Exposition du 06 mars 2012 au 22 juillet 2012 - Musée de la musique, Paris
Introduction
Bob Dylan fait partie de ces légendes auréolées de mystère. Jamais où on ne l’attend et cependant toujours lui-même, l’artiste a su entretenir et renouveler son mythe.
La Cité de la musique a confié à Bob Santelli, directeur du Grammy Museum de Los Angeles, le soin de revenir aux origines de la légende. Entre 1961 et 1966, Dylan a écrit pas moins de sept albums, qui ont révolutionné l’histoire de la musique populaire et fait de lui une star d’envergure internationale, aussi encensée que contestée. Cinq années que le chanteur a traversées tel une comète, imposant son rythme et sa voix, toujours en avance d’une longueur : depuis l’hommage fleuve à la figure tutélaire (« Song to Woody »), qui impose d’emblée ses racines, puisées au coeur de la musique traditionnelle américaine, en passant par les hymnes porteurs de la contestation sociale, jusqu’au tournant magistral (et décrié) d’une écriture infiniment personnelle, souvent énigmatique, jointe à la musique amplifiée. À l’été 1963, le jeune photographe Daniel Kramer, qui n’y connaissait rien au folk, ne s’y est pas trompé en découvrant Bob Dylan à la télévision : il se souvient d’une voix grave, décalée sur ce physique juvénile ; une allure simple, naturelle et sans affectation, contrastant avec la force des images véhiculées par les paroles de la chanson qu’il interprète : « The Lonesome Death of Hattie Caroll » est le récit habilement construit d’un fait divers (le meurtre d’une serveuse noire par un jeune blanc éméché qui écope de six mois de prison). Le jeune chanteur provoque sur le photographe un effet magnétique : Daniel Kramer, fasciné, a voulu entrer en contact avec le chanteur.
De la métamorphose du folk singer en rock star, Daniel Kramer, qui a accompagné Dylan plus d’un an, entre 1964 et 1965, offre un témoignage saisissant. Bob Santelli a retenu soixante clichés en noir et blanc qui forment le coeur de l’exposition. Face à cette galerie de photographies du chanteur-compositeur à l’œuvre − frêle silhouette, presque androgyne au regard angélique mais déterminé, que l’on suit en coulisses, à l’hôtel, en studio, sur la route − s’articulent les temps forts de sa carrière musicale. Ces étapes sont aussi le témoignage d’une histoire de la musique américaine : depuis la musique pour faire danser les filles au bal de promo, aux textes engagés qu’on écoute dans les clubs enfumés de Greenwich, puis collectivement dans les festivals, jusqu’à la puissance fiévreuse du folk rock et de ses textes habités...
On touche l’insaisissable du mythe de Dylan dans ce jeu de miroir entre les photos presque intimes de l’artiste au travail et les salles du parcours de l’exposition. Cette dernière présente plusieurs guitares, parmi lesquelles l’une des premières guitares acoustiques de Dylan, la guitare de son mentor Woody Guthrie, mais également de nombreux documents, des archives audiovisuelles et des extraits de concerts. Des guides d’écoute, réalisés par la Médiathèque de la Cité de la musique, et un espace plus spécifiquement dédié à la découverte de Dylan en France à cette époque-là, complètent le parcours des visiteurs.
De son vrai nom Robert Zimmerman, Bob Dylan naît en 1941 dans une famille juive du Midwest américain. Il vit une enfance petite-bourgeoise à Hibbing, dans le Minnesota, où il se prend de passion pour la musique pop qu’il écoute à la radio. Il décide alors d’apprendre à jouer de la guitare et du piano et se rêve chanteur pop professionnel. Un de ses tout premiers groupes, les Golden Chords (« Accords Dorés »), se produit au lycée de Hibbing où Dylan est élève.
Adolescent, Dylan s’achète les disques d’Elvis Presley, de Little Richard, de Buddy Holly et de Bo Diddley. Il adore leurs sonorités et leur énergie rock’n’rolliennes et rêve de jouer le même genre de musique. Il aime également le chanteur de country Hank Williams, très apprécié dans le Midwest et dans le Sud des États- Unis. Après le lycée, Dylan part pour Minneapolis où il s’inscrit à l’université du Minnesota. Il découvre alors les chansons folk d’Odetta et du Kingston Trio dont le tube Tom Dooley fait fureur sur les campus. La musique folk ne tarde pas à devenir sa nouvelle passion.
Le chanteur de folk américain Woody Guthrie a été l’influence majeure de Bob Dylan. Auteur de centaines de chansons parmi lesquelles This Land Is Your Land, Guthrie relate en musique les effets dévastateurs de la Grande Dépression sur tous les démunis des États-Unis. Ses chansons sont peuplées de personnages auxquels il sait insuffler une authentique vie. Construites sur quelques accords, ces chansons sont cependant d’une simplicité trompeuse : leurs sujets et leurs paroles atteignent à cette profondeur émotionnelle que l’on ne trouve généralement que dans les poèmes épiques et les œuvres de plus grande ampleur.
Au début des années 50, Guthrie se trouve gravement handicapé par une maladie dégénérative. Le tout jeune Dylan quitte l’université du Minnesota et débarque à New York en 1961 pour y rencontrer son mentor. Sa chanson Song to Woody dit tout sur la sincérité de ses sentiments envers Guthrie.
New York
Dès son arrivée à New York, en janvier 1961, Dylan se précipite à Greenwich Village, royaume des clubs de folk et des cafés, des galeries d’art et des librairies. Dans la journée, il boit des expressos, lit de la poésie et écrit des chansons. Le soir, il se produit dans des clubs comme le Gaslight ou le Gerde’s Folk City. Les clients déposent une pièce dans le chapeau qui circule de mains en mains.
Dylan s’imprègne peu à peu de New York où il fait la connaissance d’écrivains, de chanteurs et de poètes. Il chante partout où il le peut. Sa grande chance survient quand Robert Shelton, un journaliste du New York Times, rédige un compte rendu enthousiaste d’une de ses prestations. Non seulement l’article attire l’attention des autres propriétaires de clubs de Greenwich Village, mais il vaut mais il vaut aussi à Dylan d’obtenir une audition puis un contrat d’enregistrement pour Columbia Records.
Folk revival
La musique folk américaine des années 30 et 40 avait bien souvent une connotation politique. Les chansons protestataires d’un Woody Guthrie ou d’un Pete Seeger exprimaient la solidarité de leurs auteurs avec le prolétariat. Mais la Seconde Guerre Mondiale puis l’avènement de la Guerre Froide mettent fin à ce mouvement musical trop directement associé aux syndicats et à la doctrine socialiste, voire communiste.
Après le succès, en 1958, de la chanson du Kingston Trio Tom Dooley, Peter, Paul & Mary, le Chad Mitchell Trio et d’autres encore font pénétrer la musique folk dans les campus des universités et initient ce faisant un revival folk. Des festivals comme le Newport Folk Festival contribuent à renforcer cet intérêt pour le genre. Et puis, avec l’apparition de Bob Dylan et de Joan Baez — de jeunes artistes porteurs d’idées musicales nouvelles — l’influence du folk se fait subitement partout présente, que ce soit dans le mouvement des droits civiques ou dans le rock’n’roll.
Protest song
Des générations durant, les folksingers américains ont fait de leurs chansons des instruments de changement. La musique folk, et, après elle, le rock ont bien souvent véhiculé des messages associés à une cause politique. Les années 60 sont aux États- Unis une époque particulièrement propice à la musique socialement et politiquement contestatrice. Le mouvement des droits civiques et la guerre du Vietnam font éclore un grand nombre de chansons protestataires.
Le plus influent des auteurs de chansons engagées est Bob Dylan. Reprenant le flambeau abandonné par Guthrie, Dylan compose quelques-uns des chefs-d’œuvres protestataires de la décennie, au nombre desquels figurent Blowin’ in the Wind, The Times They Are A-Changin’, Masters of War et With God On Our Side.
Le folk rock naît le soir même de la prestation de Dylan au Newport Folk Festival de l’été 1965. Si ce nouveau genre propose une manière rock de chanter au son des guitares électriques, ses textes s’éloignent radicalement des habituels thèmes pop dépourvus de profondeur. Si Dylan est le fondateur du folk rock, il n’en revendique jamais la paternité et laisse ce soin à des groupes qui interprètent sa musique d’une façon nouvelle, ou font de son oeuvre la base d’expérimentations musicales plus poussées.
Aux États-Unis, les Byrds, Buffalo Springfield, les Lovin’ Spoonful, The Mama’s and the Papa’s, Simon & Garfunkel et bien d’autres deviennent les prosélytes des couleurs sonores du folk rock. Grâce à Dylan, l’écriture de chansons rock est quasiment du jour au lendemain devenue adulte. Même les Beatles ont modifié leur style d’écriture. Et bien que Dylan n’ait été que partiellement responsable de la métamorphose musicale des Fab Four, son influence sur le groupe a été indéniable.
Like a Rolling Stone
La chanson de Bob Dylan Like a Rolling Stone est considérée comme le plus grandiose et révolutionnaire moment de rock de tous les temps. Publié sous forme de single (45 tours) peu avant la prestation historique de Dylan au Newport Folk Festival de 1965, Like a Rolling Stone va démoder à tout jamais l’ancien concept du single pop/rock formaté pour les passages radio. La chanson dure près de six minutes et demie à une époque où la plupart des 45 tours pop ne dépassent pas les trois minutes.
Cet immense classique est d’une facture musicale complexe avec des changements d’accords atypiques et une interprétation vocale peu conventionnelle. Les paroles de Dylan exsudent une absolue désespérance poétique — « Quand on n’a rien, on n’a rien à perdre » — qui n’est assurément pas commune dans l’univers pop du milieu des années 60. Elles n’en « parlent » pas moins à un grand nombre de jeunes qui se sentent étrangers à la culture grand public dominante.
1966
La succession d’albums historiques et de concerts fracassants prend temporairement fin en 1966 lorsque Bob Dylan se blesse dans un accident de moto survenu à Woodstock, dans l’État de New York. Dylan prend prétexte de l’accident pour se retirer du monde, renouveler son énergie créatrice et altérer le cours de sa trajectoire musicale. Quand il fait sa réapparition début 1968 lors d’un concert organisé à New York en mémoire de Woody Guthrie, ses fans découvrent le « nouveau » Dylan. Son allure, sa manière de chanter et les ambiances country de la nouvelle musique que l’on peut entendre sur « John Wesley Harding » et « Nashville Skyline », ses derniers albums des années 60, démontrent clairement que Dylan a tourné le dos à son passé. Ce ne sera pas la dernière fois.
Près d’un demi-siècle après avoir modifié le cours de l’histoire de la musique, Dylan continue d’enregistrer des albums et de se produire sur scène.
Daniel Kramer est un des photographes américains spécialisés dans la musique et les portraits parmi les plus renommés. Les photos de Bob Dylan prises en 1964 et 1965 ont fait connaître la jeune étoile montante au monde entier, mais également établi un archétype à l’aune duquel tous les autres portraits « rock » seraient par la suite jugés.
Né à Brooklyn, New York, et autodidacte de la photographie, Kramer a travaillé comme assistant de Philippe Halsman et d’Allan et Diane Arbus avant de se forger une renommée internationale.
Bob Dylan, son livre publié en 1967, a reçu un accueil critique enthousiaste, tout comme les trois pochettes d’albums de Dylan qu’il a conçues — Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited et Biograph. Le magazine Rolling Stone a qualifié Kramer de « photographe le plus étroitement associé à Bob Dylan ».
Ses photographies ont été exposées ou acquises par la National Portrait Gallery de Washington, le Rock and Roll Hall of Fame and Museum, l’International Center of Photography, le Whitney Museum of American Arts, le musée Folkwang en Allemagne, la George Eastman House…
Pour Bob Dylan, la France, c’est d’abord le Notre Dame de Paris de Victor Hugo, lu alors qu’il était enfant… Notre-Dame, si proche de la rue Cujas où il séjourne en 1964, installé là par Hugues Aufray…Notre-Dame dont l’ombre géante essaye de l’attraper par les pieds, dans un poème imprimé au dos de Another Side Of Bob Dylan - un poème dédié à Françoise Hardy, l’autre Dame de Paris… Notre-Dame dont le bossu vient hanter « Desolation Row », en 1965… Notre-Dame, le coeur de Paris aperçu depuis le bolide de Johnny Hallyday, par une douce nuit de mai 1966.
Vu d’ici, Bob Dylan, c’est d’abord l’affaire de quelques amateurs de musiques traditionnelles américaines. Puis on l’identifie derrière les succès de Peter, Paul & Mary et de Joan Baez. Folk ou pop, peu importe alors : la jeunesse française attend un guide… en 1966, elle découvre un chanteur qui refuse d’être un porte-parole.
Scénographie
La scénographie propose un parcours au rythme cadencé par les allers-et-venues entre la grande galerie de photographies de Daniel Kramer et les trois salles évoquant les étapes de la carrière de Bob Dylan entre 1961 et 1966. Volontairement semi-ouvert, cet enchaînement d’espaces, vivant et rythmé, traduit la constante évolution, l’éclectisme et la diversité du parcours artistique de Bob Dylan.
Le fourreau monochrome bleu vif qui relie visuellement les deux niveaux crée une déambulation dynamique, depuis la présence linéaire et plus intime des portraits de Daniel Kramer jusqu’à l’espace plus éclaté menant à la projection du concert. Épuré, ce dispositif scénographique séquencé évoque le chemin de création, parfois brouillon, toujours lumineux, que Bob Dylan emprunta au cours de ses recherches.
Crédits de l’exposition
Commissaires : Robert Santelli, directeur du Grammy Museum de Los Angeles, assistée de Ali Stuebner, avec la participation de Daniel Kramer, photographe
François Ducray, Alain Rémond, Jacques Vassal, Silvain Vanot
Dans le cadre de l’exposition Bob Dylan, l’explosion rock 61-66, la Médiathèque de la Cité de la musique a interviewé quatre auteurs d’ouvrages consacrés à Bob Dylan
La médiathèque propose une sélection d’ouvrages autour des principaux thèmes abordés tout au long du parcours de l’exposition Bob Dylan, l’explosion rock 61-66.