Django Reinhardt Swing de Paris à la Philharmonie de Paris
Exposition du 6 octobre 2012 au 23 janvier 2013 - Musée de la musique, Paris
Introduction
Est-ce parce que, comme l’écrivait Jean Cocteau dans le programme d’un concert du Quintette du Hot Club de France, nous avons tous dans notre enfance espéré vaguement être des enfants volés, de prendre l’école buissonnière sauvage de la roulotte et de vivre avec les romanichels que nous aimons tant Django ? Ou bien doit-on au fait que le guitariste ait inventé une forme de jazz originale, « sans tambour ni trompette », qui fait partie intégrante du patrimoine culturel français, que nous lui soyons si attachés ? Django Reinhardt a donné à Paris une musique à sa mesure : virtuose, brillante, enchanteresse, où la nostalgie le dispute à la gaîté. Et un rythme, auquel a vibré toute une époque : le swing.
L’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris que lui consacre la Cité de la musique célèbre le génie de cet artiste qui, dans nos mémoires, a donné à une ville alors centre d’une extraordinaire créativité sa bande-son idéale. Tsigane converti aux vertus du swing américain, Django est l’une des personnalités les plus emblématiques du foisonnement cosmopolite qui anima la capitale aux grandes heures de l’entre-deux-guerres. Premier soliste majeur apparu sur le sol européen, il fut l’une des voix les plus originales de toute l’histoire du jazz dont l’influence considérable sur la place de la guitare reste encore perceptible.
Django Reinhardt appartient à la famille des Manouches, groupe tsigane très répandu en Allemagne et dans l’Est de la France. Né à l’arrière de la roulotte familiale dans la campagne belge, le 23 janvier 1910, près d’un bourg où ses parents passaient l’hiver, il est le fils d’un musicien et d’une danseuse acrobate.
Son enfance est marquée par le mode de vie itinérant des siens à une époque où les États européens exercent sur ces populations un contrôle grandissant. Il sera principalement élevé par sa mère qui, après la fin de la Première Guerre mondiale, installe sa roulotte dans la « Zone », ces terrains au pied des anciennes « fortifs » de Paris où s’entasse dans des taudis le petit peuple de la capitale photographié par Eugène Atget.
Django Reinhardt fait son apprentissage musical au sein de sa famille, débutant au violon avant d’adopter le banjo. À peine adolescent, il fait la manche dans les rues de Paris, accompagné de son frère Joseph, dit « Nin-Nin », de deux ans son cadet.
Les Tsiganes, entre rejet et fascination
À partir de la fin du XIXe siècle, les Tsiganes font l’objet d’une surveillance renforcée, à l’instar de toutes les populations rendues suspectes aux yeux des États par leur mode de vie itinérant.
Uniformément regroupés dans la catégorie de « Nomades » par l’administration française et assimilés à un fléau social par l’opinion commune, ceux qu’on appelait alors « bohémiens » sont soumis à un contrôle grandissant qui aboutit à l’instauration d’un fichage et à une loi qui, en 1912, impose à certains de posséder un carnet anthropométrique limitant leurs déplacements. Cette discrimination à l’encontre des populations tsiganes est paradoxalement contemporaine d’une vogue dans la bonne société pour les musiques « tziganes » - avec un z de rigueur, plus exotique – dont le père de Django s’était fait une spécialité. Ce répertoire d’inspiration hongroise eut son influence sur le développement du jeune Django, ne serait-ce que par la virtuosité et l’expressivité qu’il requiert des interprètes.
Les dispositions du jeune Django pour la musique lui valent de se faire remarquer par plusieurs accordéonistes qui l’engagent pour les accompagner au banjo dans les bals musette de l’Est parisien et autres guinguettes aux portes de Paris.
Aux côtés de Guérino, Fredo Gardoni, Jean Vaissade, V. Marceau ou Alexander, Django se distingue en fournissant des accompagnements et contrechants plus imaginatifs que ceux de ses confrères. Familier des bals de Belleville et de la rue de Lappe, à la Bastille, il rythme les distractions de ce Paris secret, nocturne et canaille, immortalisé par les photographies de Brassaï.
Sa réputation grandissante lui valut, dit-on, d’être approché par le chef d’orchestre anglais Jack Hylton désireux de l’intégrer à son grand orchestre de variété, mais l’incendie accidentel de sa roulotte, dans la nuit du 25 au 26 octobre 1928, brisa les ambitions du jeune Django, qui mit près de deux ans à récupérer de ses brûlures
« Passez la monnaie »
Installé dans un balcon surplombant le parquet où se pressaient les danseurs, afin d’éviter d’être bousculé ou pris dans une bagarre, l’orchestre d’un bal musette reposait sur l’association de l’accordéon et du banjo. Le public payait chaque danse à l’aide de jetons, collectés au cri de « Passez la monnaie ».
L’accordéon, instrument des immigrés italiens, avait supplanté les traditionnelles cabrette et musette des tenanciers auvergnats, tandis que le banjo, arrivé avec les premiers orchestres américains, s’était imposé par sa puissance pour soutenir le rythme des danses : valse, mazurka, mais surtout la java, qui régnait en maître à la fin des années 1920.
Les modèles dont s’inspirait Django étaient des Gitans spécialistes de la guitare, de la mandoline ou de la bandurria, tels que les frères Castro et leur orchestre entièrement à cordes, Gusti Malha ou Matteo Garcia. En 1928, Django accompagna certains accordéonistes dans des enregistrements dont la médiocre qualité technique ne restitue que partiellement l’intensité de son jeu.
Au long d’une douloureuse convalescence, Django réapprend à jouer sur une guitare. Afin de compenser la perte de l’usage de deux doigts de la main gauche (l’annulaire et l’auriculaire), il se forge une technique originale, développant une virtuosité exceptionnelle qui triomphe de son handicap.
Pendant l’été 1930, à sa sortie d’hôpital, il descend sur la Côte d’Azur avec sa compagne Naguine et son frère. À Toulon, il fait la rencontre du photographe Emile Savitry qui lui fait entendre des disques de jazz, dont l’audition agit comme une révélation.
Peu après, engagé dans l’orchestre de « La Boîte à matelots » au Palm Beach à Cannes puis à Paris, Django développe un style original qui est la synthèse de ses expériences passées et de son attrait pour la liberté d’improvisation du jazz. Son talent est remarqué par le chanteur Jean Sablon, émule des premiers crooners américains, tandis que quelques amateurs de jazz avisés s’intéressent à l’originalité de son jeu.
Emile Savitry ou le choc du jazz
Peintre proche des surréalistes, photographe, guitariste amateur, Emile Savitry découvre à la terrasse d’un café de Toulon Django et son frère qui font la manche. Ébloui par leur talent, il leur fait entendre des disques de jazz achetés au cours de ses voyages, parmi lesquels le duo guitare-violon d’Eddie Lang et Joe Venuti, Duke Ellington, et une interprétation en big band de Louis Armstrong dans lequel le trompettiste est accompagné, fait rare, par un guitariste.
Ces enregistrements révèlent un monde à Django : le jazz. Toutefois, la musique qu’il pratique professionnellement reste encore confinée aux danses à la mode, tangos et paso-doble, comme au sein de l’orchestre dirigé par Louis Vola à la « Boîte à matelots » du Palm Beach de Cannes.
Le succès de cette réplique de tripot de marins destinée à divertir la clientèle mondaine est tel qu’une annexe ouvre l’hiver suivant à Paris, rue Fontaine. Django y retrouvera l’accordéoniste Guérino et Pierre « Baro » Ferret, aîné d’une lignée de guitaristes qui, à son exemple, adopteront le jazz.
L’école de la chanson
Prenant pour modèle Bing Crosby et les crooners américains, Jean Sablon se démarque de ses aînés de la chanson française par la suavité de ses interprétations et la douceur de son timbre. Au théâtre Daunou, en mars 1933, il est la vedette de Dix-neuf ans, une comédie musicale teintée de jazz et de biguine. Faute de parvenir à faire embaucher Django dans l’orchestre de fosse, Sablon obtient sa présence pour l’enregistrement des airs principaux de l’opérette pour le disque.
Il décide l’année suivante de l’intégrer à la petite formation qu’il constitue pour accompagner son premier tour de chant, au Rococo, cabaret ouvert par Louis Moysès, propriétaire du Bœuf sur le toit. Sablon fait non seulement l’éducation professionnelle du guitariste mais encore il insiste devant le directeur artistique des disques Columbia pour qu’on lui accorde un solo – le premier de toute l’œuvre enregistrée de Django – entre deux couplets de Le jour où je te vis, qui révèlera au monde un musicien accompli.
En 1934, Django se noue d’amitié avec Stéphane Grappelli, un violoniste membre, comme lui, d’un orchestre qui anime les thés dansants de l’hôtel Claridge à Paris. Entre deux passages, ils tuent le temps en se livrant ensemble à des improvisations sur des airs de jazz à la mode. Encouragés par le Hot Club de France, une association fondée par des amateurs déterminés à défendre le jazz authentique, leur entente aboutit à la constitution d’un groupe dont le Hot Club parraine les premiers concerts et finance des enregistrements de démonstration.
Exclusivement composé d’instruments à cordes, le Quintette du Hot Club de France se distingue par l’originalité de sa formule et la complicité de ses deux solistes. Grâce au HCF, Django fréquente certains des grands jazzmen noirs américains comme Louis Armstrong et Coleman Hawkins qui l’adoptent comme un des leurs tandis que les artistes, tels Jean Cocteau, s’enthousiasment pour sa flamboyance. Fort d’un nouveau modèle développé par la marque Selmer, Django marque de son empreinte l’histoire de la guitare sur laquelle, dans le jazz, il s’impose comme le premier grand soliste.
Un Quintette « sans tambour ni trompette »
Annoncé sur les affiches de son premier concert, le 2 décembre 1934, comme un orchestre d’un genre nouveau de Jazz Hot, le Quintette du Hot Club de France était le fruit d’une synthèse originale. Sa principale spécificité tenait à son instrumentation, entièrement à cordes, qui rappelait celle des orchestres à plectre et les formations tziganes au son desquels Django avait grandi.
Emaillé d’effets spectaculaires, son jeu de guitare conservait un goût pour les ornementations, les mouvements chromatiques rapides et les trémolos qui abondent dans la musique tzigane. En l’absence de batterie, la « pompe », cette façon de confier aux guitares le soin de marquer régulièrement la pulsation en lui conservant un caractère souple, provenait du musette, où le banjo assurait une fonction d’accompagnement autant rythmique qu’harmonique.
Leur répertoire faisait la part belle aux fox-trots et autres charlestons importés des États-Unis. Django tout autant que Grappelli avait été conquis par la liberté des jazzmen : le Quintette leur offrait un espace inédit pour donner libre cours à leur goût de l’improvisation, qui trouvait rarement à s’exprimer en dehors de ce contexte.
Un triomphe international
Le Quintette n’exista les premières années que par intermittence, uniquement grâce au soutien des responsables du Hot Club de France qui mirent tout en œuvre pour faire entendre leur découverte. La reconnaissance de ce « swing sur cordes » singulier vint d’oreilles étrangères.
À Paris, le Quintette fut engagé chez Brick Top et au Big Apple, deux cabarets tenus par des chanteuses afro-américaines et fréquentés par une clientèle cosmopolite. Grâce au réseau des hot clubs européens, le groupe se produisit à Barcelone en 1936, puis en Belgique et en Hollande en 1937.
Mais c’est Outre-manche que, grâce au disque, le Quintette remporta un véritable succès, au point que la firme Decca leur commanda à Paris des enregistrements à destination du seul marché du Royaume-Uni. Le 30 janvier 1938, pour sa première apparition à Londres, le Quintette remporta un tel triomphe qu’un impresario de premier plan, Lew Grade, organisa une tournée l’été suivant qui dura plus de trois mois. Le Quintette fut bientôt plus connu en Grande Bretagne que dans sa patrie d’origine.
Paris, capitale du jazz « hot »
Fondé en 1933 par quelques amateurs éclairés, le Hot Club de France avait vocation à faire reconnaître le jazz véritable, celui que l’on qualifiait alors de « hot » par opposition à ses avatars édulcorés et commerciaux, souvent mieux diffusés.
Animée par Pierre Nourry, Charles Delaunay et Hugues Panassié, l’association fit beaucoup non seulement pour l’intégration de Django Reinhardt au sein de la communauté du jazz mais, plus généralement, pour la légitimation de cette musique en France.
Editant une revue, Jazz Hot, à compter de 1935, elle organisa de nombreux concerts avec des musiciens noirs américains employés dans les cabarets de la capitale.
En 1937, Delaunay lança la compagnie de disques Swing, dont l’ambition était d’enregistrer exclusivement du jazz. Sous cette étiquette, Django fut associé aux saxophonistes Coleman Hawkins et Benny Carter mais aussi au trompettiste Bill Coleman, au violoniste Eddie South, au tromboniste Dicky Wells ou bien encore à Rex Stewart et Barney Bigard, deux solistes de Duke Ellington.
Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, le Quintette est à Londres. Alors que Django rentre précipitamment en France, Stéphane Grappelli reste en Angleterre, où il demeurera jusqu’en 1947.
Sans partenaire, Django Reinhardt forme un « Nouveau Quintette » avec, en place du violon, la clarinette de Hubert Rostaing, dont le timbre donne une couleur différente à l’ensemble. Dans Paris occupé, le swing devient le mot d’ordre d’une jeunesse avide d’oublier les heures noires qu’elle traverse et le jazz français connaît un âge d’or dont Django, porté par le succès de sa composition Nuages, est la figure la plus emblématique.
En 1941, il constitue une grande formation, « Django’s Music », dont les partitions élaborées révélent ses ambitions orchestrales.
Peu après, il se lance dans une pièce symphonique, Manoir de mes rêves et projette d’écrire une Messe pour les romanichels au moment où ses frères tsiganes sont internés dans des camps. Afin d’éviter d’avoir à jouer en Allemagne au service de la collaboration, il tente de passer en Suisse à l’automne 1943 mais il est refoulé. Attendant la Libération, il garde profil bas dans un petit cabaret de Pigalle, La Roulotte.
Les grandes heures du jazz français
Bien que taxée de musique dégénérée par la doctrine nazie, le jazz ne fut pas interdit sous l’Occupation et devint l’objet d’un engouement qui, la plupart des musiciens américains ayant fui l’Europe aux premiers signes du conflit, profita à leurs confrères nationaux.
En France, les chansonniers servirent le mot swing à toutes les sauces, une certaine jeunesse frondeuse, prenant modèle sur le style du chanteur Cab Calloway, se déclara « zazou » et le jazz devint populaire, à la grande surprise de ceux qui, tels Charles Delaunay, cherchaient à accroître son audience depuis plusieurs années.
Lorsqu’ils n’avaient pas fui, les jazzmen français, qui avaient mûri dans l’ombre des orchestres de danse, trouvèrent un public. André Ekyan, Alix Combelle à la tête d’un big band baptisé « Jazz de Paris », l’accordéoniste Gus Viseur, le violoniste Michel Warlop et d’autres occupèrent pendant quelque temps le devant de la scène, dans une position délicate entre suspicion de compromission avec les autorités en place et opportunité d’exercer leur art.
Nouveau Quintette et Django’s Music
Alors que le quintette à cordes était puissant, porté par la « pompe », le Nouveau Quintette du Hot Club de France, marqué par le timbre de la clarinette et la présence d’un batteur, s’avérait plus léger, proche des petites formations swing dirigées par Benny Goodman. Le disque de Nuages, enregistré en décembre 1940, se vendit, en ces années de pénurie, à plus de 10 000 exemplaires. Django Reinhardt était alors si populaire que certains paroliers adaptèrent ses airs les plus fameux en chanson.
Très demandé, le guitariste pouvait enchaîner dans la même journée des thés dansants l’après-midi, un concert dans une grande salle le soir et un passage en cabaret, devant une clientèle la plupart du temps vert-de-gris, aux heures plus tardives. Profitant de son succès, Django développa sous l’intitulé de « Django’s Music », des expériences en grande formation, transposant sa conception orchestrale de la guitare à l’échelle d’une quinzaine d’instrumentistes, dans des œuvres où se mêlent l’influence de Duke Ellington et de compositeurs comme Ravel et Debussy. Cette ambition trouva des prolongements dans ses collaborations avec les big bands dirigés en Belgique par Fud Candrix et Stan Brenders.
Messe et symphonie
À partir de 1943, Django évoqua régulièrement son ambition de composer une grande pièce symphonique avec chœur intitulée Manoir de mes rêves, d’après un rêve récurrent dans lequel il interprétait à l’orgue un thème qu’il voyait figurer au centre de son œuvre.
Parallèlement, il manifesta le désir d’écrire une messe pour ses « frères romanichels ». Il espérait la voir chantée au pèlerinage gitan des Saintes-Maries-de-la-Mer, une intention qui prend une résonnance particulière alors qu’en France, les Manouches étaient les principales victimes de la politique d’internement des « Nomades » menée par Vichy et qu’en Allemagne, les Nazis avaient engagé une politique d’extermination des Tsiganes.
Faute de savoir noter la musique, Django chargea son clarinettiste Gérard Lévecque de transcrire ses idées en les lui jouant à la guitare. Seuls des fragments subsistent de ces œuvres restées inachevées du fait de ce processus de composition très fastidieux. Django enregistra néanmoins une section de sa messe en 1944 et concrétisa partiellement ses rêves symphoniques lorsqu’en 1946, André Hodeir orchestra certains de ses thèmes pour les besoins du film Le Village de la colère.
Tenu éloigné de ses confrères aux Etats-Unis par la guerre, Django renoua avec les jazzmen américains – sous l’uniforme des G.I. – à la faveur de la Libération. En 1945, le guitariste fut l’invité vedette d’un big band de l’armée américaine. L’année suivante, il fut invité par Duke Ellington, rencontré avant-guerre, à participer à une tournée comme soliste de son grand orchestre qui fit étape dans les principales villes des Etats-Unis : Chicago, Boston, Philadelphie et même New York, où ils furent à l’affiche du Carnegie Hall.
Arrivé sans guitare, persuadé que les fabricants américains se bousculeraient pour lui en offrir une, Django Reinhardt utilisa pendant tout son séjour un instrument électrique.
À son retour en France, il adopta la guitare amplifiée et ne jura plus que par le jazz moderne. Cependant, tiraillé entre ses retrouvailles avec Stéphane Grappelli et son désir de changement, peinant à retrouver sa notoriété des années de guerre, il finit, entre 1949 et 1950, par se détacher de la musique pour retourner vivre en caravane, se consacrer à la peinture et à son jeune fils, « Babik ».
Django, star de l’U.S. Army
Connu avant- guerre aux États-Unis grâce à la magie des ondes, Django Reinhardt était d’autant plus populaire auprès des soldats américains que certains de ses disques avaient été édités outre-Atlantique. Fin septembre 1944, il fit plusieurs apparitions à l’Olympia dans un gala réservé aux troupes, dont il partageait l’affiche avec diverses vedettes, dont Fred Astaire. Peu après, il dirigea au Bal Tabarin un grand orchestre devant lequel se pressèrent les Parisiens libérés et des G.I. en quête de jazz, notamment des membres du big band de Glenn Miller avec lesquels Django enregistra clandestinement quelques titres au sein d’un « Mystery Hot Band ».
Ayant gagné Marseille en 1945, il trouva à se produire pendant plusieurs mois dans les hôpitaux et théâtres aux armées de la région. Il croisa ainsi la route d’orchestres militaires, l’un « noir », les Jelly Roger’s, l’autre « blanc », l’Air Transport Command Band, dont l’arrangeur principal, Lonnie Wilfong, était un de ses admirateurs. Django devint la vedette de cette formation, participant à plusieurs enregistrements diffusés par le biais de l’AFN, le réseau radio des forces américaines, qui lui permirent de se faire entendre dans toute l’Europe libérée.
En tournée avec Duke
Le projet de tournée de Django Reinhardt avec Duke Ellington remontait à leur rencontre initiale, en avril 1939 à Paris. Dès la Libération, l’impresario du chef d’orchestre entreprit de faire venir le guitariste aux Etats-Unis, un projet qui se concrétisa à la fin du mois d’octobre 1946. L’épisode a laissé un souvenir mitigé. Conscient que Django ne savait pas lire la musique, Ellington ne composa pour lui aucune œuvre spécifique, se contentant de présenter le guitariste en soliste sur quelques standards arrangés à l’oral. L’accueil public fut néanmoins enthousiaste tout au long des quatre semaines que dura la tournée mais l’arrivée très tardive de Django au second concert au Carnegie Hall à New York ternit sa réputation. En outre, les règles syndicales rendaient difficile toute possibilité d’enregistrement, malgré l’intérêt manifesté par la maison de disque RCA. Le mal du pays doublé de la barrière de la langue finit par avoir raison des ambitions du guitariste, malgré un engagement au fameux Cafe Society où s’étaient pressés de nombreux grands noms du jazz pour l’entendre.
Entre ancien et nouveau Quintette
Séparé de lui par la guerre, Django Reinhardt retrouva Stéphane Grappelli à Londres en janvier 1946 au son d’une Marseillaise que, pour traduire leur effusion, les deux hommes improvisèrent spontanément dans un registre swing. Parue un an plus tard, la version studio de leur variation sur l’hymne national froissa les oreilles de quelques patriotes qui se chargèrent de l’étouffer.
À l’image de cette anecdote, les retrouvailles avec Grappelli furent en demi-teinte, malgré un engouement certain de leurs fans à l’étranger. Attiré par les dernières innovations du jazz aux Etats-Unis, recourant fréquemment à une guitare électrique, Django avait davantage le désir d’adapter son instrument au langage du be-bop développé par Charlie Parker et Dizzy Gillespie, ainsi qu’en témoignent les compositions enregistrées avec son quintette avec clarinette en 1947. Pris dans les querelles intestines du Hot Club de France, il participa au festival de jazz de Nice en 1948 organisé par Hugues Panassié mais s’éloigna progressivement de la scène, au point de laisser sans suite, en 1950, la proposition du clarinettiste Benny Goodman de l’engager pour une nouvelle tournée aux Etats-Unis.
En 1951, après plusieurs mois d’absence, Django retrouve le goût de la musique grâce à des musiciens plus jeunes, férus de be-bop, auprès desquels il est engagé pour animer le Club Saint-Germain, haut lieu du jazz de la Rive Gauche.
À la tête d’un groupe dans lequel éclate son jeu renouvelé, audacieux, émaillé d’effets d’attaque et de distorsion électrique, le guitariste révèle une inspiration qui augure de nouveaux horizons. Jouant d’un instrument amplifié, il développe sur la guitare une maîtrise du be-bop qui va de pair avec des compositions de facture très moderne.
Ce regain suscite l’intérêt de l’imprésario américain Norman Granz qui projette d’intégrer Django aux tournées qu’il organise et lui fait enregistrer un disque en vedette en prévision de sa venue. Mais Django n’aura pas le temps de retourner aux États-Unis : il succombe à une hémorragie cérébrale, le 16 mai 1953 dans la petite ville de Samois-sur-Seine où il avait élu domicile.
Be-Bop au Club Saint-Germain
En février 1951, Django Reinhardt revient au - devant de la scène à la faveur de la réouverture du Club Saint-Germain, l’une des plus fameuses « caves » de Saint-Germain-des-Prés. Pendant plusieurs mois, il s’y produit accompagné par un groupe emmené par les frères Fol, Hubert, saxophoniste, et Raymond, pianiste, qui suivent de près les derniers développements du jazz moderne.
Django trouve auprès de ces musiciens plus jeunes un écho à son désir de renouvellement. Il y côtoie également des jazzmen noirs américains expatriés qui ont été au centre des innovations du be-bop, tels les saxophonistes James Moody et Don Byas et le batteur Kenny Clarke. Converti à l’amplification, ayant adopté un modèle de micro et d’amplificateur développés par la marque française Stimer, il développe à la guitare un langage d’autant mieux renouvelé qu’il s’accompagne d’effets « électriques » (distorsion, sustain, saturation, etc.) qui donnent un relief nouveau à son phrasé. L’une de ses dernières compositions, le mystérieux Anouman, témoigne même de sa sensibilité au style cool, ultime développement du jazz que Django aura eu le temps de s’approprier.
Le dernier message
Contrastant avec la modernité de sa musique, Django Reinhardt adopte, durant les derniers mois de son existence, un mode de vie modeste dans le village de Samois, non loin de Fontainebleau, où il se livre à ses distractions favorites : la pêche, le billard et les jeux avec son fils « Babik ».
En 1952, il fait une apparition dans le film La Route du bonheur grimé en bohémien dans une séquence qui véhicule les clichés associés aux Manouches alors que défile le thème Nuits de Saint-Germain-des-Prés emblématique de ses liens avec la modernité de la Rive Gauche. Le 3 mars 1953, au surlendemain d’un bœuf mémorable avec Dizzy Gillespie à Bruxelles, il fait connaissance de Norman Granz, venu à Paris présenter le « Jazz at the Philharmonic », réunion de stars du jazz. Désireux de l’intégrer aux tournées qu’il organise mais soucieux de le faire connaître aux États-Unis, Granz confie à Eddie Barclay le soin de faire enregistrer à Django un disque qui, profitant du format nouveau du microsillon, permettra d’illustrer les facettes de son talent. La disparition prématurée du guitariste donnera à cet album valeur de testament. La ville de Samois, où Django Reinhardt résidait au moment de son décès, accueille désormais un festival de jazz qui porte son nom.
Installé à l’usine Selmer de Mantes la Ville en 1932, l’atelier de guitare produisit une gamme complète conçue par Mario Maccaferri (1900-1993) propre à satisfaire tous les styles de jeu de l’époque (classique, jazz, hawaïenne, etc.). Très innovantes du point de vue acoustique (double caisse de résonance) et ergonomique (pan coupé), ces guitares furent dessinées dans les moindres détails avec le plus grand soin de façon à les distinguer aussi par leur design original.
Après le départ de Maccaferri en 1933, la production de l’atelier se recentra sur un nouveau modèle de guitare de jazz dit « à petite bouche », adopté par Django Reinhardt et qui fut produit jusqu’en 1952. On estime à environ 900 le nombre de guitares fabriquées. Cette vitrine propose une évocation de ce célèbre atelier, basée en majeure partie sur le fonds Selmer acquis et conservé par le musée des Musiques populaires de Montluçon.
Cette guitare de Django Reinhardt fut offerte au Musée de la musique en 1964. Ce don revêt un caractère exceptionnel car selon la tradition manouche, l’instrument d’un musicien décédé est brûlé.
La médiathèque propose une sélection d’ouvrages autour des principaux thèmes abordés tout au long du parcours de l’exposition Django Reinhardt Swing de Paris.
Catalogue de l’exposition Django Reinhardt, Swing de Paris
Ce livre illustre le parcours de Django Reinhardt : ses débuts comme banjoïste, son initiation au jazz, la naissance du quintette à cordes, l’engouement pour le swing, son intérêt pour la peinture…
Le Musée de la musique propose des expositions multimédias, à partir de projets réalisés à Paris, qui peuvent être présentées dans des lieux non-muséaux (médiathèques, centre culturels, salles de concert…) en France comme à l’étranger.