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Expositions temporaires du Musée de la musique
Hip-Hop 360
Gloire à l’art de rue
Exposition du 17 décembre 2021 au 24 juillet 2022 - Musée de la musique, Paris
Présentation
Lorsque le hip-hop arrive en France dans les années 1980, c’est un véritable ovni qui percute une génération d’auditeurs alors bercée par la musique pop de leurs parents. Issu des ghettos noirs new-yorkais, le hip-hop inonde les ondes avec le rap, les murs des villes avec le graff et le tag ainsi que les pistes de danse avec le breakdance.
Sous le regard du grand frère américain, la France parvient à développer une culture hip-hop originale, qui fait écho à son histoire des arts populaires et à sa propre réalité sociale.
L’exposition Hip-Hop 360 fait pause sur le lecteur cassette pour traverser quarante ans d’un art longtemps caricaturé et ignoré des institutions, et qui irrigue aujourd’hui tous les pans de la société. Le parcours de l’exposition reflète les expressions plurielles du genre et s’appuie sur la collaboration des artistes eux-mêmes. Hip-Hop 360 propose une véritable vision à 360 degrés d’un mouvement artistique et culturel à l’énergie sans limite.
Parcours de l’exposition
Retour aux sources
La culture hip-hop naît dans les années 1970 dans le quartier du Bronx à New York, sur les ruines postindustrielles et la misère, comme une forme d’expression des jeunesses noire et latino marginalisées. Plusieurs personnalités définissent les codes de cette culture qui envahira plus tard les quatre coins de la planète. Jeune DJ, Kool Herc révolutionne la façon d’animer les fêtes de quartier en manipulant ses disques pour isoler les breaks et satisfaire des danseurs d’un type nouveau, les b-boys et les b-girls. Les maîtres de cérémonie, ou MC, se mettent à haranguer la foule et à déclamer les premiers raps, à l’instar de Lovebug Starski et Cowboy qui forgent le mot « hip-hop ». Afrika Bambaataa, un ancien membre de gang, met toute son énergie dans la fondation de la Zulu Nation, organisation qui regroupe danseurs de rues, graffeurs et rappeurs autour de valeurs pacifistes.
Orchestrés par Sylvia Robinson, les premiers tubes hip-hop comme « Rapper’s Delight » du Sugarhill Gang ou « The Message » de Grandmaster Flash and The Furious Five traversent les frontières
La France est frappée de plein fouet, encore plus lorsqu’elle voit débarquer dans ses villes en 1982 l’incroyable New York City Rap Tour mené par Bernard Zekri et son aréopage de b-boys.
Dee Nasty, le pionnier
Précurseur dans plusieurs disciplines du hip-hop (rap, DJing, graff), né en 1960, Dee Nasty s’évertue sans relâche, depuis le début des années 1980, à propager la bonne parole de la Zulu Nation partout où il va, que ce soit à la radio, en soirée ou même directement dans la rue comme au terrain vague de La Chapelle, à Paris. Premier artiste à sortir un disque de rap français en 1984 avec l’album Paname City Rappin’, il est aussi une légende du DJing, au point que le DMC – l’organisation s’occupant des championnats – l’interdit de compétition tant il enchaîne les titres en France en gagnant les trois premières éditions (1986, 1987, 1988). Mythique aux platines lors des soirées Chez Roger Boîte Funk et sur les ondes de Radio Nova, il sort plusieurs albums et collabore avec de nombreux artistes rap lors des décennies 1980 et 1990.
Conçu pour durer
Après avoir traversé l’Atlantique, le phénomène hip-hop se diffuse dans l’Hexagone pour ne plus jamais le quitter. Le New York City Rap Tour laisse des traces indélébiles pour une partie de la jeunesse, de nouveau réunie en 1984 devant la première émission de hip-hop au monde sur une chaîne de télévision, H.I.P. H.O.P., animée par Sidney. Mais la parenthèse enchantée se renferme quand l’effervescence médiatique retombe. Reste alors une poignée d’activistes, à l’instar de Dee Nasty, qui entraîne dans son sillage DJ, rappeurs, breakeurs et graffeurs. Des lieux dédiés émergent, créant de véritables mythes, comme le terrain vague de La Chapelle ou la salle Paco Rabanne, à Paris. Les b-boys se reconnaissent entre eux et des codes se forgent, le mépris des médias et des institutions ne faisant que renforcer leur détermination.
D’abord culture underground, le hip-hop conquiert définitivement la société française à partir des années 1990, même si son origine populaire le condamne à rester en marge de la culture officielle. Toujours avec le grand frère américain dans le rétroviseur, le hip-hop français a vaincu, tout gagné et a achevé sa propagation : il est « conçu pour durer ».
On inonde les ondes
Au cours des années 1980 et 1990, manquer une émission de radio, c’est prendre un train de retard sur une musique qui ne regarde pas en arrière. Les débuts sont marqués par l’improbable Phil Barney, suivi de près par Dee Nasty et Sidney. Le Deenastyle, sur Radio Nova, puis le Cut Killer Show sont de véritables séances d’initiation au rap – là où « lâcher la pause K7 » a un sens. Le freestyle est le moment attendu, celui où les rappeurs se jaugent. Les émissions comme Mo Bass ou Kool & Radikal offrent une plongée dans l’underground, tandis que 1996 marque le changement de direction artistique de Skyrock : elle devient la radio rap grâce à une mécanique commerciale implacable. La station Générations prend, quant à elle, le parti de défendre une esthétique plus classique. Enfin, les canaux de diffusion se multiplient et la radio se réinvente avec Internet et les podcasts, à l’image de l’aventure OKLM ou de l’émission Grünt.
Paris sous les bombes
Lorsque le graff arrive en France au début des années 1980, une brèche s’ouvre où s’engouffrent nombre de crews mythiques souvent identifiés par des sigles ésotériques : CTK, FBI, BBC, 156, 93MC, NTM, VEP, CMP, TPK, UV… Bombes de peinture Altona ou Marabu, encre Corio Meleine mélangée au bleu de méthylène, fat caps Décap’Four, marqueurs Posca ou Onyx… le matériel du graffeur a tout de l’arsenal du teinturier. La ville et ses entrailles deviennent le terrain de jeu du graffeur : plus la répression est forte, plus il gagne en prestige et plus les candidats sont nombreux. Depuis la reconnaissance internationale du genre avec la publication en 1987 du livre Spraycan Art des photographes américains Henry Chalfant et James Prigoff, le graffiti français a développé des codes et des styles bien à lui, et la rame de métro reste l’ultime trophée pour montrer à tous sa signature.
Boxe avec les mots
Au sein de la culture hip-hop, le rap montre rapidement sa singularité en créant un nouveau genre musical. Le rap a ses techniques et ses codes qui bousculent l’écriture et l’expression, où le flow des mots doit épouser l’instrumental en rythme. Sa grammaire musicale n’a rien de commun avec la poésie ou le chant : rapper, c’est d’abord adopter une mentalité de compétiteur, affronter les autres lors de battles ou s’affirmer en ego trip sur scène ou en studio, c’est improviser en freestyle pour montrer sa supériorité ou sa maîtrise de la rime et la punchline... Selon la musique qu’il doit dompter, le rappeur travaille ses placements et ses intonations. L’esthétique est prioritaire mais la subjectivité du rappeur reprend le dessus, car boxer avec les mots, c’est avant tout mettre KO avec style. Qui prétend faire du rap sans prendre position ?
Ticaret, Social Club
Lorsque le magasin Ticaret ouvre ses portes en 1986, rien ne laisse présager sa transformation un an plus tard en premier magasin de la culture hip-hop française, véritable épicentre des b-boys parisiens. Proche du mythique terrain vague de La Chapelle, c’est là que rappeurs, breakeurs et graffeurs élisent domicile pour deviser sur les derniers disques importés, admirer les tee-shirts et les vestes peints à la bombe ou à l’aérographe par les BBC, se procurer une nameplate ou lire les dernières nouvelles de The Zulu’s Letter. B-boys et b-girls se reconnaissent à leur style. Les marques de luxe sont détournées mais elles comprennent aussi le profit qu’elles peuvent en tirer : si Lacoste ne donne pas un centime dans les années 1990 au groupe Ärsenik, entièrement vêtu de la marque, elle ne rechigne pas à vendre ses produits à toute une jeunesse fascinée par les rappeurs. Bien que prêt-à-porter et haute couture se soient montrés frileux pour associer leur image au hip-hop, ils détournent aujourd’hui les codes de cette culture pour inspirer leurs collections.
Looking for the perfect beat
À partir des années 1980, les beatmakers (ou producteurs) entrent par effraction dans la composition musicale avec des machines remplaçant les traditionnels instruments pour créer une esthétique nouvelle élaborée à partir du sampling. Les boucles sont modifiées et mélangées, bouleversant ainsi l’industrie musicale qui ne sait pas comment dompter ces productions sonores, entre pillage et génie. La maîtrise aux platines par le DJ du mix et du scratch requiert une dextérité digne de n’importe quel musicien classique. Si les boîtes à rythmes, séquenceurs et sampleurs – Roland TR-808, Akai MPC 60 et 2000 ou E-mu SP-1200 – disparaissent au début des années 2000 au profit d’émulateurs informatiques pilotés par ordinateur, c’est toujours dans une volonté d’innovation et de renouveau sonore. Boom bap, trap, drill ou cloud : les producteurs hip-hop révolutionnent la façon de créer de la musique jusqu’à imposer le rap comme la nouvelle pop.
L’art d’échantillonner
Désignant un échantillon sonore, le sample est l’enregistrement de la partie d’une musique ou d’une voix qui est ensuite utilisé en boucle répétée dans la composition d’un morceau, en superposition avec d’autres samples ou des instruments. À ses débuts, le rappeur ne peut s’entraîner à rapper que sur des faces B, c’est-à-dire les parties instrumentales d’autres morceaux de musique. Au début des années 1980, les sampleurs – machines permettant d’enregistrer et d’isoler des échantillons sonores – deviennent plus accessibles : les DJ délaissent les faces B de leurs platines vinyle pour devenir producteurs (ou beatmakers) et proposer aux rappeurs des compositions inédites créées à partir de samples. Différents genres de rap émergent – boom bap, trap, drill ou cloud – et certains producteurs réussissent à créer des ponts avec d’autres types de musique, à l’instar de DJ Mehdi dont les productions rap pour Ideal J et la Mafia K’1 Fry tranchent avec ses compositions de musique électronique.
Mixtape, un circuit parallèle
À l’origine, la mixtape est une cassette mixée par un DJ qui compile les morceaux qu’il joue en soirées. Le DJ joue un rôle de prescripteur et innove en proposant aussi des remixes et des versions inédites. DJ Clyde est le premier en France à proposer sa sélection de titres au début des années 1990, rapidement rejoint par Cut Killer, qui oriente le format vers l’enregistrement de freestyles de jeunes rappeurs. La mixtape devient un moyen de se faire connaître auprès des auditeurs. Elle s’adapte au CD lorsque la cassette disparaît, puis à Internet. Certains rappeurs n’hésitent pas à réaliser de vrais albums étiquetés « mixtape » afin d’alimenter leurs fans entre deux albums officiels et ne pas se faire oublier par une industrie musicale en recherche constante de nouvelles tendances.
360
Véritable vision à 360 degrés d’un mouvement artistique et culturel à l’énergie sans limite, l’installation Hip-Hop 360 permet l’immersion du visiteur au milieu des breakeurs, DJs, beatboxers et rappeurs en proposant une expérience singulière à partir de performances et d’enregistrements inédits réalisés pour l’exposition. De plus, le cercle est l’espace central des battles de danse et de rap freestyle, où le public fait partie des performances en étant au plus près des artistes.
Crédits de l’exposition
- Commissaire : François Gautret
- Cheffe de projet : Julie Bénet
- Chargée de production : Laure Togola
- Conseil scientifique : Anne-Sylvie Barthel-Calvet, Pierre Carré, Benoît Gibson, Elisavet Kiourtsoglou, Makis Solomos
- Scénographie : Agence Clémence Farrell, Cheffe de projet Charline Brard
- Textes : Vincent Piolet
- Graphisme print et vidéo : H5
- Conception et réalisation audiovisuelle : Matthias Aberhervé, Inès, Rafaël Saint-Cerin, Gubitsch
- Eclairage : Patrick Mouré