Crédits de l’exposition
- Commissariat, scénographie, graphisme : Lelia Wanick Salagado
- Création musicale de l'exposition : Jean-Michel Jarre
- Conception lumière : Sebastiã Salgado, Alexis Coussement
- Conseils techniques : Alvaro Razuk
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Expositions temporaires du musée de la musique
Amazônia
L’Amazonie a toujours frappé les imaginations. Si elle fait naître bien des métaphores, son image est souvent éloignée de la réalité. Ce vaste territoire s’étend sur neuf pays d’Amérique du Sud avec une superficie dix fois supérieure à celle de la France. Plus de 60 % de cette forêt tropicale, la plus grande au monde, se trouve sur le sol brésilien.
Lorsque les navigateurs portugais ont accosté au Brésil en l’an 1500, dans cette dense et riche végétation irriguée par d’innombrables rivières, vivait une population estimée à environ cinq millions d’habitants. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 370 000, répartis en 188 groupes qui parlent 150 langues différentes. Et, à ce jour, 114 groupes identifiés n’ont jamais été contactés.
Depuis le XVIIe siècle, villes et cités ont poussé le long du fleuve Amazone et de ses affluents. Mais le milieu du XXe siècle a marqué le début d’un triste chapitre dans la lutte pour la survie des populations locales : des flux migratoires venant du Sud du pays ont conduit à la déforestation pour faire place à l’élevage de bovins et à la culture du soja. De nouvelles routes et l’ouverture de voies navigables ont facilité l’accès aux entreprises forestières et aux orpailleurs.
La forêt amazonienne est le seul endroit du monde où le système d’humidité de l’air ne dépend pas de l’évaporation des océans : chaque arbre fonctionne tel un aérateur rejetant des centaines de litres d’eau par jour dans l’atmosphère, créant des rivières aériennes encore plus volumineuse que le fleuve Amazone.
Les images satellitaires montrent incroyablement une forêt tropicale en grande partie masquée par les nuages. Le jour où la jungle sera parfaitement lisible depuis l’espace, les rivières aériennes auront disparu, avec les conséquences catastrophiques qui en résulteront pour notre planète.
Cette exposition est le fruit de sept ans d’expériences humaines et d’expéditions photographiques – par la terre, l’eau et l’air – dans une Amazonie encore méconnue qui ne cesse de nous étonner par la culture et l’ingéniosité de ses peuples, par ses mystères, sa puissance et sa beauté inégalée. Grâce à l’impénétrabilité de la jungle, des peuples ont pu préserver pendant des siècles leur mode de vie traditionnel. Aujourd’hui, les voici gravement menacés, ainsi que la survie de la forêt.
L’Amazonie vue du ciel
On ne prend vraiment la mesure de la forêt amazonienne que depuis l’espace. Elle recouvre près d’un tiers du continent sud-américain, soit un territoire bien plus vaste que l’Europe toute entière. Si les frontières nationales des neuf pays qui partagent cet écosystème sont peu marquées, plus de 60 % de la forêt se trouve au Brésil. Au cœur de cette nature extravagante coule le fleuve Amazone qui, alimenté par plus d’un millier d’affluents - dont 17 de plus de 1 500 kilomètres de long - déverse chaque jour dans l’Atlantique 17 milliards de tonnes d’eau, soit 20 % du volume d’eau douce mondiale.
Vue d’avion ou d’hélicoptère, la forêt équatoriale paraît un gigantesque tapis verdoyant parcouru de boucles sinueuses, les méandres de ses rivières paresseuses. Mais à la saison des pluies, ce bel ordonnancement se trouve soudain bouleversé : les cours d’eau débordent et inondent la forêt sur une centaine de kilomètres, créant par endroits des lacs et lagons qui regagneront sagement leur lit au fil des décrues, ou en creusant d’autres. Ce paysage est si plat qu’à Tabatinga, à la frontière occidentale du Brésil avec la Colombie, l’Amazone ne se trouve qu’à 73 mètres au-dessus du niveau de la mer - alors qu’elle a encore 4 660 kilomètres à parcourir.
Or ce cycle naturel, qui se rejoue depuis des millions d’années, est aujourd’hui en péril. La déforestation s’accélère. C’est en périphérie de la jungle, là où les routes ont attiré les migrations d’agriculteurs, de bûcherons et de mineurs, que le déboisement est le plus féroce. Il touche principalement des terres appartenant à l’État : sur les terrains indigènes et dans les parcs nationaux, la proportion de forêt rasée est minime.
Néanmoins, avec pas moins de 17,25 % de la biomasse déjà anéantie, il est à craindre que la déforestation n’atteigne bientôt un point de non-retour. Celui où le biome ne pourra plus se régénérer et où de vastes étendues forestières deviendront des savanes tropicales.
Le parc du Xingu est le plus célèbre territoire indigène du Brésil. Il doit sa renommée internationale aux images des fêtes cérémonielles qui s’y déroulent, ainsi qu’à son influence sur la littérature brésilienne depuis la seconde moitié du XXe siècle.
Situé dans l’État du Mato Grosso, le parc du Xingu fut la première grande réserve créée pour protéger plusieurs groupes ethniques : les 6 000 indigènes qui le peuplent aujourd’hui sont issus de 16 communautés différentes, qui parlent des langues appartenant à cinq familles linguistiques. Son territoire se trouve à la jonction de deux biomes distincts, l’Amazonie et le Cerrado, ce qui le dote d’une faune riche et variée ainsi que d’une forêt luxuriante. Mais le régime de pluie et de sécheresse y est beaucoup plus accentué que dans la forêt tropicale située au nord.
Les villages du parc sont tous constitués de maisons communautaires disposées en ovale autour d’une place en terre battue. Au centre se trouve la « Maison des hommes » où sont conservées des flûtes sacrées, que les femmes n’ont en principe pas le droit de voir. On n’en joue donc que dans cette petite maison ou bien la nuit, lorsque les femmes sont censées dormir et ne pas pouvoir les entendre. La place est le lieu des événements publics : fêtes, enterrements, discours des chefs, luttes cérémonielles.
Chaque groupe se distingue par une spécialité artisanale qui lui permet de participer à un système de transactions entre ethnies ; ainsi les céramiques des Waujá, les arcs et les flèches des Kamaiurá, les colliers d’escargots des Kuikuro ou encore le sel des Aweti et des Mehinako. Ces produits sont échangés dans le cadre de rituels de troc appelés moitarás, qui ont lieu à l’issue des grandes cérémonies festives.
Ces célébrations rappellent les relations de solidarité qu’entretiennent les communautés indigènes du Haut-Xingu. Des rituels tels que le Kuarup, le Javari et le Yamurikumã rassemblent les membres de plusieurs communautés autour de traditions communes héritées, dont les mythologies articulent différentes dramaturgies similaires.
Les Awa-Guaja sont un peuple presque isolé vivant dans le Maranhâo, État qui a connu ces dernières décennies une intense exploitation forestière illégale. Leur nom combine identification officielle, « Guaja », et autodénomination, « Awa ». Des études ethnolinguistiques indiquent qu'ils habitaient un territoire dans l’actuel État du Para, à l’ouest, lorsqu'ils faisaient partie du même groupe linguistique tupi-guarani que les Guajajara et les Tenetehara. Au début du XIXe siècle, ces peuples se sont séparés et les Awa-Guaja ont migré vers l’est, en direction du Maranhâo. Aujourd’hui, ils vivent sur deux territoires (Haut-Turiaçu et Caru), qu'ils partagent avec d’autres peuples qui sont davantage en contact avec le reste du monde : les Ka’apor, les Timbira et les Guajajara.
Dans les années 1970, les terres des Awa ont été dévastées suite à la découverte de vastes gisements de minerai de fer dans la région et à la construction par le gouvernement brésilien d’un système ferroviaire et routier traversant leur territoire pour transporter ce minerai de la Serra dos Carajas jusqu’à la côte. Des milliers d’individus se sont installés de manière illégale dans la région et de nombreuses familles Awa ont été massacrées.
Depuis cinquante ans, les Awa voient en outre leur territoire rétrécir du fait d’une intense exploitation forestière illégale. Les organisations de défense des populations autochtones dénoncent leur extinction et estiment que ce peuple « subit un génocide ».
Les Awa-Guaja ne sont plus que 450 environ, dont une centaine ont des contacts limités avec l’extérieur. d’après l’ONG britannique Survival International, ils sont aujourd’hui « le peuple le plus menacé au monde ».
Arroser un continent entier
L’une des curiosités les plus extraordinaires - et peut-être les moins connues - de la forêt amazonienne est un phénomène désigné communément sous le nom de « rivières volantes ». Prenant leur source au-dessus de la jungle amazonienne, ces rivières aériennes chargées de vapeur d’eau parcourent une grande partie du continent sud-américain et charrient plus d’eau que le fleuve Amazone lui-même. Chaque jour, 17 milliards de tonnes d’eau se déversent du fleuve dans l’Atlantique ; des scientifiques estiment que, dans le même temps, 20 milliards de tonnes d’eau montent vers l’atmosphère depuis la jungle : un phénomène qui vaut à celle-ci le nom d’« océan vert ».
Un arbre de grande taille peut puiser de l’eau jusqu’à 60 m de profondeur et en rejeter jusqu’à 1 000 1 par jour. Et comme cette opération se répète sur 400 à 600 milliards d’arbres, on comprend aisément que la forêt amazonienne génère une part importante de l’eau qu’elle recevra ensuite. d’ailleurs, même celle qui atteint le continent sous forme d’évaporation marine est rapidement recyclée par la jungle selon un processus d’« évapotranspiration ».
Ces « rivières volantes » sont vitales pour le bien-être de dizaines de millions de personnes, surtout au Brésil. Elles perturbent les schémas météorologiques à travers le globe et sont elles-mêmes vulnérables aux effets de la déforestation et du réchauffement climatique. Les phénomènes amazoniens constituent une variable clé. Les scientifiques estiment qu’en raison de l’accélération de la déforestation et du changement climatique, la température au sol du bassin a déjà augmenté de 1,5°C et devrait encore croître de 2°C si les tendances actuelles persistent. De même, ils redoutent une baisse des précipitations annuelles de 10 à 20 % réchauffement de la planète.
Installés dans l’État d’Amazonas, les Suruwahâ ont pris le parti de vivre dans un isolement presque total afin de tenter de conserver au mieux leurs pratiques culturelles traditionnelles.
Ces Indiens produisent eux-mêmes toute la nourriture qu’ils consomment et font pour cela usage de techniques agricoles particulièrement raffinées. Pour la chasse, ils utilisent des armes traditionnelles, 1 l’arc et la sarbacane, avec lesquelles ils tirent des flèches à pointe empoisonnée - les Suruwahâ ont une grande maîtrise des poisons. Il n’y a pas de chef officiel, mais les meilleurs chasseurs bénéficient d’un grand respect : ils sont considérés comme des madi iri karuji, ou « personnes de valeur », et l’admiration qu'on leur porte est proportionnelle au nombre de tapirs qu'ils ont tués.
Un corps fort, signe de santé, est un attribut que les Suruwahâ cherchent à mettre en avant. La force musculaire des hommes est mise en valeur au cours des activités collectives, comme le rituel consistant à transporter le manioc : 600 à 800 kilos de manioc râpé sont placés dans un énorme panier d’environ 2,5 m de haut, transporté en groupe de la maison communautaire, ou maloca, jusqu’à la rivière où le manioc sera mis à fermenter.
Le taux de mortalité des Suruwahâ est élevé, en raison d’une pratique assumée et volontaire qui consiste à ingérer du timbo (Derris elliptica), une substance hautement toxique utilisée pour la pêche et qui provoque leur mort. Selon leur cosmologie, la vie est naturellement prélevée par l’esprit agressif d’une plante. La plupart des cas de mortalité se produisent chez des personnes âgées de 14 à 28 ans, en pleine vigueur physique. En effet, selon les Suruwahâ, l’au-delà est divisé en trois cieux, où se rendent les âmes des êtres humains après leur mort. Le plus désirable est celui où se retrouvent les personnes qui meurent fortes et en bonne santé, alors que les deux autres rassemblent respectivement celles qui ont été mordues par un serpent et celles qui meurent de vieillesse.
Les Ashaninka sont l’un des groupes autochtones ayant la plus longue histoire connue : sont attestées des traces de leurs relations économiques et culturelles avec l’Empire Inca remontant aux XVe et XVIe siècles. Les Incas, jusqu’à l’arrivée des Espagnols, dominaient une grande partie de l’Amérique du Sud depuis leurs montagnes du Pérou. Ils achetaient aux Ashaninka ou « Antis » des produits issus de la forêt, tels que plumes, peaux, coton, tissus, plantes (sous forme de graines ou de bois). En échange, les Ashaninka recevaient des Incas des objets en métal (haches en cuivre, bijoux en or), d’autres textiles, de la laine et peut-être aussi des pierres semi-précieuses.
Le lien des Ashaninka avec les Incas est si ancien et si profond qu’il apparaît dans les mythes sur la création du monde et des humains, comme si les deux peuples étaient nés l’un de l’autre. Voici l’un de ces mythes, raconté par le chaman Moisés Piyako :
Un jour, il y a très longtemps, il y avait une communauté Ashaninka et au centre de celle-ci il y avait un étang. Venu de l’intérieur de l’étang, ils entendaient le chant d’une poule. Un jour, quelqu’un a pris un hameçon pour pêcher. Avec chaque appât qu’il utilisait, il attrapait quelque chose : des poules et d’autres animaux qui n'existaient pas. Parfois, il pêchait un Inca. C'est pourquoi les Incas ont d’abord vécu avec les Ashaninka. Mais un jour, ils s’en allèrent vivre plus loin et c’est ainsi que le peuple inca a vu le jour. Lorsque mon peuple avait besoin de quelque chose, il le cherchait dans les cités des Incas. Et ce dont les Incas avaient besoin, ils l’achetaient aux Ashaninka. Les Incas ne savaient pas marcher dans la forêt, ils n’y descendaient pas, et restaient sur la montagne.
Toujours selon la mythologie des Ashaninka, lorsque les Espagnols, qu’ils appellent viracochas, dominaient le territoire, le dieu suprême Pawa décida d’empêcher les sages de révéler aux envahisseurs les secrets de leurs pouvoirs. Il transforma donc les sages en animaux pour camoufler et garder la sagesse. Afin de préserver la capacité de certains hommes à accéder à ces connaissances, il créa l’ayahuasca, une boisson qui met les hommes en contact avec le monde spirituel. C’est « la clé pour pénétrer tous les charmes cachés ».
Des plaines aux reliefs insoupçonnés
La chaîne de montagnes qui régule la vie du bassin amazonien se trouve bien au-delà de la frontière occidentale du Brésil. Mais si les Andes fournissent l’essentiel de l’eau qui alimente l’Amazone par le biais de centaines d’affiuents, le Brésil possède lui aussi des montagnes.
La Serra do Imeri, la plus grande chaîne montagneuse du pays, fait presque office de frontière naturelle avec le Venezuela, à l’extrême nord de l’État d’Amazonas. Elle a pour point culminant la cime escarpée du Pico da Neblina (« pic du brouillard ») qui, avec près de 3 000 m d’altitude, est la plus haute montagne du Brésil. Comme son nom l’indique, elle est souvent enveloppée de nuages, ce qui rend son ascension glissante, donc périlleuse. Non loin de là, le Pico 31 de Março atteint un peu plus de 2 900 m. Et dans la même région, le Pico Guimaraes Rosa, nommé ainsi en l’honneur d’un célèbre écrivain brésilien, s’élève à 2 105 m. Ce qui frappe dans ces montagnes, c’est la forêt pluviale qui tapisse leurs premières pentes, la végétation se raréfiant ensuite jusqu’à être arrêtée par la roche nue.
Le Monte Roraima, appartenant à la chaîne de Pacaraima, est une formation géologique radicalement différente. Haute de 2 800 m, cette montagne en plateau située à la frontière du Brésil avec le Guyana et le Venezuela entre dans la catégorie des tepuis.
Le parc national Serra do Araci protège un massif montagneux d’une exceptionnelle beauté. Situé à environ 400 km au nord-ouest de Manaus, il se découpe avec majesté sur l’arrière-plan de la jungle. Son relief accidenté, principalement composé de tepuis, culmine à plus de 1 700 m. C’est là que l’on trouve les cascades d’eldorado et de Desabamento - les plus hautes du Brésil, où l’eau dévale la paroi nue de la montagne sur 360 m.
En une cinquantaine d’années, les Yawanawá sont passés de l’invisibilité absolue à une intense exubérance culturelle. Ils sont considérés comme une référence aux yeux du monde entier pour leur mode de vie en harmonie avec la nature et leur culture préservée. Pourtant, en 1970, la communauté ne comptait plus que 120 membres et connaissait un épisode grave : un taux d’alcoolisme très élevé, lié à la déliquescence des liens sociaux qu’avait entraînée un changement de mode de vie brutal. La langue des Yawanawá était en voie de disparition car il leur avait été interdit de la parler devant les Blancs : les propriétaires des plantations d’hévéas, qui régnaient sur les forêts de l’État de l’Acre depuis la fin du XIXe siècle et traitaient les peuples indigènes comme des esclaves, craignaient que les Yawanawá ne revendiquent la propriété de leurs terres.
À cela s’ajoutait une menace supplémentaire : la mission évangélique qui avait imposé le culte chrétien et l’abandon des rites traditionnels autochtones. Notre langue était interdite, seuls les anciens la connaissaient, les enfants n’apprenaient que le portugais. Nos croyances et traditions étaient considérées comme diaboliques par les missionnaires et beaucoup d’entre nous les ont crus. Nous avons commencé à vivre comme des esclaves, dans le travail comme dans la culture
, explique Biraci Brasil Yawanawá, le « Bira » devenu leader du peuple Yawanawá au début des années 1990. Ce nouveau chef a alors réagi avec une détermination tout aussi radicale que celle imposée par les Blancs : expulsion de la mission religieuse et destruction des bibles, apprentissage de la langue traditionnelle de la famille pano, réapprentissage des mythes et de l’histoire passée afin de reconnecter les nouvelles générations aux savoirs et à la mémoire des anciens. En trente ans, la population s’est multipliée par dix. Les Yawanawá sont devenus la preuve vivante que les peuples indigènes, en contrôlant leurs territoires, peuvent faire cœxister culture traditionnelle et esprit d’entreprise.
Tout en travaillant à renouer avec les rituels traditionnels et avec leur langue ancestrale, ils sont reliés au monde contemporain par smartphones et ordinateurs, grâce à des antennes wifi installées dans les villages. L’une de leurs traditions les plus remarquables est l’art plumaire : les Yawanawá créent des œuvres à plumes parmi les plus impressionnantes de toute l’Amazonie, souvent réalisées avec des plumes blanches d’aigle, qui est pour eux un animal sacré.
Les Yanomami constituent l’ethnie indigène amazonienne quasi isolée la plus nombreuse : environ 40 000 personnes, dont 28 000 au Brésil et les autres au Venezuela. Ils vivent depuis près de mille ans autour de la plus haute chaîne de montagnes du territoire brésilien : le contact avec les Blancs ayant au fil des siècles décimé les peuples des vallées, le territoire des Yanomami s’est peu à peu déplacé vers les zones basses du territoire. Les Yanomami du Brésil vivent à sa frontière avec le Venezuela, dans le plus grand territoire indigène du pays qui s’étend du Nord de l’État du Roraima jusqu’au Rio Negro dans l’État d’Amazonas. On connaît parmi eux au moins un groupe totalement isolé.
C’est à partir de la seconde moitié du XXe siècle qu’ils ont été plus intensément exposés à la présence de non-indigènes : missionnaires religieux, explorateurs, agents de l’État brésilien chargés de marquer les frontières. À partir des années 1970, la dictature militaire brésilienne (1964-1985) empreinte d’idéologie développementaliste décide de construire plusieurs routes à travers leurs terres. Vulnérables aux maladies des Blancs, les indigènes sont alors victimes de vagues successives d’épidémies de grippe, de paludisme, de rougeole et de maladies sexuellement transmissibles. Dans les années 1980, ce sont des milliers d’orpailleurs illégaux qui envahissent la région, avec le consentement tacite des agences fédérales de protection des peuples indigènes. Ces chercheurs d’or détruisent des villages entiers et répandent à leur tour de nouvelles maladies. En quelques années à peine, 15 % de la population Yanomami disparaît. Entre 1990 et 1992, les orpailleurs sont finalement expulsés par le gouvernement fédéral, qui reconnaît comme territoire indigène toute la zone de 96 000 km2 identifiés comme terres des Yanomami par les études anthropologiques.
Le chamanisme est un élément fondamental de la culture des Yanomami. Leur principal leader est le chaman Davi Kopenawa, pionnier de la campagne pour la création du Territoire indigène Yanomami à partir de la fin des années 1970. Lors de la crise de l’invasion des orpailleurs, en 1988, lui a été décerné un prix du Programme des Nations unies pour l’environnement. Plus récemment, au milieu d’une nouvelle vague d’invasions, il a remporté le Right Livelihood Award, communément appelé « prix Nobel alternatif ».
Source de peur et d’inspiration
Depuis la colonisation du Brésil par le Portugal, l’Amazonie a été surnommée « l’enfer vert », jungle impénétrable et détrempée qui n’offrait à l’explorateur que des dangers. Ceux qui y ont survécu sont devenus célèbres à travers leurs récits, du conquistador espagnol Francisco de Orellana en passant par l’explorateur allemand Alexander von Humboldt jusqu’à Theodore Roosevelt et au maréchal Cândido Rondon, cartographe de l’armée brésilienne, considéré comme le plus grand protecteur des Indiens au Brésil. Mais de nombreuses expéditions, notamment celles qui espéraient trouver de l’or dans la mythique cité perdue d’eI Dorado, ne sont jamais revenues. Certains explorateurs ont peut-être été mis à mort par des populations locales hostiles ou ont succombé aux morsures de serpent ou à la faim. d’autres, en nombre étonnamment élevé, ont choisi de s'installer auprès de peuples autochtones afin de partager leur mode de vie pastoral.
Aujourd’hui, la forêt pluviale bénéficie d’une image moins offensive, voire romantique, celle d’un « paradis vert » au patrimoine naturel hors du commun, avec l’une des plus fortes concentrations de la planète en espèces botaniques, parmi lesquelles 16 000 essences d’arbres et d’innombrables plantes aux vertus médicinales remarquables. En outre, cette densité végétale sans équivalent permet à la forêt d’absorber les gaz à effet de serre et de rejeter de l’oxygène. Elle abrite des centaines de communautés autochtones, dont certaines n’ont à ce jour aucun contact avec l’extérieur.
Les cours d’eau apportent à ces communautés les principaux aliments riches en protéines. Mais les autochtones ont appris à se tenir à distance des zones naturelles inondables, parfois envahies sur 100 km durant la saison des hautes eaux. Issues pour l’essentiel de la fonte des neiges et de la pluie des Andes, ces eaux font enfler le réseau hydrographique dès qu’elles atteignent les plaines, entre avril et juin. Les crues qui en résultent rappellent en permanence qu’autrefois, la majeure partie du bassin amazonien était sous la mer.
La terre des Macuxi est l’un des plus anciens teritoires indiens reconnus au Brésil. Sa démarcation a commencé en 1919, comme le révèle un repère placé dans le village de Maturuca par le pionnier de l’indigénisme brésilien, le maréchal Cândido Rondon. Ce territoire a fait l’objet d’une expropriation progressive tout au long du XXe siècle : éleveurs de bétail et riziculteurs ont d’abord sollicité des prêts de terres, puis procédé à des prises de possession par la force, pour finalement expulser les Indiens.
À la fin des années 1970, les Indiens avaient perdu la propriété de leurs terres au profit d’éleveurs qui refusaient de reconnaître leur droit historique. Les Indiens vivaient rassemblés dans des villages, sous la menace constante d’hommes armés à la botte des propriétaires des fermes. C'est un long mouvement commencé en 1980, appelé « Ou Vai ou Racha » (« ça passe ou ça casse »), qui a initié la mobilisation des Indiens et exigé la reconnaissance de leur droit à la terre.
Émergent alors la volonté et le projet de retrouver l’identité culturelle propre des Macuxi, en particulier leur langue et leur fierté. On trouve parmi les jeunes leaders de l’époque de nombreux enseignants qui ont œuvré à outiller la nouvelle génération afin de lui permettre de reconquérir son droit à la terre. Ces photographies illustrent ce moment, au début du mouvement de récupération du territoire.
Ce mouvement a trouvé son issue avec la reconnaissance du Territoire indigène Raposa-Serra do Sol et son homologation par l’administration féderale, en 2005, suivie de la confirmation de cette décision par le Tribunal suprême fédéral en 2009.
Comme son nom l’indique, le Territoire indigène Raposa-Serra do Sol (« Renard-Montagne du soleil ») comprend deux zones aux climats distincts : au sud, les champs (appelés Lavrado ou « terre labourée ») occupent environ 70 % de la superficie ; au nord, les zones montagneuses, avec une forêt plus dense, caractérisent les 30 % restants. Dans sa globalité, ce territoire de plus de 1,7 million d’hectares est habité par environ 26 000 autochtones issus de cinq peuples : Macuxi, Ingarikó, Patamona et Taurepang - qui forment un même groupe appelé Pemon et parlent des langues caribes (terme qui donne son nom à la mer des Caraïbes, où a émergé cette famille linguistique) - ainsi que le peuple Wapichana qui parle l’arawak, une langue originaire d’Amérique centrale.
Les Korubo sont aussi célèbres que redoutés, tant par les autres peuples autochtones de la vallée du Javari que par les Blancs : dans les années 1970, lorsque des agents du gouvernement brésilien ont commencé à prospecter dans la région, la violence de leurs réactions aux invasions de leur territoire a rapidement attiré l’attention. Les Korubo attaquent leurs ennemis armés de grandes massues, ce qui leur a valu le surnom d’« Indiens à gourdins ».
Leur peau est toujours peinte en rouge avec une substance obtenue à partir des graines de rocou, mais c’est la couleur de l’argile qui leur a valu leur nom (dans la langue pano, qu’ils partagent avec leurs voisins Mambo, Matsés et Matis). Les Korubo sont un peuple des hauts plateaux, loin des rivières peuplées de moustiques. Lorsqu’ils s’approchent des rivages, ils se protègent des piqûres d’insectes en recouvrant leur peau d’argile. En les voyant ainsi, leurs voisins les Matis les ont appelés « Koru-bo », « peuple couvert d’argile ».
Avant d’entrer en contact avec d’autres cultures, ils n’utilisaient ni arcs ni flèches, pourtant d’utilisation courante chez les autres peuples. Ils chassent les petits animaux avec des sarbacanes, qu’ils manient avec une grande précision, et les plus grosses proies à la lance et à la massue.
Les Korubo ont vécu isolés jusqu’au milieu des années 1990, lorsque l’un de leurs groupes, sévèrement touché par le paludisme, a cherché de l’aide en dehors de la communauté. Aujourd’hui, les Korubo sont environ 120 et vivent dans deux villages sur les rives de l’Itui, dans le Territoire indigène de la vallée du Javari, dans l’Ouest de l’État d’Amazonas, près de la frontière avec le Pérou. Au moins un autre groupe vit encore dans la forêt, sans contact avec le reste du monde.
Entrant dans la catégorie des « Indiens nouvellement contactés », c’est-à-dire ayant peu de relations avec les Blancs, les Korubo vivent selon leurs codes traditionnels et peu d’entre eux parlent le portugais. Encore très fragiles face aux maladies, ils évitent la présence des Blancs au sein de leur communauté. En octobre 2017, ils ont pour la première fois accepté que séjourne auprès d’eux l’équipe de Sebastiao Salgado.
Quand il pleut sur la forêt tropicale
Les nuages sont des acteurs de premier plan de l’écosystème amazonien. Petits ou grands, paisibles ou menaçants, que l’on navigue sur l’eau ou dans les airs, ils sont toujours visibles. Même en forêt, là où la végétation arrête parfois le regard, ils demeurent très présents ; avant chaque fin de journée, une pluie torrentielle est plus que probable. Affronter un orage tropical étant aussi terrifiant que périlleux, il est indispensable de savoir lire les nuages aussi bien qu'une carte topographique.
Au-dessus de la forêt amazonienne, rares sont les journées où le ciel ressemble à une nappe d’azur immaculée ou à un plafond uniformément gris. Les formations nuageuses offrent un spectacle sans cesse changeant. Il débute dès le matin, lorsque l’air chaud et humide émanant de la jungle rencontre de minuscules particules qui permettent à la vapeur de se condenser en gouttelettes d’eau et de former de petits nuages semblables à des boules de coton, les aru. Au fil des heures, ils prennent de la hauteur tout en se regroupant et, pour peu que la température et la vitesse du vent soient propices, ils acquièrent de la vigueur pour donner naissance à un nuage orageux, le cumulonimbus.
Il s’agit de la formation nuageuse de loin la plus redoutable puisqu’elle peut mesurer plusieurs kilomètres de haut et libérer des glaçons et des rafales à 200 km/h tout en criblant la jungle d’impacts de foudre et de violentes précipitations. Sa puissance est telle que les avions, même de grande taille, font tout pour l’éviter, que les hélicoptères recherchent aussitôt dans la jungle une clairière pour se poser et que, sur les rivières, les embarcations s’empressent de trouver un abri. En de rares occasions, comme en 2005, la tempête peut aller jusqu’à coucher des milliers d’arbres.
Les Zo’é vivent dans les forêts de l’État du Pará au nord du fleuve Amazone, plus préservées que celles de la rive sud qui connaissent un processus de dévastation accéléré. Leur territoire, situé non loin de la frontière du Brésil avec les Guyanes, est difficile d’accès par voie fluviale ou terrestre en raison de son relief. Le 22 décembre 2009, une surface de 624 000 hectares a été officiellement reconnue réserve indigène protégée.
Les Zo’é parlent une langue tupi-guarani. Avant les années 1980 et leurs premiers contacts avec les Blancs, ils ne portaient pas ce nom. « Zo’é », qui signifie « nous », a d’abord été employé pour exprimer : « Nous sommes des personnes ». L’utilisation récurrente de l’expression a fini par en faire un terme d’autodétermination, qui témoigne de la prise de conscience de la différence qui les sépare des autres peuples avec lesquels ils se sont alors mis à vivre : les « non-Indiens », qu’ils appellent kirahi.
Comme celle de nombreux autres peuples des Amériques, la mythologie des Zo’é raconte qu’au commencement du monde, les animaux étaient des êtres humains. Ils se doivent donc de reconnaître cette humanité partagée en maintenant un lien avec les proies qu’ils rapportent de la chasse : on place ainsi des noix dans la gueule des porcs morts, car ils sont considérés comme des invités d’honneur au banquet où ils seront mangés. Les femmes Zo’é portent de fins colliers faits de coquilles d’escargots et de superbes tiares à plumes blanches tirées du poitrail des vautours papes. Capturés par les hommes, ces oiseaux vivent avec les habitants du village (on les garde en laisse) et sont même considérés comme des animaux de compagnie. Au retour de leurs expéditions de chasse, ce sont les vautours que les Zo’é nourrissent en premier, afin qu’ils restent en bonne santé et puissent fournir de belles plumes. Les Zo’é sont le seul peuple indigène du Brésil à porter le poturu, un labret en bois logé dans la lèvre inférieure. Poturu est le nom du bois utilisé pour cet énorme piercing qui est leur signe distinctif.
Comme chez d’autres peuples de l’extrême Ouest de l’Amazonie, la mythologie des Marubo est fortement influencée par la mémoire de leurs relations avec l’Empire inca : plusieurs récits mythiques mentionnent les voyages de leurs ancêtres pour aller chercher des biens chez les Incas, par exemple des pierres, si rares dans leur région de la vallée du Javari, où la terre est sablonneuse. Peut-être doivent-ils leur propre nom à leur relation avec les Incas : le mot « Marubo » ne signifie rien dans leur langue, qui appartient à la famille linguistique pano. Il est possible qu’il s’agisse d’une déformation du quechua « Mayoruna », ou « peuple de la rivière », qui servait aussi à désigner leurs voisins les Matsés.
Les Mambo vivent dans des maisons communautaires, des malocas, de forme oblongue situées au centre des villages.
Chaque maison Marubo a un « maître », qui est le chef de la communauté et qui est également responsable de la construction de la maison et de son entretien structurel. Sa famille occupe les espaces les plus proches de l’entrée principale, ce qui fait aussi de lui une sorte de gardien de la maison.
Actuellement, la population Marubo compte un peu plus de 2 000 personnes. Le Territoire indigène de la vallée du Javari, qu’ils habitent, est l’un des plus grands du Brésil, avec 8,5 millions d’hectares, et abrite plusieurs autres peuples : Korubo, Matis, Matsés, Katukina et plusieurs autres communautés isolées.
L’expérience de la cohabitation avec des non-Indiens pendant plus d’un siècle fait partie intégrante de la formation des jeunes Marubo, pour qui il est important de bien apprendre le portugais. C'est pourquoi ils sont nombreux à devenir traducteurs et intermédiaires dans les relations avec les agents de l’État (le personnel infirmier des postes de santé par exemple), ou pour soutenir les actions des organisations de défense des Indiens, comme le montre leur participation constante aux expéditions de contact des autres peuples de la région.
Des îles au fil de l’eau
Dans l’immensité de la forêt amazonienne, la bataille que se livrent la terre et l’eau depuis la nuit des temps a donné naissance au plus grand archipel d’eau douce au monde, les Anavilhanas, dont les îles aux formes infinies ponctuent les eaux sombres du Rio Negro. Depuis les airs, le spectacle est stupéfiant et s’étire aussi loin que le regard peut porter. Au niveau de l’eau, il s’agit d’un gigantesque puzzle : seuls les pilotes de bateau aguerris savent naviguer sans encombre parmi cette myriade d’écueils naturels.
La plupart des grandes terres émergées sont elles-mêmes recouvertes d’une végétation tropicale dense. S’il est impossible de déterminer le nombre exact de ces îles, estimé entre 350 et 400, c’est parce que certains îlots de faible altitude peuvent disparaître, provisoirement ou à tout jamais, lorsque la saison des pluies élève le niveau des eaux de plus de 20 m. De sorte que, d’année en année, les photographies satellitaires restituent un archipel en constante recomposition.
Une exposition photographique est le décor d’une idée, une scénographie qui défend un point de vue. Lors de la conception d’Amazônia, nous avons souhaité créer un environnement dans lequel le visiteur se sente à l’intérieur de la forêt, en immersion dans son exubérante végétation et dans la vie quotidienne des populations locales. Aux images de formats divers, suspendues à différentes hauteurs, s’ajoutent au cœur de l’exposition des espaces rappelant les ocas - habitations indiennes - pour évoquer des îlots de vie humaine au milieu de la forêt.
Le parcours est rythmé par une création sonore spécialement composée par Jean-Michel Jarre à partir des sons concrets de la forêt - bruissements des arbres, cris des animaux, chants des oiseaux et fracas des eaux qui se précipitent du haut des montagnes.
Deux salles accueillent des projections. L’une montre des paysages de la forêt liés par le poème symphonique Érosion : origine du fleuve Amazone du compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959). I’autre révèle des portraits d’indiens, accompagnés d’une musique composée spécialement pour cette exposition par le musicien brésilien Rodolfo Stroeter.
S’il est illusoire de penser que l’on peut reproduire les sensations que procure la forêt, nous espérons qu’au final, une petite partie de la magie de l’Amazonie et de la vie de son peuple sera révélée aux visiteurs et pourra ainsi perdurer au-delà de l’expérience de cette exposition.