Exposition du 6 avril au 19 août 2018 - Musée de la musique, Paris
Introduction
Soulignant le caractère central que revêt la musique au sein des sociétés arabes, l’exposition Al Musiqa se veut surtout un manifeste pour la sauvegarde d’un patrimoine culturel aujourd’hui en danger, en même temps qu’un témoignage de l’exceptionnelle vitalité de la création musicale contemporaine dans le monde arabe.
La période qui précède l’arrivée de l’islam dans la péninsule arabique est traditionnellement qualifiée de Jahiliya, c’est-à-dire « d’ignorance ». Pourtant, avant la naissance du prophète Muhammad se développe une vie culturelle extrêmement riche et raffinée qui s’épanouit aussi bien dans les villes que dans le désert, où la poésie est reine. Dans une culture où la langue est première, la musique puise sa source dans cette poésie dont elle magnifie le rythme et la composition à travers le chant.
L’art vocal était aussi l’apanage des chameliers qui traversaient les vastes étendues désertiques en déclamant des mélopées appelées huda, dont le rythme était calé, dit-on, sur celui du pas du chameau, tandis que le nasb désignait le chant des jeunes bédouins.
À la naissance de l’islam au VIIe siècle, les villes de Médine et de la Mecque prospèrent et leur vie culturelle s’enrichit, tandis que certaines qaynats (esclaves-musiciennes venues de Perse) atteignent le rang de véritables stars, comme Jamîla et ‘Azzâ al-Mayla. Néanmoins, invoquant le fait que la musique détournerait le croyant de la piété, une certaine méfiance s’instaure à son égard, s’appliquant surtout à l’usage des instruments de musique qui rappelaient trop les cérémonies polythéistes.
Par ailleurs, même si le terme de « musique » reste problématique, il est important de souligner la place centrale de phénomènes mélodiques dans l’islam : l’appel à la prière (al adan) et la psalmodie du Coran (tajwid ) dans la pratique ; les chants accompagnant les fêtes religieuses telles que le mawlid, célébration de la naissance du prophète, ou bien les pèlerins durant leur trajet vers la Mecque. Ainsi, on peut dire que l’islam ne bannit pas la musique mais qu’il cherche à en limiter les effets physiques et à en spiritualiser la perception.
L’année 661 marque le début de la dynastie des Omeyyades, fondée par le calife Mo’awiya. Le centre de l’empire musulman se déplace alors de l’Arabie à Damas, désormais grande capitale des arts et de la culture où la langue arabe devient un vecteur d’unification pour des populations très mélangées. Mélomanes avertis, Mo’awiya et ses successeurs encouragent et protègent poètes et musiciens. Auparavant domaine de prédilection des esclaves musiciennes, la pratique musicale s’ouvre à d’autres acteurs, notamment des hommes libres, favorisant la montée en puissance d’une société de jouissance qui attire la méfiance des religieux.
En 750, les Abbassides renversent les Omeyyades, le pouvoir se déplace à Bagdad où la vie intellectuelle et artistique connaît un véritable âge d’or. Les connaissances musicales font désormais partie de l’éducation de l’honnête homme. Les califes, mais aussi les nobles, se font mécènes et s’entourent de musiciens.
Avant l’invasion arabe, des influences musicales se font déjà sentir en Afrique en raison de la proximité de certains pays de la côte Est avec la péninsule arabique. Suite à l’expansion de l’islam au nord mais également au sud du Sahara, de nombreux échanges culturels se développent. Les langues vernaculaires africaines continuent à être parlées dans la vie quotidienne et la langue arabe est véhiculée par l’apprentissage du Coran et par l’appel à la prière, tous deux prenant une coloration et des accents locaux.
Courant mystique de l’islam, le soufisme se développe sous formes de confréries en Afrique du Nord à partir du XVe siècle et en Afrique subsaharienne à partir du XVIIe siècle. La pratique des disciples est notamment composée de chants dévotionnels, dont le répertoire musical importé d’Orient s’enrichit des modes arabo-andalous et de formes locales.
Longtemps reléguée à la périphérie de l’empire musulman sous domination ottomane, l’Égypte devient, au XIXe siècle, le nouveau centre du monde arabe. C’est sous le règne d’Ismaïl Pacha (1863-1879) qu’une transformation profonde du pays aboutira à la Nahda, la renaissance politique et culturelle arabe.
Au tournant du XIXe et du XXe siècle, les musiciens et musicologues égyptiens cherchent à concilier la musique savante orientale ottomane, et la création d’une identité culturelle arabe contemporaine, qui puise à la fois dans les sources théoriques arabes de l’âge d’or abbasside et dans les formes et les instruments européens.
Initiée dès le XIXe siècle, l’immigration maghrébine en France s’intensifie au lendemain de la première, puis de la seconde guerre mondiale, encouragée par les mouvements d’indépendance et les besoins en main d’œuvre pour la reconstruction du pays. À Paris, les musiciens arabes, kabyles, musulmans et juifs immigrés trouvent un public et des maisons de disque qui diffusent leurs chansons inspirées des traditions populaires, du répertoire judéo-arabe ou encore de celui des grands maîtres égyptiens. C’est aussi la naissance des cabarets orientaux au quartier latin. Progressivement, les musiques maghrébines d’abord cantonnées à un public communautaire s’étendent pour toucher une plus large audience.
Le XXIe siècle marque dans le monde arabe l’émergence de nouveaux styles, hérités du patrimoine musical arabe et enrichis d’emprunts occidentaux. Ces différents mouvements revendiquent leur filiation avec de grandes figures d’artistes engagés au Moyen Orient et au Maghreb, comme Cheikh Imam (Égypte), Marcel Khalifé (Liban) ou encore Nass el Ghiwane (Maroc) dont ils recherchent la liberté de parole. Des chaines youtube ainsi que des émissions de téléréalité comme Arab Idol réunissent des millions d’internautes et de spectateurs.
Bien qu’ayant eu un effet politique très contrasté, les mouvements révolutionnaires initiés en 2011 ont néanmoins suscité une intense créativité artistique notamment musicale qui se nourrit de l’usage de nouveaux médias, d’internet et des réseaux sociaux. À travers le monde, les musiques arabes s’épanouissent aussi bien dans les festivals communautaires que dans les salles de concert alternatives et les boîtes de nuit branchées.
La médiathèque propose une sélection d’ouvrages autour des principaux thèmes abordés tout au long du parcours de l’exposition Al Musiqa, Voix et musiques du monde arabe.
Cet ouvrage, exploration de formes musicales traditionnelles et modernes, mystiques et profanes, populaires et savantes, est un manifeste pour la sauvegarde d’un patrimoine culturel aujourd’hui en danger, en même temps qu’un témoignage de l’exceptionnelle vitalité de la création musicale contemporaine dans le monde arabe.