musique comme architecture sonore.

 

Liées aux formes verbales, moins étrangères aux conceptions occidentales que les structures concentriques, les formes linéaires sont très diverses, aussi bien dans le domaine populaire (mélodies issues de chansons, par exemple) que dans celui, savant, de la narration chantée ou mise en scène de la littérature écrite [B : instruments individuels].

Le type concentrique est le plus spécifique, en concordance avec l'idéologie centralisatrice des royaumes hindous-javanais dits "concentriques". Il s'est développé à partir de sonneries de gongs, rituelles et signalétiques. [A2 : gamelan au sens restreint].

Mouvement : parcours linéaire de "a" à "z", mélodies progressant vers un but, type additif, par étapes, et discursif (succession ordinale d'évènements sonores), selon différents modes : soit d'une pièce, soit par strophes (séparées ou non par un silence), soit en une ligne répétée en boucle.

Mouvement : enroulement(s) de "a" à "a". Rotation, gravitation autour d'un centre (radiation sonore du gong), entraînée par son complément et opposé, le gong kempul à périodicité décalée et irrégulière.
Tendance à l'immobilisation, négation du temps, en concordance avec la recherche de la maîtrise du temps comme ogre, démon (kala).

_

Cyclique seulement par l'effet de répétition d'une série, sans relever de la conception cyclique concentrique ci-contre.

Cycle au sens de cercle (ou autre structure fermée).
Concentrique : rayonnement autour d'un centre (= roue). Construction par strates, du centre rayonnant. (le gong) à la périphérie, du grave à l'aigu, du stable à l'agité, de l'unique au multiple. Forme de mandala, comme beaucoup d'autres dans cette culture.
Le cycle global (gongan) renferme des sous-cycles constitués
- au plan métrique par la périodicité de frappe propre à chacun des timbres chargés de la colotomie
- au plan mélodique, par les fréquents mouvements rétrogrades.
Le traitement mélodique est formel, obéissant étroitement au traitement du temps.

Métrique répétitive, ponctuation du discours mélodique par des timbres (gongs ou substituts de gongs, d'accord indéfini) : colotomie au sens large, close par la frappe d'un gong ou d'un gong kempul.
NB : certains claviers en pièces sont dépourvus de timbres non accordés et de leur métrique régulière. Toutefois un clavier grave peut ponctuer la mélodie, régulièrement ou non
| 5|.

Métrique du cycle, colotomie au sens strict : entre deux frappes du grand gong (ou substitut), c'est à dire au sein d'un gongan, chaque timbre secondaire (gong ou substitut) marque un niveau de subdivision du cycle, comme une horloge sonnerait avec un timbre différent la demie, les quarts... ou comme si la battue d'un chef d'orchestre était audible et que les différents temps aient leur son respectif. Ne pas confondre avec une ponctuation, dont les signes clôturent les sections d'un discours linéaire.
Les formules colotomiques définissent et nomment les différentes formes musicales.
Les mélodies sont soit circulaires, soit linéaires.

 

Temps terrestre, linéaire, quantitatif (s'additionnant), série ordinale faisant disparaître le passé pour aller vers le futur.

Temps cosmique, cyclique, espace-temps en expansion concentrique par les points cardinaux.
Temps qualitatif, fait de conjonctions spécifiques.

Asymétrie dominante, rythmiquement et mélodiquement.

Mélodie circulaire, qui se referme sur le gong et parfois en d'autres points aussi. Le contour mélodique général est défini par la note située sur la frappe de gong, celle du milieu du gongan et éventuellement les milieux de ces moitiés.
Symétries fréquentes
, en imitation des constructions spatiales. Selon les cas, il y a symétrie totale ou alternance de mouvements rétrogrades avec d'autres symétries (mouvement contraire, parallèle...) et des asymétries. Les symétries apparaissent aussi bien horizontalement (au sein d'une partie instrumentale) que verticalement (entre deux ou plusieurs parties)
[A2.5.c : pivots et symétries].

Mélodie linéaire : les mélodies linéaires viennent s'insérer dans le cycle défini par la colotomie. Elles commencent en un point quelconque afin de se terminer sur le gong.

     
  La réalité est plus mitigée que la dualité présentée dans le tableau : le répertoire de la plupart des gamelan comprend à la fois des pièces de forme linéaire et des pièces de structure concentrique; la plupart des pièces musicales mêlent des éléments cycliques et linéaires, des symétries et des asymétries. De ce fait, au stade de la généralité où nous nous situons, les deux catégories ne sont pas distinguées dans les tableaux qui présentent les notions musicales fondamentales.


Notions fondamentales

Elles sont schématisées en tableaux bicolores opposant ou comparant les conceptions occidentales classiques et la réalité dans les instruments collectifs/gamelan.
 





ASPECTS MÉLODIQUES

 


NOTIONS MUSICALES
OCCIDENTALES INADAPTEES



NOUVELLES NOTIONS

 

diapason, hauteurs absolues : inexistants dans la tradition, qui, au contraire de la musique occidentale n'a pas fixé la fréquence sonore des notes de musique.

échelle étalonnée, intervalles fixes, hauteurs relatives : toute la musique occidentale utilise les mêmes mesures d'intervalles. Dans le gamelan au contraire, à l'intérieur d'une même catégorie d'échelle (pélog heptatonique ou pentatonique, slèndro pentatonique ou tétratonique) et à l'intérieur d'une même catégorie d'ensemble instrumental, les intervalles diffèrent d'un ensemble à l'autre, de façon très perceptible pour l'oreille occidentale.
Des intervalles considérés semblables se révèlent acoustiquement différents, car ce qui est pris en compte n'est pas l'acoustique, mais le nombre de degrés (donc, de lames de claviers) qui sépare les notes.

échelle identitaire : chaque instrument collectif/gamelan possède son propre accord, qui marque son identité sonore par rapport aux autres gamelan de la même catégorie, comme une sorte de drapeau sonore de la communauté possédant l'instrument.
De ce fait, les instruments/éléments de deux gamelan ne peuvent pas être mêlés, il ne servirait à rien d'en voler au village voisin; le gamelan est attaché à la communauté et parfois rituellement marié avec elle.
Dans les fêtes où plusieurs gamelan jouent en même temps, la cacophonie produite est une marque de réussite, de cohésion sociale et de prospérité : "l'Union de la diversité", devise nationale.

 

hauteurs de son : "grave" et "aigu" ne sont pas considérés comme des hauteurs.

tailles de sons : "grave" est "grand" (ageng), "aigu" est "petit", en référence à la taille des corps sonores, mais aussi en lien avec la plus grande noblesse (agung) des sons graves.
noms et couleurs de notes : le plus ancien système de solmisation et de notation (qui perdure à Bali), nomme les notes avec les voyelles A O U E I, elles-mêmes symboliquement associées aux couleurs.
noms des degrés mélodiques : un bon nombre de ces noms désignent des parties du corps humain.
orientation spatiale : une mélodie est orientée selon les points cardinaux - elle va vers l'ouest ou autre -, en fonction de l'orientation de l'instrument qui la joue.

 

thème : il n'existe pas de dialectique des thèmes à l'intérieur des pièces musicales indonésiennes; toutefois, dans les musiques de scène, certaines pièces musicales (mélodie et colotomie) sont associées à des personnages.

parcours mélodique : une unique ligne mélodique se déroule d'un bout à l'autre de la pièce.
contour mélodique : avec leur fréquence de frappe respective, les diverses parties instrumentales exécutent différentes réalisations d'un contour mélodique général; dans le détail, chacune possède son propre contour, plus ou moins ample. Le contour mélodique général, commun à toutes les parties, est déterminé par les degrés associés aux points principaux de la colotomie, points de conjonction. C'est un axe de 2 sons, ou un "polygone" de 4, 8 sons, voire plus.
formules mélodiques : le contour mélodique spécifique à chaque partie instrumentale est fait d'une succession de formules. Deux types de formules sont distinguées : soit statique - elles "tournent sur elles-mêmes" (ngubeng en balinais) -, soit "en marche", linéaires (majalan en balinais). Les deux types sont généralement combinés, aussi bien horizontalement (dans une ligne mélodique) que verticalement (au travers des différentes strates mélodiques). Le motif des crapauds est particulièrement ngubeng.

 

harmonie, accords : notions inexistantes. La majorité des parties jouent simultanément le même degré mélodique.

conjonctions de sons : l'unisson - ou l'octave - domine largement, mais toutes sortes de brèves rencontres de degrés différents sont aménagées, même des intervalles de seconde. La quinte n'est pas une notion acoustique, mais un saut de deux degrés, quelles que soient ces degrés et l'échelle. Dans le pélog pentatonique, dont les intervalles sont inégaux, les quintes sont de taille très variable.

 





TRAITEMENT DU TEMPS

 


NOTIONS MUSICALES
OCCIDENTALES INADAPTEES



NOUVELLES NOTIONS

 

temps : la conception linéaire du temps qui est la nôtre diffère beaucoup des conceptions traditionnelles. Dans ces dernières, le qualitatif a beaucoup plus d'importance et de réalité que le quantitatif : la comptabilisation du temps n'est pas pertinente dans la musique, et peu pratiquée dans la vie traditionnelle; ce sont plutôt le caractère et les auspices des différents moments (kala) qui sont pris en considération.

temps qualitatif, diversifié et émietté : collections de moments possédant leur caractère propre (kala : moment, démon), sans numérotation d'heures, de dates ou de temps musicaux.
temps quantifiable : les cycles cosmiques du calendrier Saka, permettant la datation.
La musique relève surtout du temps qualitatif (kala), néanmoins pourvu d'une organisation régulière binaire, marquée de piliers/pivots (saka).
espace-temps : les deux dimensions n'en font qu'une. L'espace-temps est la réelle dimension, dans le gamelan et en général; l'organisation (binaire) du temps est identique à celle de l'espace, les structures spatiales (visuelles) peuvent être imitées musicalement.

 

rythme : le rythme, pris au sens de succession de durées inégales, est presque une exception dans les musiques percussives traditionnelles.

temps comme ligne régulière de pointillés, qui dans la musique sont tous joués/frappés, mais par intercalation des parties. Ce qui différencie les pointillés, ce qui donne à chacun son caractère, c'est la conjonction de timbres et de couleurs (degrés mélodiques) ainsi que l'épaisseur (nombre de parties simultanées).

 

durées, valeurs de temps : notion peu présente dans la culture en général, et d'autant moins bien adaptée à la musique que les instruments sont à percussion (pas à son entretenu) et à l'origine en bambou à résonance brève. Par conséquent la musique n'a pas été conçue sur la base de durées du son contenues dans le souffle ou le geste de l'instrumentiste, mais à partir de la notion d'impact, de frappe. La durée de résonance importe seulement pour la hiérarchie des gongs et leur fréquence de frappe respective.

nombre de temps : il n'y a pas d'étalon de mesure (ni de terme pour en désigner); tout dépend de la partie/strate instrumentale considérée.

positionnement dans le temps : la notion importante est la place de chaque frappe dans la ligne de pointillés hiérarchisés du temps. Ce positionnement est systématique pour les timbres de la colotomie. Dans les mélodies les plus formelles, chaque subdivision importante du temps est associée à un degré mélodique précis.
fréquence de frappe : chaque partie/strate instrumentale possède sa fréquence de frappe, plutôt qu'un nombre ou des valeurs de temps. La fréquence de frappe est proportionnelle à la fréquence vibratoire (tessiture des instruments). Schématiquement, les fréquences de frappe doublent de strate en strate vers l'aigu, les instruments étant accordés d'octave en octave.

 

durée : une pièce musicale n'a pas de durée fixe. Non seulement elle peut être répétée un nombre variable de fois, mais encore l'utilisation de différents tempi et mesures (ou plutôt ratios de subdivision du temps) peut faire varier considérablement sa longueur. [A2.6.c : principes d'expansion et de contraction concentrique].

cycle : dans une grande partie des musiques, l'espace-temps a la forme du cycle. Les grands cycles englobent des sous-cycles (comme dans le calendrier des kala). Les limites sont des retours à une même conjonction, qui boucle un cycle.

 

gong : catégorie organologique; instruments de métal à bosse centrale (place de la frappe).

gong : seul est nommé gong - qu'il ait ou non l'aspect d'un gong - l'instrument dont la frappe délimite les cycles. Fonction de "présidence" au sens propre, au centre dans les musiques concentriques.

 

Notions communes aux deux systèmes
mais dont la mise en oeuvre est souvent différente

 

musique répétitive : soit une pièce est répétée en boucle, soit elle est constituée de motifs répétés... et éventuellement elle-même répétée.

la répétition est très utilisée, elle permet de donner à la musique une durée ad libitum, adaptée à l'événement qu'elle accompagne (rite, procession, danse, action scénique...).

 

temps mesuré : la musique est mesurée, au sens où le temps est subdivisé régulièrement.

Quand la musique des instruments collectifs/gamelan est transcrite, c'est généralement à 4 temps, dans quelques cas à 2 temps. Mais la mesure notée en début de pièce comme dans la musique occidentale est une notion étrangère, comme le fait de compter les temps.

 

système binaire : le temps est subdivisé de 2 en 2, très strictement dans le gamelan.

alternance binaire (horizontale) : l'alternance de ce que nous appelons "temps et contretemps", ou "levés" et "posés" est nommée dhing Dhong, comme le battement d'une cloche et peut-être inspirée par ce dernier, car il existe de nombreuses analogies entre cloche et gong, gamelan et carillon [A2.4.b : gong et signalétique sonore].
L'alternance dhing Dhong n'est pas commune à toutes les parties, il n'y a pas de mesure de référence. Toutes les parties instrumentales font dhing Dhong à leur propre rythme, car elles ont des fréquences de frappes différentes. Ainsi un "temps fort" Dhong dans une partie/strate fonctionnelle peut être un dhing dans une autre. Imaginez des cloches de taille différente, battant forcément à des allures différentes : le battant d'une cloche grave se trouve par moments du côté opposé à celui d'une petite cloche battant deux fois plus vite, son "ding" en même temps qu'un "dong" de la petite.
Les Dhong ne sont pas accentués :
- soit ils sont des pivots au centre d'éléments symétriques ou en balance,
- soit il y a anticipation : le Dhong fort constitue la résolution de ce qui précède, plutôt qu'un début.

 

arborescence : ramification; comme les branches d'un arbre, un élément se subdivise, donnant naissance à plusieurs semblables plus petits.

arborescence binaire : démultiplication en 2, 4 ou 8 entités.
une arborescence concentrique, de strate en strate, est réalisée par points cardinaux (pivots rayonnants), ces points se trouvant au centre des 2 (ou 4, 8...) éléments générés par leur ramification. Le cas le plus simple est le motif des crapauds (b a b), de plus complexes s'appliquent à une formule mélodique ou rythmique
[schémas : A2.2.c, A2.5.c, A2.6.b]

 

Intercalation, hoquet : l'intercalation des frappes des divers instruments est plus fréquente que l'unisson rythmique (homorythmie).

intercalation des frappes entre les strates : des instruments de timbre ou de tessiture différente alternent leurs frappes.
hoquet (mélodique) et polyrythmie : deux musiciens sur le même instrument ou sur des instruments jumeaux alternent leur frappe, selon des formules plus ou moins complexes.
"motif des crapauds" ou motif standard, ou motif pan-indonésien : alternance de deux sons (deux timbres ou deux degrés mélodiques différents); le plus courant est [b a b], "a" étant le son pivot.
| 1|2|11|12|18|19|21|22|25|.
C'est aussi un principe d'arborescence de strate en strate.

 

métrique : [Formes musicales]

Il s'agit généralement d'une métrique de timbres [Formes musicales]

 

dualisme : complémentarité de deux éléments contrastés ou opposés.

notion culturelle majeure, le dualisme est très pratiqué, dans les paires d'instruments complémentaires et opposés et dans les hoquets à deux voix.

 

augmentation, diminution, monnayage : ces procédés sont utilisés pour présenter un thème mélodique de façon variée dans la musique occidentale, surtout dans les polyphonies de la Renaissance.

Généralement, les claviers aigus monnayent la ligne mélodique des plus graves, en la jouant à une fréquence de frappe double ou plus.
Les procédés d'augmentation et diminution apparaissent lors de changements de ratios (irama à Java, wilet à Sunda) des fréquences de frappe entre les strates instrumentales, au cours d'une pièce musicale
[A2.6.c : principes d'expansion et de contraction concentrique]. Cela est comparable au passage de 4/4 à 4/2 ou inversement, par exemple.

 

cantus firmus, teneur : dans les polyphonies, ligne mélodique de référence (souvent au ténor) dont découlent les parties s'y superposant.

La ligne de basse jouée par les claviers de lames de tessiture grave et/ou médium dans de nombreux gamelan est souvent considérée comme un cantus-firmus générant les autres parties mélodiques, mais cela est contestable pour différentes raisons. D'ailleurs, dans bien des cas, les carillons semblent se référer aux degrés mélodiques joués dans une strate plus grave et plus clairsemée ou être quasiment indépendants.
Il semble que l'on ait plutôt affaire à un étagement de réalisations plus ou moins fournies du contour mélodique général déterminé par les degrés associés aux piliers principaux de la colotomie : un axe de 2 sons, ou un "polygone" de 4, voire 8 sons ou plus.

 

 

 

 

STYLES RÉGIONAUX
pour les musiques à percussion
Les points communs et divergences sont apparents sur les notations concentriques en A2.6.b Formes concentriques à mélodie et dans le gamelan mécanique.
D'est en ouest, de Bali à Sunda, l'individu trouve une place croissante.

 


BALI
Homogénéité, cohésion, partage, coordination et interdépendance poussés au maximum, mécanique de groupe, aspect spectaculaire

jeu parfaitement métronomique (robotique)
forte assise (conjonctions importantes sur les Dhong et unissons mélodiques), relativement peu d'intercalations des strates, hoquets virtuoses, matériau sonore et temps hachés menu, mélodies peu chantantes, (rares emprunts au chant), tempi très élevés.
     

 


JAVA
Hétérogénéité (syncrétisme musical), voisinage courtois d'individus, goût de la retenue et de la méditation


jeu volontairement pas tout à fait ensemble, intercalation systématique des strates (pas d'homorythmie), unissons relativement peu nombreux, balance perpétuelle (avec des dhing Dhong de même poids et des motifs des crapauds), quelque liberté de choix mélodique pour certains, mélodies peu "chantantes" (pour les non Javanais), grande diversité de timbres, tempi très variés, souvent très lents.
     
_
SUNDA
*
Mise en valeur d'un individu dans le groupe, expression sentimentale et sensuelle

*ou plutôt Java ouest
et la côte Nord en général.


mélodie accompagnée, présence d'un quasi soliste, vrai rythme (irrégulier), syncopations, rebonds très marqués (motifs des crapauds et parties de tambours très timbrées), unissons peu nombreux, relative liberté de choix mélodiques, tendances tonales, mélodies très "chantantes" (non statiques), tempi moyens
     




L'intercalation des parties et son idéologie

Le principe de l'instrument collectif, qui met en pratique les valeurs communautaires villageoises, est illustré de façon encore plus frappante par quantité de procédés d'
intercalation des parties. Caractéristiques des musiques des trois régions, et plus largement de l'Indonésie, ils sont probablement d'origine autochtone et villageoise.
En effet,
- d'une part ils renforcent la cohésion du groupe de musiciens en portant l'interdépendance à son maximum,
- d'autre part ils ont dû être développés d'abord sur les instruments en bambou, à cause de leur résonance très brève incitant au remplissage en pointillés - instruments que le peuple possède plus facilement que ceux en métal.


Polyrythmies
Il y a bien évidemment polyrythmie dans les hoquets mélodiques, mais par commodité, le terme est réservé ici aux polyrythmies non-mélodiques, comme celles du pilonnage collectif du riz, qui en est une forme très ancienne, des cymbales | 2|, du choeur Cak | 4| à Bali, des onomatopées et claquements de mains se superposant au gamelan à Java et Sunda. Les petites grenouilles noctambules en offrent un modèle (de forme aléatoire) envahissant l'environnement sonore. Les Indonésiens pratiquent les polyrythmies spontanément en dehors du contexte proprement musical, avec des onomatopées, des claquements de mains ou n'importe quel objet sonore.

Dans les exemples balinais, la technique la plus courante est le canon : deux parties jouent la même formule rythmique, décalée d'une petite unité de temps (double-croche). Plusieurs motifs différents (par leur nombre de frappe : 3, 5, 6, 7...) et joués ainsi en canon sont superposés. Dans le Cak, presque chaque couple qui exécute le canon est complété par un troisième musicien qui "ligature" le tout avec des formules rythmiques de son choix. Les plus habiles complètent en improvisant selon ce qu'ils entendent dans la partie du choeur où ils se sont assis, afin d'équilibrer l'ensemble.




Intercalations entre les strates instrumentales
A Java, il s'agit surtout de partage du temps, d'intercalations entres les parties d'instruments aux timbres différents, d'une sorte de "point/contre-point" au sens littéral - plutôt que temps/contretemps qui inciterait à compter les temps. L'intercalation est pratiquée par des instruments dont les frappes ne sont jamais simultanées, mais régulièrement alternées. Gong et kenong se rencontrent, mais le kempul est toujours décalé, de même le kempyang, ainsi que le ketuk dans la majorité des cas.
Dans la combinaison entre
colotomie et mélodie, les parties de claviers de lames (balungan) s'allient au gong et kenong, tandis que les bonang ont tendance à suivre les périodicités décalées du ketuk (et kempyang).

L'antinomie gong-kempul est absolue dans les trois régions. Celle du ketuk-kempyang javanais
| 12| est identique au kempli-kelenang balinais | 2| (ou parfois kempli-kelenong/kemong). A Sunda, un trio de ketuk de tessitures différentes, dont les frappes sont alternées, est fréquemment utilisé et nomme une danse de séduction , le Ketuk tilu | 19|. Les instruments dont les noms sont en U et en A ont généralement des périodicités décalées, sur des temps en levée, par rapport à celles des instruments aux noms en O, qui tombent tous sur des temps "posés" par rapport au gong (le plus fortement posé).

Le choix des noms affectés à ces couples d'opposés pourrait être implicitement lié à celui des voyelles et de leur placement respectif dans le système de correspondances symbolique
[A2.3.d système symbolique].

O

au centre, syllabe suprême Om, associé au Dieu Suprême rayonnant, à la permanence; pour gong, kenong (Java) et goong, jengglong (Sunda) et gong kemong kelentong (Bali).

U

au nord, associé au dieu Wisnu, à l'amont, à l'eau, aux intempéries, à la lune, à la réincarnation; pour kempul (Java, Sunda), kempur (Bali) et ketuk (Java, Sunda).

A

à l'orient, associé à Iswara, le Siwa du levant; pour kempyang (Java) et kelenang (Bali).

I

au sud, à l'aval, au beau-temps, au dieu Brahma, au feu; pour kempli (Bali).


L'hypothèse est d'autant plus envisageable que les noms de notes, fondés sur les mêmes voyelles, font partie du système de correspondance symbolique :

A

blanc (échelle pélog, est) ou rose (échelle slèndro, sud-est)

I

rouge (sud) ou orange (sud-ouest)

O

alliage de couleurs (marron dans nos notations)

E

jaune (ouest) ou vert foncé (nord-ouest)

U

noir (nord) ou bleu (nord-est)


L'univers ordonné est reconstitué avec le matériau sonore, chaque chose à sa place, grâce à la
conjonction/coordination précisément définie de trois groupes complémentaires d'éléments eux-aussi complémentaires :
la collection des timbres (8 par exemple),
la collection des degrés mélodiques (4 ou 5 le plus souvent),
la collection des points du temps sonnés par la colotomie (5 niveaux de subdivision par exemple).


NB : les noms donnés aux instruments sont avant tout la désignation de fonctions dans le marquage du temps. De ce fait, occupant des fonctions identiques, des instruments de facture très différente reçoivent le même nom, qu'ils soient en métal ou en bambou.


Partage mélodique,
hoquet au sens large
Au partage du temps se combine le partage de la mélodie (et parfois même des claviers), avec des techniques que nous désignons globalement sous le terme de
hoquet, pour simplifier.
A Bali, chaque technique porte un nom, mais un terme générique est souvent adopté : kotèkan, qui évoque à la fois le pilonnage collectif, le picorage des poules et l'emboîtement (des rizières par exemple).
A Java, kotèkan désigne les rythmes de pilonnage et imbal (don-contre don) certaines techniques de hoquet.
A Sunda, un hoquet en alternance simple est appelé caruk, peut-être en référence au xylophone du même nom.

Ces pratiques de complémentarité entre deux musiciens constituent le trait stylistique majeur de la musique balinaise, qui les exploite dans tous les répertoires. Cela est sans doute dû au fait que le gamelan est à Bali une pratique populaire et citoyenne.
Dans certains répertoires sacrés des Toraja de Célèbes, les syllabes du texte chanté sont partagées entre les parties du cercle que forme le choeur, avec un tuilage produit par le fait que ces dernières se passent les syllabes comme des ballons.

Le hoquet augmente considérablement l'interdépendance entre les musiciens, qui tressent ensemble leurs frappes. Les tresses ou chaînes de hoquet ligaturent la structure musicale. Difficiles pour les Occidentaux, ces techniques sont appliquées par les Indonésiens, même non musiciens, très spontanément.
     
     
 

HOQUETS
 
Catégorie I
 
 
Partage des degrés de l'échelle mélodique
Des instruments complémentaires restituent la mélodie (ou dans d'autres cas, exécutent une "frise" mélodique répétitive).

A. Ensemble d'instruments à son unique
Chacun porte un seul degré mélodique. C'est le cas d'instruments villageois probablement anciens, comme les cloches de bois, les pilons, les ngung (lames vibrantes comme celles des harmonicas, en bambou, imitant les crapauds buffles du même nom) ou les angklung secoués en bambou
| 16| - ces derniers pouvant cependant être montés sur cadre et joués par une seule personne.
Souvent l'échelle ne comprend que 4 notes.

B. Clavier complet dont les éléments sont partagés
Il s'agit surtout de carillons collectifs, très répandus en Asie du Sud-Est. Le carillon réong balinais est partagé à raison d'un gong par personne en marche
| 2| et de deux ou trois gongs par personne assise | 6|8|9|. Le carillon terompong, pourtant plus grand, est joué par un soliste.
_
     
 
Catégorie II
 
 
Partage d'une mélodie en deux voix complémentaires : hoquet ornemental
Chaque instrument possède la totalité de l'échelle mélodique.
Cette catégorie de hoquet est pratiquée non seulement sur les carillons, mais sur les claviers de lames, par deux instrumentistes sur un clavier (ou carillon) commun, ou sur des instruments jumeaux.
Au contraire de la catégorie I, le hoquet réalise l'ornementation d'un contour mélodique généralement donné par une ou plusieurs parties de claviers de tessiture plus grave. C'est cette catégorie II, [audible surtout
| 3|5|6|8|9|10|24| et gamelan mécanique Gilak Baris et Baris, visible dans les notations ci-dessous] qui est employée dans les gamelan "au sens restreint" riches de plusieurs tessitures de claviers.
Les techniques sont nombreuses (surtout à Bali). Schématiquement, le hoquet peut être réalisé selon les modes suivants :

Mélodiquement
- soit comme une réelle mélodie, sur un ambitus indéterminé (nyog cag balinais, par exemple),
- soit comme un motif ornemental stéréotype, répétitif (frise), de contour et d'ambitus déterminé, transposé sur différents degrés selon le contour général de la mélodie de base (ex : kotekan norot,et kotèkan telu à trois notes et kotèkan pat à quatre notes balinais, certains imbal javanais, les caruk sundanais).

Rythmiquement
- soit en simple alternance d'une frappe sur deux (imbal, caruk, nyog cag, certains kotekan telu),
-soit avec des alternances variables et quelques frappes simultanées sur la même note ou deux notes déterminées.

 


Hoquet ornemental à deux voix imbal (Java)

Notations d'un hoquet imbal javanais, d'une part verticalement comme dans le "gamelan mécanique", d'autre part horizontalement selon la conception occidentale des hauteurs de sons. Elles sont assorties d'un exercice de continuation de la ligne de hoquet sur la ligne de basse.

Forme Srepegan, pathet (mode mélodique) Manyura : cette pièce compte 3 cycles de gong (gongan) subdivisés chacun par 5 frappes régulières de kempul. En tant que musique de scène, les Srepegan accompagnent les combats.

Notation identique à celle créée pour le "gamelan mécanique", développée à partir du système javanais (moderne) not anda.
Axe mélodique horizontal; axe du temps vertical.
Métrique cyclique (colotomie) en rouge sur le rail central, jouée par différents timbres/gongs.
Hiérarchie du temps dans les cases, du niveau supérieur "a" (gris le plus foncé) en descendant vers le plus clair.

Légendes
 
Hoquet ornemental à deux voix imbal (Java)
Deuxième partie : exercice


Notation horizontale, en hauteurs de sons.
 
Exercice : continuer l'imbal selon le modèle du premier gongan, en le transposant sur les degrés mélodiques appropriés.
La partie d'imbal 1 (queues en bas) s'appuie sur la note finale de chaque groupe de 4 notes au clavier grave (sur le trait vertical gris, équivalent des cases "a" dans la notation sur grille);
la partie d'imbal 2 (queues en haut) fait la même chose sur les degrés conjoints supérieurs, en avance d'une unité de temps sur les frappes de l'imbal 1.
Exception : sur les deux segments menant au 3ème gong (bleu), l'imbal 2 utilise les degrés conjoints inférieurs, car l'instrument échantillonné pour le gamelan mécanique ne possède pas assez de lames dans l'aigu. Ce passage est transcrit.

Utiliser la grille du gamelan mécanique pour pouvoir noter, entendre, jouer et enregistrer.
   
   

NB Pour des exemples de kotèkan balinais, voir l'article de référence dans le numéro spécial Bac 2003 de la revue L'Education musicale.







Bali. Kotékan aling-aling, au carillon collectif réong



Le kotekan aling-aling utilise 4 degrés conjoints, deux par joueur, c'est-à-dire deux gongs à mamelon (ou deux lames). Le degré le plus grave est toujours sonné en même temps que le plus aigu frappé par l'autre joueur. Cela, d'une part produit un tuilage, une frise sans le moindre interstice, d'autre part réduit les sons à 3 (dont un constitué de deux degrés). De ce fait, le cadre étant binaire, quand un même motif de hoquet est répété incessamment, il se décale par rapport aux autres parties. Cependant le motif peut s'inverser en mouvement contraire [voir les permutations, ici dans la notation en frise et dans la notation concentrique [A2.6.b : Formes concentriques à mélodie]], ou encore les trois sons peuvent tourner irrégulièrement [Voir la partie de réong de Gilak Baris dans le gamelan mécanique].

Un tuilage des deux parties, produit par la frappe simultanée des notes blanche et jaune, verrouille la frise et lui vaut son nom d'aling-aling, "barrière de protection".

Ici le kotékan est donné dans une version simple : un mouvement droit répétitif. La frise ornementale est symétrique en mouvement rétrograde autour des gongs, du fait d'une permutation du rythme des parties, qui inverse le mouvement droit.
Le même kotèkan peut être joué avec moins de symétries, avec des alternances variées des degrés, mais toujours par unités de 3 sons/3 frappes, donc un motif qui se décale dans le système binaire.



LÉGENDES


Conception traditionnelle javano-balinaise :
tailles de sons, voyelles et couleurs de notes


Conception occidentale : en hauteurs de sons
hoquet à 4 joueurs (un petit gong par joueur), ou à 2 joueurs

4 degrés de l'échelle pélog pentatonique, aux intervalles inégaux. Couleurs et voyelles des notes du système symbolique javano-balinais.




Colotomie
(timbres de la métrique du cycle) :

G

gong wadon femelle,

G

gong lanang mâle, plus aigu,

P

kempul, gong suspendu plus aigu,

p

kempli, gong horizontal à son mat.
 
 


Frise ornementale à motif de coquillages
Là aussi le motif est tuilé.
croquis de I Gusti Nyoman Winarta
     
 


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